David Mignot (Canal+ Afrique) : « Nous atteindrons notre objectif de 5 millions d’abonnés en 2020 »
Développement de la production locale, expansion en Éthiopie, évolution des modes de diffusion… David Mignot, artisan de la croissance du groupe de médias français Canal+ décrypte sa stratégie.
À la peine en France, Canal+ cherche des relais de croissance à l’international. L’annonce de l’acquisition pour 1 milliard d’euros en mai du groupe de télévision payante M7, actif dans sept pays européens, va lui offrir une bouffée d’air frais et de nouveaux débouchés pour valoriser son catalogue.
En attendant la concrétisation de l’opération, les bonnes nouvelles viennent avant tout d’Afrique. à la fin de 2018, la filiale de Vivendi y totalisait plus de 4 millions d’abonnés (en hausse de 652 000 en un an) pour un chiffre d’affaires proche, selon nos estimations, de 500 millions d’euros. À la tête des activités africaines depuis 2012, David Mignot est l’artisan du développement du groupe français sur le continent, où il compte près de 2 000 salariés, 12 filiales et 4 000 points de vente.
Jeune Afrique : En 2016, vous affichiez l’ambition d’équiper de décodeurs 50 % des foyers raccordés à l’électricité en Afrique francophone d’ici à la fin de 2020. Où en êtes-vous ?
David Mignot : À la fin de 2018, nous avions plus de 4 millions d’abonnés. Nous sommes bien partis pour atteindre notre objectif en 2020, c’est-à-dire 5 millions d’abonnés. Notre zone de chalandise, ce sont 23 pays subsahariens francophones (en incluant la Guinée-Bissau et la Guinée équatoriale), 300 millions d’habitants, soit environ 50 millions de familles, dont un tiers ont accès à l’électricité de manière pérenne. Mais le marché fonctionnant avec des offres mensuelles prépayées, tous les ménages équipés d’un téléviseur n’ont pas forcément accès à nos bouquets toute l’année.
Quand nous avons créé A+, nous nous étions donné cinq ans pour parvenir à une grille 100 % africaine. Nous l’avons fait en trois ans
Pour parvenir à les fidéliser, vous misez de plus en plus sur les contenus africains.
C’est une constante mondiale, la moitié des heures passées devant la télévision le sont devant des contenus internationaux, comme la finale de la Ligue des champions ou Black Panther. L’autre devant le JT local, la série locale, l’humour dans la langue locale. Aujourd’hui, Canal+ édite une vingtaine de chaînes pour le continent, dont deux chaînes Nollywood, la chaîne A+ et puis la dernière, A+ Ivoire.
Quand nous avons créé A+, en 2014, nous nous étions donné cinq ans pour parvenir à une grille 100 % africaine. Nous l’avons fait en trois ans. Désormais, nous travaillons avec une quarantaine de sociétés de production sur le continent et nous investissons dans des programmes africains pour près d’une dizaine de millions d’euros par an, contre quelques centaines de milliers d’euros avant 2012. Et cela va croissant.
Vous avez aussi développé une activité de distributeur de programmes.
Ce n’est pas encore structuré, mais il est indispensable que nous ayons dans les deux ans à venir l’équivalent de Studio Canal (société française de coproduction, d’acquisition et de distribution) en Afrique. Si nous voulons des productions plus ambitieuses, celles-ci ne peuvent être amorties sur une diffusion. Et il n’y a pas de raison qu’une série policière comme Sakho et Mangane ne fonctionne pas au Nigeria ou en Angola. Il existe déjà des producteurs et des distributeurs, mais ils sont trop petits, et cela engendre des coûts d’intermédiation trop élevés compte tenu du budget des chaînes africaines.
La grande nouveauté de ces deux dernières années, c’est aussi l’intégration de Canal+ dans la stratégie de Vivendi, votre maison mère. Expliquez-nous.
Il y a des sociétés dont la matière première est l’or, d’autres le coton. Nous, au sein de Vivendi, c’est le talent, pour lequel nous avons différentes plateformes d’exposition et de valorisation. Une émission humoristique comme Le Parlement du rire permet de repérer des artistes, de les tester.
Si le succès est au rendez-vous, ils vont ensuite pouvoir se produire dans une salle CanalOlympia (dont treize ont été ouvertes sur le continent) ou être proposés à des sociétés de production pour des formats longs ou courts. Autre exemple de complémentarité de nos activités : à l’occasion de la CAN, nous avons sollicité Universal Africa [label de musique de Vivendi] pour qu’il nous propose une identité sonore afin d’habiller l’antenne. C’est le groupe togolais Toofan qui a écrit la chanson Panenka, téléchargée plusieurs centaines de milliers de fois sur la plateforme Spotify. Aujourd’hui, nous avons une centaine d’artistes maison (réalisateurs, musiciens, humoristes, écrivains) que nous souhaitons valoriser.
En ville, la TNT est un bon compromis pour atteindre des clientèles plus populaires
Historiquement, les bouquets Canal+ étaient diffusés uniquement par satellite. Cette époque est-elle révolue ? Vous faites de la TNT en RDC, au Congo et bientôt en Côte d’Ivoire.
Nous ne vendons pas des technologies mais des services. Avec la généralisation du haut débit, tout convergera vers la plateforme numérique myCanal. Et la question se posera d’avoir un décodeur comme interface. En attendant, pragmatiques, nous nous sommes rendu compte que la TNT sur des villes plates et denses était un bon compromis pour atteindre des clientèles plus populaires.
Le satellite reste en revanche la meilleure solution pour des zones moins denses ou à fort pouvoir d’achat, car nous pouvons proposer 200 chaînes à nos abonnés (contre 30 à 50 avec la TNT). À Kinshasa, nous avons autant d’abonnés TNT qu’avec le satellite.
Pourriez-vous être présent sur la TNT dans d’autres pays ?
Nous avons fait des demandes dans plusieurs pays. Cela peut faire sens au Burkina Faso ou au Mali.
Nous n’irons ni dans la zone lusophone ni dans la zone anglophone
Vous avez signé un partenariat de distribution en Éthiopie. Allez-vous y distribuer une plateforme en anglais ?
Non. Canal+ a montré au Vietnam et au Myanmar sa capacité à concevoir des plateformes avec des racines culturelles fortes. En Éthiopie, nous travaillons sur une offre en amharique. Les études sont avancées. Le développement devrait prendre un an. Notre partenaire Teodros Abraham est un entrepreneur local, actif notamment dans le secteur logistique.
Envisagez-vous après cela d’aller en Afrique anglophone, où DSTV domine ?
Nous n’irons ni dans la zone lusophone ni dans la zone anglophone. Elles sont déjà bien couvertes, et nous avons constaté en Europe qu’il n’était resté qu’un opérateur de TV par satellite et par pays. Une telle offensive se révélerait ruineuse pour des marchés déjà pénétrés pour certains à 80 %.
Les réponses réglementaires et techniques au piratage évoluant, le Maghreb pourrait redevenir une zone d’intérêt
En 2011, vous avez quitté le Maghreb, car le piratage y était trop important. La situation a-t-elle changé ?
C’est une bonne question, même si nous n’avons pas de projet concret dans l’immédiat. Le piratage via internet est une menace mondiale, pas seulement africaine. Mais les réponses réglementaires et techniques évoluent un peu partout. Notamment avec des robots capables de repérer les programmes diffusés sans autorisation ou sans copyright. Par conséquent, le Maghreb pourrait redevenir une zone d’intérêt. Nous restons attentifs. Actuellement, des millions de foyers y regardent encore nos bouquets gratuitement en piratant le satellite français.
Au Burkina Faso, vous avez été condamné à payer 5,3 milliards de F CFA (8 millions d’euros) pour avoir rompu unilatéralement le contrat avec votre ex-distributeur Prosat. C’est une sanction très lourde.
D’autant que cette société n’avait ni salarié ni activité (le contrat a été rompu avant qu’elle ne démarre). Cela nous rappelle que 21 des 23 pays où nous travaillons sont dans le pire quartile du classement « Doing Business ». Et que si le climat des affaires s’y améliore, cela reste une zone difficile.
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