Innovation : Nozha Boujemaa : « Il faut bâtir une “IA de confiance” »
La Franco-Tunisienne Nozha Boujemaa, directrice scientifique du groupe d’imagerie médicale Median technologies, est devenue une figure de référence de l’Intelligence artificielle (IA),conseillant notamment la Commission européenne
Un Women in Business Meeting placé sous le signe de l’innovation
250 dirigeantes africaines de haut niveau sont attendues à Paris, les 17 et 18 juin prochains, pour débattre de la place des femmes dans les sciences et des effets de la 4e révolution industrielle sur leurs entreprises.
Jeune Afrique : Aujourd’hui, toutes les entreprises, quels que soient leur taille ou leur secteur d’activité, peuvent-elles utiliser l’intelligence artificielle (IA) ?
Nozha Boujemaa : Oui. En fait la difficulté ne vient pas de l’IA en elle-même mais des données. Les gens n’ont pas encore compris à quel point leur structuration est importante. Une entreprise qui veut utiliser l’IA doit pouvoir les exploiter même si elles sont multisources, donc elles doivent être structurées.
On parle tout le temps des algorithmes, mais l’algorithme n’est que le moteur. Le carburant, ce sont les données. Ensuite, il y a la question des compétences. Pour déployer un système d’IA, un ingénieur logiciel ne suffit pas, il faut vraiment détenir un savoir assez avancé en science des données.
Pour illustrer tout cela, quel usage en faites-vous dans votre entreprise, Median Technologies ?
Notre secteur, c’est la médecine personnalisée, et plus précisément l’imagerie médicale. Nous extrayons des indicateurs qui permettent aux professionnels d’émettre des pronostics. Nous travaillons avec les radiologues et nous les aidons dans leurs prises de décision.
Concrètement, quand ils ne sont pas complètement sûrs de l’interprétation de leurs données, ils disposent d’un moteur de recherche qui va étudier une masse considérable de cas similaires et leur donner des informations statistiques – dans tel cas, le diagnostic a été le suivant – pour aboutir à une décision. Nous travaillons aussi avec les laboratoires pharmaceutiques.
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On les aide à économiser du temps et de l’argent grâce à l’innovation thérapeutique et en leur permettant d’aller chercher des informations pronostiques sur les « patients répondeurs ». C’est très important en immuno-oncologie, où on sait, par exemple, que certains traitements ne sont efficaces que sur 20 % des patients.
C’est un outil de plus, une amélioration de celui qui existe? Ou est-ce vraiment une révolution?
Ce n’est pas une technologie comme les autres, mais elle est indispensable. L’humain n’est pas capable de traiter tout seul la somme des données dont il dispose. Nous devons donc nous adapter, déployer cette technologie tout en gardant la maîtrise sur elle.
L’IA n’est ni une baguette magique ni quelque chose d’intrusif ou de dangereux en soi, ce qu’il faut, c’est mettre en place des garde-fous
Le danger, c’est de la survendre. L’IA n’est ni une baguette magique ni quelque chose d’intrusif ou de dangereux en soi. Ce qu’il faut, c’est mettre en place des garde-fous pour bâtir ce qu’on appelle une « IA de confiance » : qui soit robuste, qui respecte des valeurs éthiques, ne dégénère pas vers des formes de discrimination involontaire ou vers de la manipulation politique, comme on a déjà pu le voir.
Les spécialistes comme vous se posent donc la question de l’acceptation sociale et des mesures d’encadrement de l’IA ?
Bien sûr. C’est pour cela qu’avant de rejoindre Median j’avais fondé l’institut DataIA, une organisation interdisciplinaire qui mêle des spécialistes des technologies, des sociologues, des philosophes ou des juristes. Sur ces sujets, il y a toujours des débats entre les techno-sceptiques et les enthousiastes qui ne veulent rien réguler.
Je pense que la régulation n’est pas la bonne réponse, mais il faut veiller à une certaine transparence, être conscient des responsabilités et vigilant pour la gestion des éventuels risques occasionnés.
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Va-t-elle détruire des emplois ?
Certains le disent, mais je n’y crois pas. Des emplois vont disparaître, mais de nouveaux seront créés. Dans ce domaine aussi l’IA est transformante, et c’est tant mieux : elle va remplacer l’intelligence humaine pour les tâches répétitives et lui permettre de se consacrer à des choses plus importantes.
Avez-vous vu émerger des initiatives intéressantes en Afrique, dans ces domaines ?
J’ai rencontré des gens extrêmement brillants. Il y a déjà de très bonnes formations sur le continent, et grâce à internet les étudiants ne sont pas limités aux cours disponibles sur place, ils se forment aussi en ligne. Le vivier et les formations sont là, la démographie est favorable. La seule inquiétude que j’ai, c’est que les talents partent à l’étranger. Il faut mettre les moyens pour que les plus brillants aient envie de rester.
Quant aux domaines à explorer, j’en ai déjà parlé avec certains collègues africains : il faut qu’ils collectent les données sur les problématiques qui se posent à eux. Les infrastructures, l’eau, l’environnement, l’énergie…
Les données, c’est la clé, c’est une richesse, je le répète. Tout ça peut ouvrir de très gros marchés, notamment dans les infrastructures. Mais tout reste à faire.
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