Togo : Blair, DSK, Zinsou… les conseillers libéraux de Faure Gnassingbé

Pour élaborer et mettre en application son plan de développement, l’exécutif s’est appuyé sur le savoir-faire d’experts étrangers et nationaux.

Dominique Strauss-Kahn, alors directeur général du FMI, avec Faure Gnassingbé, en 2008. © stephen jaffe/AFP

Dominique Strauss-Kahn, alors directeur général du FMI, avec Faure Gnassingbé, en 2008. © stephen jaffe/AFP

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Publié le 13 juin 2019 Lecture : 5 minutes.

Avenue de la Paix, à Lomé. © Salifou Ouzerou/Jeune Afrique
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Changement d’horizon au Togo

Le chef de l’État, Faure Gnassingbé, s’appuie sur le Plan national de développement (2018-2022) pour transformer le pays en profondeur, multiplier les projets et attirer les investisseurs.

Sommaire

Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es. À force d’afficher sa complicité avec les chantres du social-libéralisme, Faure Gnassingbé apparaît désormais comme leur cousin africain. Pour élaborer son Plan national de développement (PND) 2018-2022, le président les a beaucoup consultés. Le plus familier de ses visiteurs est l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair.

Le 4 avril dernier, l’ex-patron du Parti travailliste effectuait l’un de ses nombreux séjours au Togo, où sa fondation – le Tony Blair Institute for Global Change (TBI) – apporte son appui à la mise en œuvre des projets structurants du PND. Les affinités du président avec l’icône du New Labour sont nombreuses. Leur tropisme pro-business pourrait expliquer une partie des orientations économiques du Togo, dont l’axe principal est de privilégier la croissance et la création d’emplois.

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Sorciers blancs, libéraux de gauche

Cette philosophie, qui croit en la créativité du secteur privé et prône un marché du travail flexible, considère la mondialisation comme une occasion dont il faut se saisir. Pour ne pas effrayer les investisseurs, il faut alléger les charges, notamment fiscales.

Depuis la démission de DSK de l’institution, en 2011, le pays a sollicité ses conseils pour l’aider à boucler ses programmes avec le Fonds

Blair n’est pas le seul sorcier blanc libéral de gauche familier du palais présidentiel de Lomé-II. Faure Gnassingbé reçoit régulièrement le socialiste français Dominique Strauss-Kahn (DSK) qui, lorsqu’il était encore directeur général du FMI, confiait déjà que le Togo était « cher à son cœur ».

Depuis la démission de DSK de l’institution, en 2011, le pays a sollicité ses conseils pour l’aider à boucler ses programmes avec le Fonds, lequel requérait notamment de moderniser la gestion des finances publiques. Si, selon un proche du dossier, les collaborateurs de Christine Lagarde ont catégoriquement exclu toute collaboration avec Strauss-Kahn, l’infréquentable DSK a probablement été utile en coulisses. Toujours est-il que le Togo a bouclé ses trois revues avec le FMI.

Carlos Lopes et Samuel Esson Jonah

Sur la liste des experts consultés par Faure Gnassingbé pour l’élaboration du PND figurent aussi l’homme d’affaires ghanéen Samuel Esson Jonah, ex-patron d’AngloGold Ashanti et actuel président exécutif de Jonah Capital (fonds d’action implanté à Johannesburg, en Afrique du Sud), et l’économiste bissau-guinéen Carlos Lopes, ex-secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique.

Carlos Lopes © Vincent Fournier/JA

Carlos Lopes © Vincent Fournier/JA

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Selon nos informations, ce dernier était contre les agropoles, estimant qu’elles sont une bonne idée en théorie, mais que leur mise en œuvre nécessite le règlement de questions foncières complexes, présente des problématiques de stockage et d’évacuation des produits, suppose l’existence d’un marché, etc. Sur ce terrain, il s’est opposé à Serge Marie Nguessan, alors représentant-résident de la BAD au Togo, qui, lui, ne trouvait aucun caractère insurmontable à ces obstacles.

Garde rapprochée économique 

Tous les visiteurs qui ont l’oreille du président togolais étaient conviés au lancement officiel du PND, le 4 mars dernier, par Faure Gnassingbé lui-même. Parmi eux, son ancien Premier ministre Gilbert Houngbo, aujourd’hui président du Fonds international de développement agricole (Fida), l’un des plus importants des Nations unies, ou encore le banquier d’affaires et ancien chef du gouvernement béninois Lionel Zinsou.

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Sans compter la garde rapprochée économique du président, composée notamment de Victoire Tomégah Dogbé, sa directrice de cabinet et ministre du Développement à la base, de Kanka-Malik Natchaba, coordonnateur de la cellule présidentielle d’exécution et de suivi des projets prioritaires, et de Sandra Ablamba Johnson, ministre déléguée, chargée de la cellule climat des affaires (CCA. Manquait à l’appel, lors de cette cérémonie, l’éminence grise Anne Lauvergeon, l’ex-présidente du directoire d’Areva. En 2011, la Française était membre du Conseil présidentiel sur l’investissement, un think tank chargé de conseiller l’exécutif dans sa stratégie de développement.

• Sandra Ablamba Johnson

Sandra Ablamba Johnson (Togo), ministre déléguée, coordonnatrice nationale de la cellule climat des affaires au sein du cabinet présidentiel. Lomé, le 31 mai 2019. Copyright Piment pour JA © Piment pour JA

Sandra Ablamba Johnson (Togo), ministre déléguée, coordonnatrice nationale de la cellule climat des affaires au sein du cabinet présidentiel. Lomé, le 31 mai 2019. Copyright Piment pour JA © Piment pour JA

Promue ministre déléguée le 19 mars, Sandra Ablamba Johnson est la cheville ouvrière des réformes qui valent au Togo un bond de 19 places dans le classement « Doing Business » 2019 de la Banque mondiale.

Économiste du développement formée à l’université de Lomé, elle travaille sous l’autorité directe du président, dont elle a intégré le cabinet en 2012. Forte de son soutien, la cellule climat des affaires, que Sandra Ablamba Johnson coordonne depuis 2017, dépoussière les anciennes pratiques : allègement des procédures administratives de transfert de propriété, baisse de 30 % des frais de raccordement au réseau électrique, remplacement de la taxe sur le chiffre d’affaires (TCA) par une patente, possibilité de déclarer et payer ses impôts en ligne, suppression de quatre taxes, dématérialisation de la procédure de demande de permis de bâtir…

Une loi a été adoptée portant création des tribunaux du commerce, mais pour Sandra Ablamba Johnson la révolution est d’abord numérique, d’où le chantier de l’e-justice : désormais, il est possible de déposer une plainte initiale par voie électronique, de régler les frais de justice en ligne, de consulter l’enrôlement des dossiers, etc. La cellule a également obtenu la numérisation complète du registre du commerce, c’est-à-dire la possibilité de soumettre en ligne son dossier de création d’entreprise.

• Kanka-Malik Natchaba

Malik Natchaba (Togo), 41 ans, coordonnateur de la cellule présidentielle d’exécution et de suivi des projets prioritaires (CPES) © Emmanuel Pita

Malik Natchaba (Togo), 41 ans, coordonnateur de la cellule présidentielle d’exécution et de suivi des projets prioritaires (CPES) © Emmanuel Pita

Depuis le 15 novembre 2017, c’est lui qui coordonne la delivery unit du PND, cette cellule intégrée au cabinet présidentiel où l’on parle le franglais et le jargon des geeks. « Le mandat est clair : suivre les projets prioritaires et veiller à ce que les goulets d’étranglement, qu’ils soient administratifs, techniques, financiers ou organisationnels, puissent être levés rapidement pour arriver au résultat recherché », résume Malik Natchaba, qui a retrouvé un bureau de conseiller à la présidence à la fin de 2017, après un « exil » de dix-sept mois au sein de la Société aéroportuaire de Lomé-Tokoin (Salt) en tant que directeur général.

Parmi les projets suivis : le dédoublement de la route nationale 1 (Lomé-Ouagadougou), l’agropole de Kara, le parc logistique multiservice de Lomé, le parc industriel d’Adétikopé… La cellule est chargée de faire des comptes rendus au chef de l’État afin que, le cas échéant, il puisse prendre des mesures pour lever les blocages. « Nous essayons de contribuer à la diffusion d’une certaine culture de l’urgence au sein de l’administration », précise le ministre-conseiller, diplômé en finances publiques de l’université d’Aix-en-Provence (France) et passé par le cycle international de l’École nationale d’administration (ENA, promotion Romain-Gary, 2003-2005) en France.

Victoire Tomégah Dogbé

Victoire Tomegah Dogbe est la première femme à devenir Première ministre du Togo. © Piment pour JA

Victoire Tomegah Dogbe est la première femme à devenir Première ministre du Togo. © Piment pour JA

Ancienne cadre du Pnud, titulaire d’une maîtrise en sciences économiques obtenue à l’université de Lomé, Victoire Tomégah Dogbé est rentrée au Togo en 2008 pour intégrer l’équipe du Premier ministre Gilbert Fossoun Houngbo et n’a plus quitté le gouvernement.

Sa principale mission : traduire en action la fibre sociale du chef de l’État. Non sans donner satisfaction puisque, le 15 mai 2009, ce dernie13r l’a nommée directrice de cabinet de la présidence, tout en la maintenant à la tête d’un portefeuille stratégique et étendu. En 2018, le taux d’exécution de la lettre de mission de son département ministériel était de 94 %, et son taux d’engagement sur le plan financier de 72,16 %.

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