France-Afrique : la chute de Claude Guéant, le « Monsieur Afrique » de Nicolas Sarkozy

Condamné pour détournement de fonds publics, l’ex-ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy vient d’être déchu de sa Légion d’honneur.

Nicolas Sarkozy, accompagné de Claude Guéant, en décembre 2011. © Michel Euler/AP/SIPA

Nicolas Sarkozy, accompagné de Claude Guéant, en décembre 2011. © Michel Euler/AP/SIPA

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Publié le 3 juin 2019 Lecture : 4 minutes.

C’est un simple arrêté publié au Journal officiel, le 17 mai. Le grand chancelier de la Légion d’honneur y indique que « M. Claude Guéant, né le 17 janvier 1945 à Vimy (Pas-de-Calais) » est privé de manière définitive de « l’exercice de tous les droits et prérogatives attachés » à sa décoration de chevalier. Un ­deuxième arrêté l’exclut également de l’Ordre national du mérite, dont l’ex-ministre français de l’Intérieur est commandeur.

Des sanctions liées à sa condamnation, en janvier dernier, à deux ans de prison, dont un ferme, pour détournement de fonds publics, dans le cadre de l’affaire des primes en liquide distribuées lorsqu’il était directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy à l’Intérieur puis à l’Économie. Difficile de tomber plus bas lorsqu’à la condamnation pénale s’ajoute ainsi le déshonneur.

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Interrogé par JA, l’intéressé soupire : « Cela me fait de la peine, évidemment. C’est injuste. Il s’agit de la suite automatique du rejet de mon pourvoi par la Cour de cassation. Je continue à penser que la décision de la Cour n’est pas fondée en droit, mais je n’y peux plus rien. »

Fin de partie

La privation de ses décorations, pour symbolique qu’elle soit, sonne comme une fin de partie pour celui qui, entre 2007 et 2012, joua souvent le rôle de « Monsieur Afrique » de Nicolas Sarkozy.

Le président français s’intéressait peu au continent et se reposait beaucoup sur celui qui avait dirigé sa campagne en 2007 avant d’entrer avec lui à l’Élysée, comme secrétaire général. Est-ce que Claude Guéant s’est découvert un intérêt particulier pour l’Afrique ?

« C’est une histoire plus ancienne et plus personnelle que ça, corrige-t-il. Pendant mon service militaire, j’avais eu l’occasion de passer cinq mois à Bangui. Puis au ministère de l’Intérieur, où l’on fait beaucoup de politique étrangère, et à l’Élysée j’ai appris à connaître certains chefs d’État africains. »

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Certains l’ont-ils appelé pour le réconforter après le retrait de ses décorations ? « Non, reconnaît-il. Je n’entretiens pas beaucoup mes relations en Afrique, même si c’est un continent que j’aime beaucoup. »

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Financement libyen

Le « vice-président » Guéant a pourtant consacré beaucoup de temps à la Côte d’Ivoire, parvenant à retisser des liens avec Laurent Gbagbo, sans oublier, à la veille de l’élection de 2010, d’aller rencontrer Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, le favori de Paris. Mais la grande affaire africaine de la présidence Sarkozy reste, bien sûr, la Libye. De la visite officielle de Mouammar Kadhafi en début de quinquennat à l’intervention des forces françaises en 2011, le feuilleton rythme le mandat de Nicolas Sarkozy.

L’ex-chef de l’État libyen a-t-il financé une partie de la campagne présidentielle de son « ami » Nicolas en 2007 ? L’enquête suit son cours, les preuves et les témoignages s’accumulent, les noms de Seif el-Islam Kadhafi, de Ziad Takieddine, de Béchir Salah ou de Moussa Koussa défilent, et tous pointent vers un homme : Claude Guéant, qui aurait été l’émissaire de la France dans l’affaire.

En 2012, la victoire de François Hollande à la présidentielle l’a obligé à se reconvertir. Candidat aux législatives dans une circonscription réputée imperdable, le « cardinal » (un autre de ses surnoms) est battu. Il devient alors avocat et, parallèlement, s’investit dans une activité de consultant et de « VRP de luxe », notamment en Afrique.

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Trois enquêtes

Usant de son carnet d’adresses, entouré de son fils et de son gendre, l’homme d’affaires Jean-Charles Charki, parfois de ses amis Robert Bourgi et Alexandre Djouhri, il sillonne le continent « pour faire du conseil que les États estiment utile, appuyer des dossiers d’entreprises françaises à l’étranger, en Afrique comme ailleurs », explique-t-il en 2013 au Journal du Dimanche.

On le verra au Gabon, au Togo, où il tente de faire libérer l’ancien PDG d’Elf, Loïk Le Floch-Prigent, au Sénégal, en Centrafrique et au Congo, où son gendre veut créer une zone économique spéciale… En octobre 2012, il tente de convaincre le président équato-­guinéen d’investir dans deux avions fabriqués par une société française en difficulté, Sky Aircraft. Teodoro Obiang Nguema Mbasogo le reçoit mais ne donne pas suite.

Lui met-on des bâtons dans les roues ? Est-il visé, comme il le laisse entendre, par un « cabinet noir » que le ministre de l’Intérieur de François Hollande, Manuel Valls, aurait mis sur pied pour lui nuire ? Il en est convaincu.

Aujourd’hui, à 74 ans, Claude Guéant est à terre, et la justice française est loin d’en avoir fini avec lui. Les enquêtes sur le financement libyen de la campagne de 2007, sur les sondages commandés par l’Élysée et sur l’arbitrage du dossier Tapie continuent. L’ancien préfet austère, le grand commis de l’État, doit parfois, peut-être, se demander ce qu’il est venu faire dans ce marigot qu’on appelle la politique.

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