Hydrocarbures : le sénégalais Locafrique s’offre la SAR
Entré dans le capital de la Société africaine de raffinage en 2017, Khadim Bâ, patron du spécialiste du crédit-bail, est aujourd’hui en passe d’en prendre le contrôle.
À 35 ans, Khadim Bâ est sur le point de remporter son pari après plus d’un an de suspense. À la fin de juin, l’homme d’affaires devrait contrôler 51 % du tour de table (moyennant 70 millions d’euros) de la très stratégique Société africaine de raffinage (SAR). Le montant a déjà été mobilisé, selon le jeune patron, qui a d’ailleurs récemment rencontré Mouhamadou Makhtar Cissé, le nouveau ministre du Pétrole et de l’Énergie pour les derniers réglages du deal.
Diplômé de HEC Montréal en management des hydrocarbures, Khadim Bâ s’est fait connaître en redynamisant la société Locafrique, spécialisée dans le crédit-bail agricole. En 2013, l’établissement financier, qui a obtenu son agrément en 1974, a noué un partenariat sur dix ans avec l’initiative Feed the Future, de l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid), afin de mobiliser près de 12 milliards de F CFA (plus de 18 millions d’euros) d’investissements au profit de producteurs, principalement dans la vallée du fleuve Sénégal.
J’ai appris que 34 % de la SAR étaient à vendre avec une option sur les 17 % détenus par Petrosen, je n’ai pas hésité une seconde
Depuis 2015, il participe également, à hauteur de 20 milliards de F CFA au financement des campagnes d’achat de graines de la Sonacos. En août 2017, Khadim Bâ est entré dans le capital du plus ancien raffineur d’Afrique de l’Ouest, créé en 1961, en rachetant 34 % du capital au saoudien Binladen Group, via sa filiale Petroleum, Chemicals & Mining Company (PCMC). Le reste de l’actionnariat se partage entre Petrosen, Total et le conglomérat international Sahara Group.
À l’en croire, tout s’est passé par le plus grand des hasards. « En 2017, alors que nous finalisions le financement de la campagne arachidière, j’ai appris que 34 % de la SAR étaient à vendre avec une option sur les 17 % détenus par Petrosen [bras armé de l’État dans le secteur pétrolier]. Je n’ai pas hésité une seconde », explique-t-il.
Des investissements estimés à 400 milliards de F CFA
Son entrée au tour de table de la raffinerie, implantée à Mbao, à 15 km au sud de Dakar, ne s’est toutefois pas faite sans heurts. Il s’attaque immédiatement aux problèmes de gouvernance et dénonce un contrat de 400 milliards de F CFA, signé sans appel d’offres, en janvier 2017, avec Oryx Energies, par Oumar Diop, l’ancien directeur général de la SAR, limogé depuis. « Aujourd’hui, toutes les tensions de trésorerie que nous connaissons sont dues à ces anciens contrats et au blocage des prix des produits pétroliers par le gouvernement. C’est dommage, mais nous sommes en train de passer à une nouvelle phase », répond-il, mi-résigné, mi-déterminé à mettre en œuvre son projet industriel.
À cause du choix de Dakar de subventionner les prix des produits pétroliers, l’entreprise traîne une dette d’environ 102 milliards de F CFA. Mais sa direction est en passe de finaliser un accord avec Afreximbank afin de restructurer cette créance, révèle Khadim Bâ, qui vante les avancées enregistrées en matière de gouvernance. L’entreprise dirigée par Serigne Mboup, ancien patron de Petrosen, passe désormais tous ses contrats d’approvisionnement suivant des appels d’offres internationaux.
Nous avons gagné environ 9 millions d’euros par rapport à l’ancien contrat qui nous liait à Addax
Seul héritage du passé en la matière, un contrat de quatre ans signé avec Itoc pour la fourniture de gaz que la direction essaie de résilier, car il implique, selon elle, un surcoût de 30 dollars par tonne (400 000 tonnes métriques). Résultat, le dernier contrat a été remporté par Der Mond Oil and Gas, qui a fourni un crédit de 40 milliards de F CFA. Ce groupe implanté à Abou Dhabi a été fondé en 2016 par Khadidiatou Bâ, sœur de Khadim, passée par la société de services pétroliers Schlumberger. « Nous avons gagné environ 9 millions d’euros par rapport à l’ancien contrat qui nous liait à Addax », se félicite-t-il.
Autre gros obstacle sur son chemin lors de son arrivée, le refus de l’ex-ministre sénégalais du Pétrole, Mansour Elimane Kane, d’appliquer l’accord signé avec Locafrique prévoyant le transfert de 17 % des 45 % du capital du raffineur détenus par Petrosen. En cause, deux visions stratégiques antagonistes pour le futur de la SAR. L’ancien ministre souhaitait la construction immédiate d’une nouvelle raffinerie, quand le patron de Locafrique optait pour une extension de sa capacité de traitement (de 1,2 million à 2 millions de t par an), avant d’envisager une nouvelle infrastructure d’ici à sept ans.
Une modernisation de l’entreprise à venir
Aux yeux de Khadim Bâ, il est impératif que la SAR se modernise afin de pouvoir jouer pleinement son rôle dans un Sénégal bientôt producteur de pétrole et de gaz. Elle devra raffiner les premiers barils de brut qui seront extraits de l’offshore du pays, à Sangomar, d’ici à 2022. Mais cela implique des investissements qui, seuls, pourront pérenniser l’outil. Ces derniers, estimés à 400 milliards de F CFA, permettront de finaliser la transformation de la raffinerie, qui réalise un chiffre d’affaires annuel de près de 1 000 milliards de F CFA, mais une perte de 1 milliard de F CFA en 2019, selon les prévisions.
Ce montant sera financé à hauteur de 20 % par Locafrique, le reste par ses partenaires bancaires et par le Fonds de sécurisation des importations de produits pétroliers (FSIPP), compte tenu de la mission de service public jouée par la SAR, selon Serigne Mboup.
Nous ne pouvons plus rester uniquement dans l’importation et le raffinage, dont les marges sont minimes
Le top management de la raffinerie suit de très près le projet Gas-to-Power de la Senelec, qui cherche à mettre au gaz la plupart de ses centrales électriques. Premier client de la SAR, l’énergéticien public représente environ 200 milliards de F CFA du chiffre d’affaires annuel de cette dernière. « Stratégiquement, il faut que nous participions à ces investissements-là. Nous ne pouvons plus rester uniquement dans l’importation et le raffinage, dont les marges sont minimes », martèle Khadim Bâ.
« Ce n’est pas un trader, il a une vraie vision industrielle de la pérennité de l’outil », juge Samuel Sarr, ancien directeur général de la Senelec et ministre de l’Énergie d’Abdoulaye Wade, aujourd’hui administrateur de Locafrique auprès de la SAR. Autre ambition du chef d’entreprise : travailler avec les banques locales et les pousser à participer davantage au financement de l’économie. Par exemple, au cours des huit derniers mois, il s’est associé avec la Banque nationale de développement économique pour financer, à hauteur de 85 milliards de F CFA, ses importations de fioul. Des partenariats de ce type sont en train d’être noués avec Coris Bank et UBA Sénégal.
Khadim Bâ, seul aux commandes
Acquis en 2011 par Carrefour Automobiles afin de proposer des solutions de financement aux acheteurs de ses véhicules, Locafrique est aujourd’hui totalement séparé de l’entreprise fondée par Amadou Bâ. Ce dernier, dont la société connaît des difficultés, goûte d’ailleurs peu l’émancipation de son fils Khadim, directeur général du spécialiste du crédit-bail. Les deux hommes sont en conflit depuis 2017 et ont porté leur différend devant la justice. « Locafrique est mon projet de A à Z », insiste Khadim Bâ.
Au départ financée par les banques locales, l’entreprise, très active dans le monde agricole s’est tournée pour se développer vers les banques internationales et de développement. Elle affiche en 2018 un bilan de 136 milliards de F CFA (207 millions d’euros) et dispose d’une cinquantaine d’agences au Sénégal. L’entreprise est par ailleurs actionnaire d’Afreximbank pour une valeur de 2 millions d’euros, selon son patron.
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