Franc CFA – Dominique Strauss-Kahn : « Le système actuel doit être sérieusement dépoussiéré »
Un an après la publication d’une étude très critiquée sur le franc CFA, l’ancien directeur général du FMI Dominique Strauss-Kahn met en avant la nécessité pour les Africains de retrouver la maîtrise de leur monnaie.
Franc CFA : ce qui doit changer
Les uns souhaitent abolir ce qu’ils présentent comme un anachronique symbole de la colonisation. Les autres redoutent de déstabiliser les économies de la zone par des initiatives précipitées. Pour enfin sortir de ce débat stérile, JA propose des pistes de réflexion.
Prudence ! Tel semble être le maître mot de Dominique Strauss-Kahn lorsqu’il reçoit Jeune Afrique dans une célèbre brasserie parisienne par un bel après-midi de printemps. Il y a un an, l’ancien ministre français de l’Économie, des Finances et de l’Industrie publiait, via Parnasse International, son cabinet de conseil, une étude intitulée « Zone franc. Pour une émancipation au bénéfice de tous ».
Ce document d’une trentaine de pages préconise douze pistes pour réformer la coopération monétaire entre la France et quatorze pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Ce qui n’a pas manqué de susciter des critiques. Celles notamment de Kako Nubukpo, l’ancien ministre togolais de la Prospective, qui salue certes le « louable travail d’économiste universitaire » de l’ex-directeur général du FMI, mais lui reproche aussi de définir « les modalités de sauvetage de l’influence française en Afrique ».
On comprend que « DSK », qui conseille désormais les chefs d’État du Congo-Brazza et du Togo (une activité dont il refuse de parler au nom du « secret professionnel »), pèse ses mots avec soin et insiste sur le fait que « c’est aux Africains de choisir ce qui est le mieux pour eux ».
Jeune Afrique : Vous avez publié en 2018 une étude proposant plusieurs pistes pour réformer la zone franc. C’est la première fois qu’une personnalité française ayant dans le passé joué un rôle de premier plan brise le tabou du franc CFA. Qu’est-ce qui vous a décidé à franchir le pas ?
Dominique Strauss-Kahn : Il est difficile de prétendre s’intéresser au développement de l’Afrique – francophone, notamment – sans se poser la question de son système monétaire, surtout quand celui-ci fait l’objet de critiques, parfois fondées et parfois un peu moins.
Il m’a semblé que le moment était venu d’essayer d’apaiser et d’élargir le débat. Il est ici question du rattachement du franc CFA à l’euro. Le sujet devrait donc concerner l’ensemble des Européens, et pas seulement les Français. D’une manière ou d’une autre, il fallait s’engager, prendre position.
Les zélateurs du franc CFA exagèrent. Mais ses détracteurs aussi !
Le fait que vous soyez le conseiller de certains chefs d’État africains en matière budgétaire – et d’endettement – a-t-il pesé dans votre décision ?
Bien sûr, mais moins que l’intérêt que j’ai toujours porté à l’Afrique. Lorsque j’étais au FMI, j’ai ainsi procédé, dans le prolongement de la conférence de Dar es-Salaam, en 2009, à une refonte complète des relations entre le Fonds et les pays africains.
En publiant cette étude, mon objectif n’était pas de faire à tout prix la promotion de mes idées. Mais, en me fondant sur mon expérience, d’apporter un point de vue aussi ouvert et désintéressé que possible. Certains considèrent que le franc CFA a nui aux pays africains et qu’il doit disparaître. Je pense qu’ils exagèrent. D’autres estiment au contraire qu’il a joué un rôle formidable. Je pense qu’eux aussi exagèrent.
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La réalité est qu’il a eu des avantages et des inconvénients, mais l’important est désormais de se demander ce qui est le mieux pour l’avenir. Et ça, c’est avant tout aux Africains de le dire. Je pense que leurs responsables politiques et de nombreux économistes africains connaissent parfaitement le sujet. Mais je suis heureux de pouvoir contribuer à cette réflexion.
Vous proposez la tenue d’un sommet des chefs d’État de la zone franc, incluant le président français. Une sorte de sommet de la Françafrique, en somme. N’est-ce pas en contradiction avec l’émancipation que, par ailleurs, vous prônez ?
Mon objectif était simplement de réunir toutes les parties prenantes au plus haut niveau. Mais j’ai également dit, à plusieurs reprises, qu’il fallait y associer d’autres Européens, à commencer par les Allemands, et que des experts internationaux non européens devaient siéger dans les conseils d’administration des banques centrales, afin d’ouvrir et d’élargir le débat. Vous savez que l’actualité politique et militaire donne, hélas, l’occasion aux responsables français et africains de se rencontrer fréquemment. La monnaie aussi vaut bien une réunion !
Quel serait alors le but d’une telle rencontre ?
Je pense qu’il faut sortir du non-dit. De la façon la plus calme, pacifique et constructive possible, les parties concernées – et la France, bien sûr, est concernée – doivent trouver la solution la plus avantageuse pour tout le monde. Le système actuel doit être sérieusement dépoussiéré, des rigidités doivent disparaître. Si l’on y parvient, le maintien d’une zone monétaire liée à l’euro présente, selon moi, de nombreux avantages…
Vous recommandez la suppression de ce que vous appelez des « symboles peu défendables ». En particulier, le nom et le lieu d’impression du franc CFA. Vous dites aussi que les comptes d’opérations auprès du Trésor français pourraient être avantageusement remplacés par d’autres comptes ouverts à la Banque des règlements internationaux (BRI). Mais la BCEAO, par exemple, a déjà un compte à la BRI !
Il faut distinguer deux choses. D’abord, l’endroit où les banques centrales déposent leurs réserves. Le fait que la BCEAO ait déjà un compte à la BRI montre qu’elle pourrait y déposer sans aucun problème l’intégralité de ses réserves. Contrairement à ce que prétendent nombre de ses détracteurs, le fameux compte d’opérations n’est nullement un avantage pour le Trésor français.
Que le régime de change soit fixe ou flottant, il n’y a pas de solution miracle
Cela a pu être le cas, dans une certaine mesure, dans le passé, quand le franc devait se défendre tout seul et que toute réserve était bonne à prendre, mais ça ne l’est plus du tout aujourd’hui avec l’euro. Il y a ensuite la garantie illimitée, qui ne devrait pas reposer uniquement sur la France mais sur l’ensemble des pays européens. Ces derniers doivent se sentir concernés par l’importance de fournir un ancrage à une monnaie unique africaine.
Vous proposez aussi de revoir la parité fixe qui lie le CFA à l’euro…
C’est un régime de change qui, à long terme, crée une rigidité nullement profitable aux pays concernés. C’est si vrai qu’en 1994 il a fallu procéder à une dévaluation violente, parce que cette parité fixe ne pouvait être maintenue au niveau qui était le sien. Peut-être aurait-il mieux valu disposer d’un système plus souple permettant une évolution régulière de la parité.
Ceci dit, que le régime de change soit fixe ou flottant, il n’y a pas de solution miracle. Tout régime de change a ses avantages et ses inconvénients. Même si ce n’est pas l’avis de tous, je pense que le lien du CFA avec l’euro présente un certain nombre d’avantages pour les Africains, à condition qu’ils retrouvent la maîtrise de leur monnaie.
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Et ce n’est pas le cas ?
Ce que les Africains reprochent au rattachement du CFA à l’euro, c’est une sorte de néocolonialisme. Le fait que certains administrateurs des banques centrales africaines soient français, et que, lorsque survient une difficulté, il leur faille en discuter avec la France, leur donne le sentiment qu’ils ne sont pas complètement autonomes en matière monétaire. On pourrait très bien, et c’est l’évolution que je propose, faire en sorte que cette autonomie soit affirmée et fondée sur une coopération nouvelle.
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