RDC : plus rassembleur et plus prudent, le nouveau Jean-Pierre Bemba
Depuis son acquittement par la CPI, en 2018, l’ex-chef rebelle et ancien vice-président n’est plus le même. Réputé impulsif, il tait désormais ses aversions et se pose en rassembleur de l’opposition.
C’était il y a treize ans. Une éternité dans la vie politique congolaise, et plus encore dans celle de Jean-Pierre Bemba. À l’époque, il n’avait troqué le treillis pour le costume de vice-président que depuis quelques années. Il n’avait pas encore perdu ses réflexes de chef de guerre. Sa défaite contre Joseph Kabila lors de la présidentielle de 2006, il ne la digérait pas. La reconnaissance de la victoire de son adversaire par la communauté internationale, encore moins. Cet homme d’1,90 m, qui ne se privait pas de houspiller les ambassadeurs occidentaux à Kinshasa, avait livré bataille dans les rues de la capitale avec le Mouvement de libération du Congo (MLC), qui n’avait pas encore totalement désarmé.
Son arrestation en Belgique deux ans plus tard et son extradition vers la Cour pénale internationale (CPI) n’ont pas arrangé ses relations avec les Occidentaux. Il était persuadé d’avoir été la victime d’un complot ourdi à Bruxelles, notamment par Louis Michel, alors commissaire européen à la Coopération internationale et père de l’actuel Premier ministre, Charles Michel. Peut-être Bemba, 56 ans aujourd’hui, en est-il encore convaincu. Mais depuis son spectaculaire acquittement par la CPI, en 2018, il s’abstient de faire état de ses soupçons. Ses dix années de détention, passées à travailler son dossier, à peindre et à discuter avec ses codétenus, l’auraient-elles changé ?
C’est un homme apparemment nouveau qui est sorti du pénitencier de Scheveningen, le 12 juin 2018. En privé, plusieurs semaines durant, il répète qu’une alliance avec Moïse Katumbi et Félix Tshisekedi est indispensable pour vaincre le candidat de Kabila à la présidentielle de décembre. « Je l’ai trouvé mûri et assagi », témoigne un diplomate qui a jadis croisé sa route. « Disons que, maintenant, il est capable d’écouter », grince un autre.
Sa bonhomie affichée n’a pas d’emblée convaincu tout le monde. Mais la suite des événements va crédibiliser cette mue. Après un retour triomphal à Kinshasa, en août 2018, puis l’invalidation de sa candidature à la présidentielle, il redouble d’efforts pour que l’opposition désigne un candidat unique. Non pas qu’il porte dans son cœur ses nouveaux alliés – « il avait une relation particulièrement froide avec Tshisekedi », se souvient un homme qui a assisté aux discussions. Mais Bemba veille désormais à ce que ses inimitiés ne prennent pas le pas sur ses intérêts. C’est ainsi que tous les opposants – à l’exception de Tshisekedi et de Vital Kamerhe – se rangent derrière la candidature de Martin Fayulu en novembre dernier, à Genève. La coalition Lamuka est née.
Félix Tshisekedi proclamé président, Bemba reprend son bâton de pèlerin pour rapprocher les points de vue, entre le « pragmatique » Katumbi et le « radical » Fayulu, qui continue de revendiquer la victoire. « Il a joué un réel rôle de médiateur entre les leaders de Lamuka, qui se sont retrouvés en Belgique, poursuit notre interlocuteur. Sans lui, la coalition aurait pu disparaître. »
Dernier signe de son évolution : vendredi 21 juin, deux jours avant de rentrer à Kinshasa, il va recueillir les « bons conseils » du vice-Premier ministre belge chargé des Affaires étrangères, Didier Reynders. Les relations tendues de ce dernier avec le clan Michel ont certes dû faciliter les choses. Il est vrai aussi que la Belgique cornaque l’opposition congolaise depuis plusieurs années. Mais cette démarche aurait été difficilement concevable il y a quinze ans.
Proche de Katumbi
Le clivant « Chairman » d’hier est-il devenu suffisamment consensuel pour être le nouveau rassembleur de l’opposition ? « Je serais prétentieux de l’affirmer, répond l’intéressé. Mais je suis pragmatique et j’essaie de garder Lamuka unie. » Pour y parvenir, cet homme réputé impulsif se maîtrise. Il fait même preuve d’une affabilité inédite.
Depuis plusieurs mois, il s’est beaucoup rapproché de Katumbi, à qui il parle quotidiennement. Il l’a même reçu au Portugal, dans la région de l’Algarve (il possède une résidence secondaire à Quinta do Lago).
Mais il a aussi ménagé Fayulu. Les relations que ces deux-là entretiennent depuis plus de trente ans ont facilité les choses. Dans les années 1980, à Kinshasa, alors que le jeune Bemba gravissait les échelons de l’empire économique de son père (Jeannot Bemba Saolona, alors chef de l’Association nationale des entreprises du Zaïre), Fayulu était cadre dans le secteur du pétrole.
Ils avaient le même cercle d’amis, dans le milieu des affaires, et jouaient régulièrement au tennis. Bien qu’entouré d’Adolphe Muzito et de Freddy Matungulu, Fayulu doit prendre garde à ne pas s’isoler davantage. Il est donc venu en personne accueillir Bemba à la descente de son jet privé, le 23 juin.
Cela m’a surpris. J’ai répondu à la foule que Katumbi était avec nous
Cette arrivée n’a peut-être pas été aussi triomphale qu’il le prétend – il affirme qu’entre 800 000 et 1 million de Kinois ont fait le déplacement, on ne se refait jamais tout à fait. Mais sa procession entre l’aéroport et la place Sainte-Thérèse, où il a tenu meeting, a été réussie. À un accroc près : ses partisans ont hué le nom de Katumbi lorsqu’il était prononcé.
« Cela m’a surpris, confie Bemba. J’ai répondu à la foule que Katumbi était avec nous. » « Bemba a vu de ses yeux l’état d’esprit du peuple, assure un membre du camp Fayulu. Les Congolais n’accepteront aucun compromis avec le pouvoir. La nomination de Tshisekedi à la présidence n’y change rien. »
De fait, Bemba s’est gardé de reprendre à son compte le concept d’opposition républicaine cher à Katumbi, dont l’entourage s’est rapproché de la présidence. Mais si son aversion pour Félix Tshisekedi est tenace, il se garde de la laisser transparaître. Tout juste lance-t-il que « les têtes ont changé, mais [que] les méthodes du pouvoir restent les mêmes ». Il dit ne plus être en contact avec lui depuis la réunion de Genève, mais mieux vaut éviter d’insulter l’avenir.
L’époque où il pouvait incarner – seul ou presque – l’opposition est révolue
Lors de son retour à Kinshasa, sa sécurité a été assurée par la police. Contrairement à ce qui s’était passé en août, Bemba a pu reprendre possession de la résidence paternelle, avenue Pumbu, dans la commune huppée de La Gombe. Il compte bien en faire sa résidence principale et, de là, occuper l’espace médiatique et politique.
Il a prévu de se rendre dans son fief, l’ex-province de l’Équateur. Après un arrêt sur la tombe de son père, à Gemena, le 1er juillet, pour les dix ans de sa disparition (la cérémonie doit être célébrée par l’archevêque de Kinshasa, Mgr Fridolin Ambongo, dont il est proche), il tiendra meeting à Lisala, à Mbandaka ou encore à Gbadolite. Ensuite, il reprendra en main son parti, le MLC, affaibli par sa longue absence et par le départ de la plupart de ses cadres.
Mais il ne se fait guère d’illusions. L’époque où il pouvait incarner – seul ou presque – l’opposition est révolue. Il n’a plus d’armée, moins de ressources, et, sans alliés, il lui sera difficile de rebondir véritablement.
Un obstacle notamment obstrue son avenir politique : la Cour constitutionnelle congolaise a jugé, en septembre dernier, que sa condamnation par la CPI pour subornation de témoin dans une affaire annexe était assimilable à de la corruption, ce qui le rend inéligible. Cette décision, il la qualifie d’inique tout en refusant de la commenter plus avant. Prudence là encore. À La Haye, ses avocats s’activent pour obtenir la levée de cette condamnation. Juridiquement, il serait plus simple d’obtenir que la Cour constitutionnelle congolaise se dédise, mais la composition actuelle de celle-ci, établie sous la présidence de Joseph Kabila, complique les choses.
Candidat idéal ?
L’attitude nouvelle de Bemba s’expliquerait donc moins par l’expérience de la prison que par la nécessité dans laquelle il est de trouver de puissants alliés. Parviendra-t-il à maintenir Lamuka en vie ? La prochaine présidentielle, prévue pour 2023, est un horizon encore lointain, mais qui se rapprochera inexorablement.
D’ici là, d’autres échéances pourraient provoquer des tensions. Ainsi, à qui reviendra le poste de porte-parole de l’opposition, prévu par la Constitution ? On voit mal Fayulu l’occuper, du moins tant qu’il refusera de reconnaître le nouveau régime.
Quant à Katumbi, il demeure l’ennemi de Kabila. On peut supposer que l’ancien président utilisera son influence, encore très grande puisqu’il est majoritaire au Parlement, pour lui barrer la route. Bemba ne serait-il pas, dès lors, le candidat idéal ? Dans son entourage, on se plaît à affirmer que le MLC est le premier parti d’opposition, puisque Ensemble, la formation de Katumbi, « n’est qu’une coalition ». Qu’en dit Bemba lui-même ? « Je ne peux pas me prononcer, élude-t-il. Au sein de Lamuka, nous n’avons pas commencé à aborder le sujet. »
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