[Tribune] Comment l’Afrique doit intégrer l’intelligence artificielle

L’adaptation au nouveau monde de l’économie de l’intelligence requiert une stratégie continentale, basée notamment sur la refonte des systèmes éducatifs nationaux, estime Fatim Cissé, qui commercialise des plateformes d’intelligence artificielle.

Un jeune travaille sur son ordinateur portable avec une connexion wifi. © Olivier pour Jeune Afrique

Un jeune travaille sur son ordinateur portable avec une connexion wifi. © Olivier pour Jeune Afrique

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Publié le 7 juin 2019 Lecture : 3 minutes.

Il ne s’agit pas de s’autoflageller : peu de nations, pays européens inclus, ont vu venir l’intelligence artificielle (IA). Celle-ci va d’ici dix à trente ans engendrer une révolution majeure et, tel un tsunami, bouleverser les écosystèmes politiques, sociaux et économiques du monde entier. Elle sera présente dans tous les domaines et secteurs d’activité, du primaire au tertiaire.

Stagnant depuis trente ans, les recherches sur l’IA ont connu un développement fulgurant grâce à sa principale source d’énergie, les data, dont les inépuisables réserves constituées par les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) aux États-Unis et les BATX (Baidou, Alibaba, Tencent, Xiaomi) en Asie sont dotées d’une capacité d’autorégénération.

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Seules à détenir la quasi-totalité des réserves de data, ces entreprises principalement installées aux États-Unis et en Chine sont les plus grosses productrices d’IA : leur domination mondiale est inéluctable. L’Europe tente péniblement de rattraper le train, mais hélas ses meilleurs développeurs s’expatrient aux États-Unis où ils vont encore renforcer la capacité de production des Gafam et des BATX au détriment de celle de leur pays d’origine.

>> À LIRE – Gafam : l’Afrique face aux géants du Web

Quant à l’Afrique, inexistante sur la carte de « l’économie de l’intelligence », peut-elle encore rattraper ce train-là ? Interrogation renforcée par ce que nous a démontré notre histoire récente : tenter de s’agréger à des révolutions que nous n’avions pas anticipées, malgré des conditions en apparence favorables, produit très rarement les résultats escomptés.

Afin d’étayer notre propos, revenons sur l’expérience de l’agriculture de l’Afrique, qui possède 60 % des terres arables mais qui demeure à un taux d’industrialisation agricole de 5 %. Avec 0 % de data, la bataille de la production d’IA semble perdue d’avance. Certains pays tentent de réagir en créant des écoles de programmation et de codage. Mais si le contexte n’est pas enrichi, nous nous exposons à ce que les mille prochains codeurs et développeurs africains suivent l’exemple de leurs homologues européens…

Un homme surfe sur internet dans un cyber-café de Cotonou, au Bénin, le 24 février 2016. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

Un homme surfe sur internet dans un cyber-café de Cotonou, au Bénin, le 24 février 2016. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

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Néanmoins, tout n’est pas perdu. Un prochain train, celui de l’utilisation des applications de l’IA pour accélérer le développement de nos pays et améliorer de façon substantielle notre niveau de vie, arrive en gare. Ces applications créées et enrichies avec l’IA permettront aux Africains d’accéder, à moindre coût, au même niveau de qualité de service que les pays développés.

Dans le domaine de l’éducation, elles permettront la mise à disposition de programmes d’excellence conformes aux standards internationaux, adaptés à nos besoins spécifiques. Dans le domaine de la santé, la prise en charge des malades, du diagnostic au traitement, s’effectuera plus efficacement. Même dans les secteurs traditionnels tels que l’agriculture, l’utilisation de l’IA viendra améliorer la productivité et la rentabilité de nos productions. Bien qu’il reste difficile de prévoir avec exactitude les effets directs de l’IA, nous pouvons affirmer avec certitude que l’impact social et économique de son introduction dans nos vies sera phénoménal.

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Pour nos pays, l’enjeu n’est donc pas de produire de l’IA, mais plutôt de définir la meilleure stratégie d’intégration de ces nouveaux produits dans l’amélioration continue de notre quotidien. Cette intégration doit commencer par la refonte et la réingénierie de nos systèmes éducatifs et de nos programmes scolaires, qui doivent s’atteler à produire des compétences capables de tirer pleinement profit de l’IA.

>> À LIRE – Distribution de l’eau : l’intelligence artificielle utilisée pour rénover des réseaux en Namibie

Dans ce nouveau monde de l’économie de l’intelligence, les tâches techniques, ou hard skills (comptabilité, radiologie, chirurgie, conduite de véhicules, traduction, service à la clientèle…), seront exécutées par les applications de l’IA, avec une meilleure fiabilité et une plus grande acuité que l’humain. Les projections dans des pays comme le Canada prédisent la disparition de plus de 42 % des métiers actuels dans les dix prochaines années. Le monde du travail s’en trouvera totalement bouleversé.

La refonte de notre système éducatif pourrait s’articuler autour des axes suivants :

– améliorer de façon significative la rémunération des enseignants afin d’attirer et de retenir les meilleurs.

– changer l’état d’esprit de notre enseignement, à savoir : apprendre à nos étudiants à apprendre.

– orienter notre méthodologie éducative vers le renforcement des capacités cognitives transversales, ou soft skills, plutôt qu’uniquement vers l’acquisition des compétences techniques.

L’efficacité de cette réflexion stratégique requiert une approche non plus nationale mais continentale, et doit être menée dès maintenant, et pas demain, quand la tiers-mondisation de notre continent se sera étendue.

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