Gabon – Julien Nkoghe Bekale : « Les choses se passent normalement avec le président »
Nommé en janvier, le Premier ministre défend les réformes menées depuis la convalescence d’Ali Bongo Ondimba : réduction des dépenses, diversification de l’économie, lutte contre l’inflation…
Julien Nkoghe Bekale est aussi pragmatique que diplomate. Alors qu’il reçoit, le 18 juin, plusieurs des ministres remerciés quelques jours plus tôt lors du dernier remaniement, il s’efforce de détendre l’atmosphère et prend soin d’avoir un mot aimable pour chacun. L’important, ce magistrat de 57 ans en a bien conscience, c’est de préserver la cohésion de la famille politique.
Baron du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) à Ntoum, dans l’Estuaire, cet ex-ministre du Pétrole est, depuis le 12 janvier, le Premier ministre d’un pays dont le président se relève d’un AVC. Les temps sont compliqués, et Julien Nkoghe Bekale se sait épié. Il choisit soigneusement ses mots tandis qu’il explique l’action de son gouvernement.
Jeune Afrique : Quand vous avez été nommé, le président était en indisponibilité temporaire. Comment fonctionne l’exécutif avec un chef convalescent ?
Julien Nkoghe Bekale : L’état de santé du président de la République s’est nettement amélioré, et il a repris ses activités. Ses homologues africains qui sont venus lui rendre visite ces dernières semaines, ainsi que les très nombreux Gabonais qui ont été reçus au palais, peuvent en témoigner. Le fonctionnement de l’exécutif est donc tout à fait conforme à ce que les textes et la pratique indiquent. Le chef de l’État préside, et le Premier ministre que je suis applique ses orientations avec l’ensemble du gouvernement et de l’administration. En un mot, les choses se passent le plus normalement possible.
Mais comment procédez-vous lorsqu’un dossier nécessite un arbitrage présidentiel, d’autant que, pour l’instant, le chef de l’État travaille en se ménageant…
Je procède comme le Premier ministre doit procéder en pareil cas. Je demande à rencontrer le chef de l’État et je soumets à son appréciation le dossier en question. Les arbitrages sont aussi rendus lors des Conseils des ministres, puisque le président Ali Bongo Ondimba a repris ses activités.
Vous avez opéré, le 10 juin, un remaniement qui a réduit la taille du gouvernement. Celui-ci compte désormais 28 ministres, contre 38 auparavant. Pourquoi ?
Le chef de l’État voulait un gouvernement restreint, exemplaire, composé d’hommes et de femmes engagés et déterminés à accélérer les réformes. Ali Bongo Ondimba veut une équipe capable de répondre aux préoccupations des Gabonaises et des Gabonais en matière d’infrastructures routières, d’accessibilité à l’eau et à l’électricité, capable aussi d’améliorer le taux d’employabilité des jeunes par une meilleure offre d’éducation et de formation professionnelle.
Les ministères de la Justice et de l’Intérieur ont fusionné. N’est-ce pas une violation du principe de la séparation des pouvoirs ?
Non, puisqu’ils font tous deux partie de l’exécutif. Ce principe de séparation s’applique aux trois pouvoirs que sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Et le Gabon n’est pas le premier pays à créer un tel ministère.
Juges, parquetiers et policiers n’ayant qu’un seul chef, faut-il s’inquiéter d’éventuelles atteintes aux libertés publiques ?
Je peux entendre certaines des inquiétudes exprimées ici et là. Mais ce qu’il faut, c’est que nous renforcions les politiques publiques en matière de protection des libertés et de sécurité des biens et des personnes. La fusion des deux ministères répond à cet objectif.
Votre équipe a déjà été modifiée à deux reprises. Est-ce qu’il faut s’attendre à d’autres changements ?
Il ne faut pas y voir une forme d’instabilité, mais plutôt une dynamique dictée par l’exigence de résultat. Les contingences sociales, économiques et politiques nous amènent à nous adapter sans cesse.
Comment juger de la performance des gouvernements que vous constituez ?
Leurs membres seront évalués. Ils seront soumis à une triple exigence en matière d’éthique, de reddition des comptes et de don de soi.
Dans l’affaire du kévazingo, tous les contrevenants seront sanctionnés quels qu’ils soient
Une affaire dite du kévazingo a récemment défrayé la chronique au Gabon. Comment un tel dysfonctionnement a-t-il été possible ?
Tout exploitant forestier doit aménager de manière durable ses concessions. Or certains opérateurs enfreignent les lois et règlements en vigueur, parfois même avec la complicité d’agents de l’État. S’agissant du kévazingo, le gouvernement le considère comme un trésor national dont l’exploitation et l’exportation doivent être soumises à des conditions strictes.
Toutes les responsabilités ont-elles été établies ?
Le chef de l’État a montré sa volonté de sanctionner tous les contrevenants, quels qu’ils soient.
Dans son discours du 8 juin, Ali Bongo Ondimba a, une nouvelle fois, dénoncé la corruption. Comment mieux lutter contre ce fléau ?
La corruption est un mal qui nuit gravement au développement de nos pays. C’est pour cela que le président a décidé de créer un ministère consacré à la promotion de la bonne gouvernance et à la lutte contre ce fléau. Ce portefeuille a été confié à un homme de loi, un avocat reconnu pour son intégrité. Le gouvernement sanctionnera sans états d’âme ceux qui s’écarteront des principes de bonne gouvernance.
La pression du FMI pour obtenir plus de réformes semble ne pas se relâcher…
Nos relations avec le FMI sont excellentes. Nous poursuivons notre programme de relance économique, et l’institution estime que nous sommes très courageux dans la mesure où nous appliquons les réformes souhaitées. Sa dernière mission à Libreville a été concluante, et nous préparons maintenant la troisième revue. Parmi les recommandations émises, il y avait la fusion de la Société gabonaise de raffinage [Sogara] avec la Société nationale des hydrocarbures [GOC]. C’est chose faite. De même, nous avons réduit les effectifs du gouvernement, et cela aussi va dans le sens souhaité par nos partenaires puisque, ce faisant, nous poursuivons nos efforts de réduction des dépenses publiques et d’accroissement de nos recettes fiscales.
Alors que le pays traverse une passe délicate sur le plan économique, des dossiers urgents sont en attente. Quelles sont vos priorités ?
Je les ai déclinées lors de ma déclaration de politique générale, le 26 février. Il s’agit principalement de la maîtrise de nos dépenses, qui sont devenues abyssales, notamment en ce qui concerne la masse salariale, les effectifs de la fonction publique et les missions à l’étranger. Il y a aussi la diversification de l’économie, ainsi que l’assainissement des finances publiques. Après les fastes de l’État providence, voici venu le temps de la rationalisation et de l’autoajustement.
Le Gabon a bouclé l’année 2018 avec un taux de croissance inférieur à ce qui avait été anticipé. Pour 2019, les prévisions sont de 3 %. Cette promesse sera-t-elle tenue ?
La prévision était de 3,6 % et elle a été révisée à 2,9 %. L’une des grandes incertitudes demeure le comportement du secteur pétrolier, mais mon gouvernement met tout en œuvre pour atteindre cet objectif. C’est une question de crédibilité pour notre économie, pour les opérateurs et pour nos partenaires. Nous restons convaincus qu’avec la relance, avec les réformes structurelles en cours, le taux de croissance nécessaire sera là dans quelque temps.
On a observé une augmentation des prix de plus de 4,5 % au deuxième trimestre de 2018… Qu’envisagez-vous pour aider les ménages ?
Au deuxième trimestre de 2018, il y a effectivement eu une remontée de l’inflation. Malgré tout, sur l’année, la tendance haussière a été maîtrisée. Nous allons poursuivre nos efforts, car un retour de l’inflation au-dessous du seuil communautaire de 3 % reste notre but. Et puis le mécanisme de défiscalisation de certains produits alimentaires, instauré en 2012, reste en vigueur. Le ministère de l’Économie vient de le renouveler pour six mois, et il concerne cinquante-huit produits, dont la volaille, le riz et le lait. Grâce à cela, les prix de ces produits resteront bloqués malgré leur envolée sur les marchés internationaux.
Après les fastes de l’État providence, voici venu le temps de la rationalisation et de l’ajustement
Pour réduire le train de vie de l’État, vous avez annoncé le gel des recrutements dans la fonction publique. Est-ce que, dans le même temps, vous prévoyez un dispositif pour aider les entreprises à recruter plus de jeunes ?
Le gel des recrutements dans la fonction publique était non seulement temporaire mais également partiel. Le gouvernement a commencé, dans le même temps, à régulariser les situations administratives, et donc à recruter des milliers de jeunes dont les dossiers étaient en instance dans l’éducation, la santé ou les forces de sécurité.
Plus globalement, nous nous sommes attelés à lancer une importante réforme de l’éducation et de la formation qui doit nous conduire à un véritable changement de paradigme. Nous allons passer d’un système produisant des diplômés – beaucoup de diplômés – aptes surtout à émarger à la fonction publique, à un système qui mettra sur le marché du travail des jeunes dont la formation sera en adéquation avec la demande. Nous allons donc prioriser les cursus professionnalisants susceptibles d’améliorer l’employabilité de nos jeunes.
Vous avez créé un ministère de la Promotion des investissements. Que dites-vous à ceux qui souhaitent savoir si le risque Gabon est toujours un bon risque ?
Bien sûr que le Gabon reste une bonne destination pour investir ! Plusieurs réformes ont déjà été conduites pour améliorer et promouvoir les investissements dans le pays. Un dispositif juridique les protégeant a été mis sur pied, et les procédures de création d’entreprise sont désormais plus claires et plus rapides. Aujourd’hui, avec le guichet de l’investissement, une société est créée en quarante-huit heures.
Un code des investissements, plus fluide, est également en cours d’élaboration avec le concours de la Banque mondiale. Il prévoit une législation encore plus incitative en matière fiscale et douanière, avec notamment des exonérations accordées aux investissements directs étrangers, en fonction de leur montant, de la filière concernée, mais également des engagements sociaux et de l’employabilité des Gabonais.
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