Franc CFA : le serpent de mer de la monnaie unique de la Cedeao
Son lancement a été repoussé au moins quatre fois depuis 1983. La prochaine échéance a été fixée en 2020. Sera-t-elle respectée ? Rien n’est encore joué.
Franc CFA : ce qui doit changer
Les uns souhaitent abolir ce qu’ils présentent comme un anachronique symbole de la colonisation. Les autres redoutent de déstabiliser les économies de la zone par des initiatives précipitées. Pour enfin sortir de ce débat stérile, JA propose des pistes de réflexion.
Abuja, le 1er avril. Une vingtaine d’universitaires et de dirigeants des banques centrales des quinze pays de la Cedeao sont réunis autour du Ghanéen Kofi Konadu Apraku, commissaire pour la politique macroéconomique de l’instance régionale, et du Gambien Momodou Bamba Saho, directeur général de l’Agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest. L’objectif de la rencontre est double.
1. Réfléchir à « la sélection d’un consultant en vue de développer le design et le symbole de la monnaie unique de la Cedeao ».
2. « Discuter du nom » de cette devise, censée refléter les valeurs de la Communauté. Autrement dit : à un an et demi de l’entrée en vigueur supposée de la nouvelle devise, en 2020, son nom (envisagé il y a quelques années, « éco » semble avoir été abandonné), son aspect, et même l’identité de la personne qui sera chargée de faire des suggestions à ce sujet restent inconnus. Un appel à propositions a pourtant été lancé à l’adresse du grand public.
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Maintient officielle de l’échéance à 2020
Plus grave, les retards s’accumulent et les cafouillages se multiplient. Alors que les chefs d’État de la zone maintiennent officiellement l’échéance de 2020, seuls une poignée de pays sont prêts, comme l’a laissé entendre, l’an dernier, le Nigérien Mahamadou Issoufou.
Le lancement d’une monnaie unique a déjà été repoussé au moins quatre fois depuis 1983. D’où l’insistance des promoteurs de l’opération sur le respect de l’échéance de 2020
Censée parachever l’intégration économique ouest-africaine après l’instauration d’une zone de libre-échange, puis, en 2015, la mise en place progressive d’une union douanière, le lancement d’une monnaie unique a déjà été repoussé au moins quatre fois depuis 1983. D’où l’insistance des promoteurs de l’opération sur le respect de l’échéance de 2020.
Les gouverneurs des banques centrales ont, en principe, reçu le mois dernier les résultats d’une étude concernant trois points clés de la réforme.
1. Le régime de change de la future devise commune sera-t-il fixe, comme le franc CFA ; flexible, comme le naira nigérian et le cedi ghanéen ; hybride, comme le franc guinéen ?
2. La future banque centrale sera-t-elle indépendante des États et des Parlements, interventionniste ou restera-t-elle plus en retrait ?
3. La politique monétaire qui sera mise en œuvre donnera-t-elle, par exemple, la priorité à la stabilité des prix ou à la croissance ? Comme l’a rappelé, en février, Tiémoko Koné, gouverneur de la BCEAO, ce rapport a pour seul objectif de fournir des « éléments d’appréciation » en vue d’un « approfondissement de nos propres réflexions et de la mise en place de solutions consensuelles ». Pour compliquer un peu plus la prise de décision, le Parlement de la Cedeao a, au début de mars, exigé de l’Ivoirien Jean-Claude Brou, président de la Commission de la Cedeao, qu’il s’implique davantage dans le projet de monnaie unique.
L’ensemble de ces questions – nom, symbole, régime de change, modèle de la Banque centrale – sont au cœur d’une réunion des ministres des finances et des gouverneurs des Banques centrales des quinze pays de la Cedeao qui s’est ouverte lundi 17 juin à Abidjan. Ces recommandations seront ensuite soumises aux chefs d’État et de gouvernement de l’organisation régionale, lors de leur prochain sommet à Abuja, le 29 juin, a précisé l’Ivoirien Jean-Claude Brou, président de la Commission de la Cedeao.
Lancer de profondes réformes économiques avant l’instauration de la monnaie unique
Au demeurant, les principaux critères de convergence (réserves de change couvrant au moins trois mois d’importations ; déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB ; inflation inférieure à 10 %) ne sont pas respectés par la majorité des utilisateurs de la future monnaie commune.
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Les défenseurs de cette dernière soulignent l’existence de distorsions comparables au sein de la zone euro. À cela près qu’il existe une plus grande hétérogénéité des réactions aux chocs macroéconomiques entre les pays de la zone CFA et leurs voisins du reste de la Cedeao, ce qui ne simplifie certes pas l’adoption d’une monnaie commune.
C’est l’un des principaux arguments développés par des études récentes parues dans des publications aussi différentes que Investigación Económica (qui dépend de l’Université nationale autonome de Mexico), en avril, et la Revue économique et monétaire de la BCEAO, en décembre 2018. L’une et l’autre préconisent le lancement de profondes réformes économiques avant l’instauration de la monnaie unique. Reste à savoir si ces avertissements seront entendus par les chefs d’États de la région.
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