Banque africaine de développement : Akinwumi Adesina entre en campagne

À la tête de la Banque africaine de développement depuis 2015, l’ex-ministre nigérian Akinwumi Adesina ambitionne d’être réélu en mai 2020. Il vient de remporter une bataille en convainquant les actionnaires internationaux de participer à la prochaine augmentation de capital.

Akinwumi Adesina, président de la BAD © Paul Morigi/AP/SIPA

Akinwumi Adesina, président de la BAD © Paul Morigi/AP/SIPA

PhotodeprofilJoelAssoko3 (2)

Publié le 17 juillet 2019 Lecture : 5 minutes.

« Nous avons eu des débats vigoureux. Et j’ai pris de nombreuses notes sur ce que vous avez dit, je peux vous le garantir. » C’est un Akinwumi Adesina déterminé, mais plus sobre qu’à son habitude, qui a défendu son bilan devant les quatre-vingts gouverneurs de la Banque africaine de développement (BAD), réunis à la mi-juin, à Malabo, pour la 54e assemblée annuelle de l’institution panafricaine.

Critiqué pour son attitude jugée parfois cavalière au début de son mandat – qui a vu les départs houleux de trois vice-présidents, le Ghanéen Solomon Asamoah, l’Ivoirien Albéric Kacou et la Tanzanienne Frannie Léautier –, l’ex-ministre nigérian de l’Agriculture s’efforce de défaire l’image altière qu’il s’est forgée dans plusieurs capitales africaines et occidentales. Et pour cause. Le huitième président de la BAD mène deux batailles de front : boucler une augmentation de capital et contrecarrer toute opposition à sa réélection, alors que ses deux prédécesseurs, le Marocain Omar Kabbaj (2000) et le Rwandais Donald Kaberuka (2010), ont été réélus « par acclamation ».

la suite après cette publicité

Le niveau de recapitalisation, une étape décisive

Sur le premier point, des avancées notables ont eu lieu au cours de l’année écoulée. « Tous les gouverneurs se sont accordés sur la nécessité de relever de façon substantielle le capital », a indiqué à JA Kaba Nialé, ministre ivoirienne du Développement, en marge du meeting de Malabo. Malgré cette victoire, Adesina n’a pas encore obtenu le consensus sur le niveau de cette recapitalisation.

Sera-t-elle de 100 %, comme le souhaitent plusieurs actionnaires non africains, de 150 % ou encore de 200 %, le choix privilégié par Adesina ? « Nous nous mettrons d’accord de façon définitive sur [cette question] lors d’une réunion prévue à Charm el-Cheikh (Égypte) en septembre et nous allons l’acter au mois d’octobre à Abidjan », ajoute Kaba Nialé.

L’adhésion des gouverneurs non africains (40 % du capital) n’a pas été simple à obtenir. Plusieurs ont exigé de nouvelles réformes et pointé les faiblesses de l’institution qui, sous l’égide de Akinwumi Adesina, a pourtant fortement accru ses engagements, avec 20 milliards de dollars déboursés entre 2016 et 2018, contre 14,75 milliards entre 2012 et 2014.

Le Japon, par la voix de Shinichi Isa, sous-secrétaire d’État aux Finances, s’est déclaré en faveur de « fonds propres d’un niveau raisonnable », à condition que la direction de la BAD « formule une matrice claire et ciblée des priorités et des mesures concrètes pour renforcer les capacités du personnel et de l’organisation », alors que le « taux de vacance reste élevé ». Selon la BAD, il a pourtant reculé de dix points en un an à 14 % à la fin de 2018.

la suite après cette publicité

De son côté, Mathew Haarsager, sous-secrétaire adjoint au Trésor américain, a regretté qu’en dépit des progrès réalisés « la banque ne [soit] pas encore où elle devrait être pour assurer une prestation efficace », l’exhortant à « renforcer sa capacité institutionnelle, à améliorer la qualité opérationnelle » et à adopter « une gestion axée sur les résultats plutôt que sur le volume des prêts ».

Partenaires africains et internationaux : le grand écart

Ces critiques sont récurrentes de la part des actionnaires étrangers qui regrettent également la part « disproportionnée » des financements accordés aux États, au détriment du secteur privé, qui ne représentait plus que 32 % des opérations approuvées l’an dernier (37 % en 2017). Elles offrent un net contraste avec les commentaires parfois très élogieux adressés au patron de la BAD par les gouverneurs africains. « Le président Adesina a fait un travail énorme. Il a pu donner de l’échelle et de la dimension à notre banque, en volume de financement, en ambition et surtout en vision », salue Kaba Nialé.

la suite après cette publicité

Renforçant cet écart d’appréciation entre actionnaires africains et internationaux, ces derniers insistent pour une plus grande prise en compte de leurs priorités, même lorsque celles-ci se contredisent ou paraissent éloignées des urgences du continent.

Akinwumi Ayodeji Adesina (Nigeria), ancien ministre de l'Agriculture et du développement, président de la Banque Africaine de Développement depuis le 28 mai 2015. À Paris, le 7 septembre 2015 © Vincent Fournier/JA

Akinwumi Ayodeji Adesina (Nigeria), ancien ministre de l'Agriculture et du développement, président de la Banque Africaine de Développement depuis le 28 mai 2015. À Paris, le 7 septembre 2015 © Vincent Fournier/JA

Ainsi, les États-Unis ont mis l’accent sur le contrôle des coûts, mais se sont désolidarisés des autres actionnaires à propos de la lutte contre le changement climatique, alors que la part de la « finance climat » dans les financements de la BAD a triplé entre 2016 et 2018 passant à 32 %, selon Akinwumi Adesina, qui cible 40 % en 2020. Les huit priorités du Royaume-Uni vont, elles, du soutien aux pays fragiles à la lutte contre les discriminations de genre et l’exploitation sexuelle…

Plusieurs capitales tentées par une candidature féminine

« Nous allons renforcer les capacités institutionnelles, humaines et opérationnelles », a promis Akinwumi Adesina, qui s’est engagé à « exécuter l’ensemble des recommandations du Comité indépendant d’évaluation ».

Ce dernier, après des études menées en 2018, a appelé l’institution à « investir dans la formation continue du personnel et dans le travail analytique initial » avant la conduite des projets. Il recommande également de « mettre davantage l’accent sur les risques liés à la gouvernance institutionnelle » dans les opérations liées au secteur privé et de « renforcer les incitations à la qualité du portefeuille », plutôt qu’au volume des financements approuvés.

Ces promesses suffiront-elles pour assurer un plébiscite à Akinwumi Adesina ? Il est trop tôt pour le dire. Plusieurs capitales occidentales restent tentées par une candidature féminine, malgré l’échec cuisant de la Cap-Verdienne Cristina Duarte qu’elles avaient soutenue lors de l’élection de mai 2015. Si Adesina a reçu l’appui de la Côte d’Ivoire par la voix de Kaba Nialé, d’autres plus discordantes existent sur le continent.

« L’élection se fera bel et bien en 2020. Bien sûr, les candidatures sont ouvertes. Je vous invite à être avec nous en mai prochain pour savoir qui sera l’heureux élu », a glissé Ingrid Ebouka-Babackas, ministre du Plan du Congo. Rendez-vous est donc pris pour Abidjan.

De l’importance d’être Triple A

Perdue en 1995 et retrouvée en 2003, la note AAA de la BAD lui est attribuée par les principales agences internationales (Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch et JCR). Elle atteste de la qualité de la dette de l’institution auprès des investisseurs internationaux et réduit ses coûts de financement. Selon Hassatou N’Sele, trésorière de la BAD, cette notation permet d’offrir des ressources à des conditions avantageuses aux pays africains, leur permettant ainsi de réaliser de très fortes économies, comparativement aux coûts de financement sur les marchés internationaux.

La nouvelle augmentation de capital doit, en partie, permettre de conserver cette note, fortement dépendante des actionnaires internationaux notés AAA (Canada, USA, Allemagne…). En attendant, Ottawa a accepté d’accroître temporairement de 1 milliard de dollars « sa souscription au capital exigible », comme en 2010. Un engagement censé rassurer les agences de notation, avec qui des rencontres sont planifiées entre juin et juillet.

Un sursis pour le Fonds africain de développement ?

Géré par la BAD et abondé pour l’essentiel par des donations des États occidentaux, le Fonds africain de développement (FAD) accorde des financements à coûts modérés aux pays pauvres. Ses donateurs s’étaient engagés à apporter 7 milliards de dollars pour la période 2017-2019.

Ils sont de nouveau sollicités pour la période 2020-2022, parallèlement à l’augmentation du capital de la BAD… Il y a un an, plusieurs actionnaires non africains contestaient l’augmentation de capital et suggéraient une absorption des ressources du FAD par la banque. Autant d’options redoutées par la direction de la BAD, et qui ont finalement été abandonnées.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image