Présidentielle en Mauritanie : duel entre Ould Ghazouani et Ould Boubacar
À l’approche du scrutin présidentiel du 22 juin, l’annonce surprise de la candidature de Mohamed Ould Boubacar rebat les cartes du jeu électoral.
Présidentielle en Mauritanie : Ghazouani proclamé vainqueur, l’opposition conteste
Mohamed Ould Ghazouani, dauphin désigné du président sortant, Mohamed Ould Abdelaziz, a été donné vainqueur du scrutin présidentiel du 22 juin par la commission électorale. Un résultat contesté par plusieurs candidats de l’opposition. Retrouvez tous nos articles sur la campagne électorale et les enjeux de cette présidentielle.
Mohamed Ould Abdelaziz n’est pas homme à se laisser surprendre. Le chef de l’État mauritanien avait prévu chaque détail de la présidentielle du 22 juin. Il s’est offert une sortie honorable en respectant la Constitution, qui lui interdisait de briguer un troisième mandat.
Puis il a désigné son dauphin, son ami Mohamed Ould Ghazouani, tout en s’employant à lui léguer un système verrouillé à triple tour. Il avait même, jure son entourage, prédit qu’au même moment et dans la plus grande discrétion un homme préparait minutieusement son retour.
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Mis à la retraite par Aziz contre sa volonté en 2016, l’ancien ambassadeur aux Nations unies Sidi Mohamed Ould Boubacar mûrissait sa décision de se présenter. « Il n’a cessé de jouer au chat et à la souris en prenant contact tantôt avec le pouvoir, tantôt avec l’opposition », affirme un proche d’Aziz.
Ses ambitions désormais déclarées, Ould Boubacar assure que son choix n’est nullement téléguidé par l’ennemi juré du président, l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, dont il est très proche. Ce dernier lui a publiquement apporté son soutien le 29 mai. « J’ai pris cette décision seul, après avoir eu la certitude que Mohamed Ould Abdelaziz ne briguerait pas de troisième mandat, lorsqu’il a empêché les députés de la majorité de voter une réforme constitutionnelle en ce sens », assure Ould Boubacar.
Cet homme courtois a occupé de nombreux postes sous le régime de Maaouiya Ould Taya (directeur du Trésor, ministre des Finances, Premier ministre…). Sa candidature, en tant qu’indépendant, a-t-elle poussé Aziz à s’impliquer personnellement aux côtés de Ghazouani ? Alors que la campagne ne s’ouvre officiellement que le 7 juin, le président profite de chacune de ses sorties à l’intérieur du pays pour défendre son dauphin. Et pour cause : alors que le pouvoir s’estimait en mesure de l’emporter confortablement, la possibilité d’un second tour cristallise désormais les tensions.
Alter ego
Ancien chef d’état-major, coartisan de la lutte antiterroriste dans son pays, Mohamed Ghazouani est un général respecté et peu disert, ce qui alimente toutes les spéculations. Apprécié par les opposants, il ne concentre jamais personnellement leurs critiques, qui visent directement son alter ego, Mohamed Ould Abdelaziz.
Les regards sont rivés sur leur relation, Aziz n’ayant rien dévoilé de ses ambitions à l’issue de son mandat. Jusque dans leurs premiers cercles, rien n’a filtré de leurs discussions concernant la candidature de Ghazouani, annoncée en mars. « C’est une histoire entre deux personnes, résume un proche collaborateur du président. Aziz était le seul à connaître ses propres intentions, puis il a mis Ghazouani dans la confidence et personne d’autre que lui. Peu connaissent véritablement leur relation et personne n’est capable de l’entacher. »
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Les deux hommes se sont rencontrés à l’Académie militaire de Meknès, au Maroc, lorsqu’ils avaient 20 ans. Ils ont depuis gravi tous les échelons ensemble. Leurs personnalités ont beau être diamétralement opposées – Aziz est réputé impulsif, Ghazouani plus réfléchi –, ils n’en restent pas moins très liés.
« Ce duo fonctionne bien, depuis toujours, mais Aziz en est le seul et unique chef, précise Moussa Ould Hamed, ancien patron de l’Agence mauritanienne d’information. Bien que Ghazouani ait pris sa retraite de l’armée, il subsiste sans doute entre eux un rapport militaire hiérarchique. » Dans les rangs de l’opposition, beaucoup misent sur le fait que Ghazouani, s’il est élu, souhaitera s’affranchir de cette relation. « Une brouille est inévitable, ne serait-ce que parce que leurs tribus commerçantes sont en concurrence, estime un responsable de l’Union des forces de progrès (UFP). Il n’y a que Vladimir Poutine pour occuper le fauteuil de Premier ministre et revenir ensuite. La Mauritanie n’est pas la Russie ! »
Ould Boubacar, lui, dénonce l’omniprésence du président aux côtés de Ghazouani, tout en fustigeant son bilan et en pointant une situation économique et sociale « déplorable ». Plutôt que le terrain, il a investi les réseaux sociaux, où il est très suivi. Mais la Toile peut-elle avoir une influence en dehors des grandes villes, où le vote est encore très traditionnel ?
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À l’intérieur du pays, Ghazouani mise sur un atout de poids. Issu de la tribu Ideiboussat, il est assuré du soutien de l’est de la Mauritanie, dont il est originaire – il a grandi dans l’Adrar et y a conservé de fortes connexions –, un réservoir de voix très important. La conquête du Trarza (sud-ouest) sera par ailleurs décisive. Membre des Ouled Ahmed, une tribu bien implantée dans le Brakna et frontalière du Trarza, Ould Boubacar bénéficie du précieux soutien de Tawassoul, parti « d’obédience islamique » et première force d’opposition dans la région.
Mais pas de celui du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d’Ahmed Ould Daddah, qui lui a préféré Mohamed Ould Maouloud, désigné par la Coalition des forces du changement démocratique (CFCD). « Les alliances actuellement nouées par Ghazouani dans le Trarza, notamment avec Boydiel Ould Houmeid, seront déterminantes », prédit un proche.
Vote tribal
Ould Boubacar mène une autre bataille : celle pour la deuxième place de la présidentielle, qu’il espère ravir à Mohamed Ould Maouloud (patron de l’UFP), ou au leader antiesclavagiste Biram Ould Abeid (Ira-Sawab), qui jouit d’une très forte popularité auprès des jeunes. Deux autres prétendants, Kane Hamidou Baba (Vivre ensemble) et Mohamed Lemine El-Mourteji El-Wavi, expert-comptable, totalement inconnu jusqu’ici, font figure d’outsiders. D’une même voix, l’opposition dénonce la partialité de la commission électorale et le marché de fabrication des bulletins de vote attribué à Zeine El Abidine, patron des patrons… et ami d’Aziz. Mais elle ne parvient pas à trouver un consensus sur l’éventuel ralliement à l’un de leurs candidats en cas de second tour.
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« Un soutien à Ould Boubacar n’est pas encore acté, confie un responsable de l’UFP. Il doit nous prouver qu’il appartient bien à l’opposition. En tant qu’ancien ministre de Maaouiya Ould Taya, il doit se positionner ouvertement sur de grands dossiers, comme le passif humanitaire. » El Hadj Fall, porte-parole de Biram, affirme lui aussi que rien n’est encore décidé.
S’il n’est pas élu, Ould Boubacar, 62 ans, sait qu’il aura tout de même une carte à jouer au sein de l’opposition, dont les leaders historiques sont désormais âgés. « Il est assez jeune pour tenter cette aventure et donner un nouvel élan à sa carrière, juge un proche. Mais s’il ne fait pas entre 10 % et 20 %, il disparaîtra du paysage politique. »
La main d’Aziz ?
Après avoir fait du patron du port de Nouakchott, Niang Djibril Hamadi, son directeur de campagne, Ould Ghazouani s’est entouré de ministres pour composer son équipe : Mohamed Abdel Vetah (Pétrole) a pris la tête de la commission financière, Nany Ould Chrougha (Habitat), celle des opérations électorales, et Moctar Ould Diay (Économie et Finances) dirige la logistique. Des anciens ministres, comme Thiam Diombar (Finances) ou encore Yayha Ould Kebd (Décentralisation), sont eux conseillers.
À ceux – très nombreux – qui voient dans ces choix la patte de Mohamed Ould Abdelaziz, Ould Ghazouani a indirectement répondu en choisissant son ami Sid’Ahmed Ould Raïss comme directeur adjoint de campagne. Cet ancien gouverneur de la Banque centrale, qui fut aussi ministre de l’Économie, avait, par le passé, été écarté par le président.
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