RDC : faut-il en finir avec la Monusco ?

Véritable État dans l’État, la mission des Nations unies a longtemps essuyé les critiques acerbes de l’administration Kabila. Pourtant, soumise à d’importantes contraintes budgétaires, c’est sous la présidence de Félix Tshisekedi qu’elle pourrait plier bagage.

Un soldat sud-africain des Nations unies en patrouille, 
le 8 octobre 2018 à Oïcha. © JOHN WESSELS/AFP

Un soldat sud-africain des Nations unies en patrouille, le 8 octobre 2018 à Oïcha. © JOHN WESSELS/AFP

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Publié le 23 juillet 2019 Lecture : 7 minutes.

En mars 2010, Youssef Mahmoud débarquait à N’Djamena avec un mandat très précis de l’ONU : il devait discuter avec les autorités locales de l’avenir de la Mission des Nations unies en Centrafrique et au Tchad (Minurcat), dont il venait de prendre la tête. Le 31 décembre suivant, il y ­mettait officiellement fin. Était-ce prématuré ? Deux ans plus tard, Michel Djotodia créait la rébellion Séléka, qui allait bientôt ­renverser François Bozizé, à Bangui, et provoquer une nouvelle opération de maintien de la paix.

Depuis le 26 juin dernier, Youssef Mahmoud est de retour en Afrique centrale. Il conduit la « revue stratégique » de la mission de l’ONU en RD Congo (Monusco) et doit rendre son ­rapport au secrétaire général d’ici au 20 octobre. À Kinshasa, il a rencontré Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président Tshisekedi, avant de se rendre en Ouganda, au Rwanda et en Tanzanie.

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« Désengagement progressif »

Des Casques bleus sénégalais patrouillent à Goma, dans l'est de la RDC, le 14 janvier 2016. © Abel Kavanagh/Monusco/Flickr

Des Casques bleus sénégalais patrouillent à Goma, dans l'est de la RDC, le 14 janvier 2016. © Abel Kavanagh/Monusco/Flickr

Les revues stratégiques sont choses habituelles pour les opérations de l’ONU – concernant la Monusco, la dernière date de 2017. Mais depuis l’élection de Félix Tshisekedi, la question d’un retrait des Casques bleus se pose avec une acuité nouvelle. Si les résultats de la présidentielle ont été contestés, le scrutin en lui-même n’a pas provoqué de recrudescence de la ­violence.

Certains groupes, notamment au Kasaï, ont même volontairement déposé les armes, espérant bénéficier d’un nouveau programme de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), comme le pays en a tant connu. Est-ce un signe ? En mars dernier, le Conseil de sécurité a prolongé le mandat de la Monusco de neuf mois, contre douze les années précédentes. Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères français, qui « tient la plume » sur le dossier congolais à New York, affirmait que « ce délai permettrait de réfléchir au temps d’après : celui d’un désengagement progressif ».

Lors d'une mission de la Division de désarmement de la Monusco, qui a obtenu du chef rebelle Maï Maï Yakutumba une déclaration l’engageant à ne plus recruter ni utiliser d'enfants dans son groupe armé, en mars 2019 dans le territoire de Fizi, dans le Sud-Kivu. © Photo MONUSCO/Jacob de Lange

Lors d'une mission de la Division de désarmement de la Monusco, qui a obtenu du chef rebelle Maï Maï Yakutumba une déclaration l’engageant à ne plus recruter ni utiliser d'enfants dans son groupe armé, en mars 2019 dans le territoire de Fizi, dans le Sud-Kivu. © Photo MONUSCO/Jacob de Lange

C’est donc dans un climat morose que le personnel de la Monusco fêtera les 20 ans de l’opération, en novembre prochain. Nombre d’agents s’attendent à devoir plier bagage sous deux à trois ans, tournant ainsi une page de l’histoire congolaise.

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Cette mission a été déployée après la fin de la première guerre du Congo, en 1999. Elle a amené le pays à ses premières élections démocratiques, en 2006. C’est un État dans l’État, mieux financé que n’importe lequel des ministères congolais, qui a compté jusqu’à 20 000 hommes et bénéficié d’un budget colossal (1,45 milliard de dollars en 2013-2014).

Budget de l'ONU © JA

Budget de l'ONU © JA

Sa chef, l’Algérienne Leila Zerrougui, a bien compris que ce temps était révolu. Depuis plusieurs mois, elle prépare ses troupes à une réduction de la ­voilure. En mai, près de 700 salariés de la mission ont été informés que leur contrat arrivait à terme. Sept des bureaux civils de la Monusco vont fermer (ceux de Lubumbashi, Mbuji-Mayi, Kisangani, Bandundu, Mbandaka, Matadi et Dungu).

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Mais Zerrougui avait sans doute sous-estimé l’effort qui lui serait demandé. Fin juin, l’Assemblée générale de l’ONU a baissé le budget de la Monusco de plus de 8 %, le faisant passer pour la première fois derrière celui des missions déployées au Mali (Minusma) et au Soudan du Sud (Minuss). Zerrougui va devoir trouver le moyen d’économiser 11 millions de dollars de plus que ce qui avait été prévu.

2017, année noire

Une patrouille de la Monusco à à Pinga , dans le Nord Kivu, en mai 2019. © Photo MONUSCO

Une patrouille de la Monusco à à Pinga , dans le Nord Kivu, en mai 2019. © Photo MONUSCO

C’est la conséquence directe des difficiles arbitrages auxquels le département des opérations de maintien de la paix de l’ONU est confronté. Depuis l’élection de Donald Trump, les États-Unis, principaux bailleurs de ce type d’opérations, ont sensiblement réduit leur contribution. Et la situation de plus en plus dégradée au Mali a fait passer la RD Congo au second rang des priorités : en dépit des revendications jihadistes dans la province du Nord-Kivu, le pays n’est pas considéré comme central dans la guerre contre l’extrémisme islamique.

Ce n’est pas Joseph Kabila qui se plaindra de ce retrait. L’ancien président le réclame depuis 2010. Il l’a même « exigé » à New York, en septembre 2018, dénonçant notamment des résultats « largement mitigés sur le plan opérationnel ». Il avait même fixé une date butoir : l’année 2020.

Entre lui et la Monusco, la défiance n’a pourtant pas toujours été de mise. Les élections de 2006 ont été fortement appuyées par la Monuc (son nom à l’époque). Après la chute de la ville de Goma, prise par le Mouvement du 23-mars (M23) en 2012, les Casques bleus et l’armée congolaise avaient étroitement ­c­ollaboré contre les rebelles. Mais les relations se sont fortement dégradées sous le mandat de l’intransigeant Martin Kobler, à la tête de la mission de 2013 à 2015.

En 2014, irrité par les rapports du bureau des droits de l’homme, Kinshasa était allée jusqu’à expulser son chef, le Britannique Scott Campbell. Une situation particulièrement difficile à gérer pour les Casques bleus, qui ont besoin de la coopération du pays hôte pour fonctionner. À plusieurs reprises, d’ailleurs, leur équipement est resté bloqué aux douanes congolaises.

Joseph Kabila et Antonio Guterres, au siège de l'ONU. © UN/Evan Schneider

Joseph Kabila et Antonio Guterres, au siège de l'ONU. © UN/Evan Schneider

Kabila craignait que les forces de la Monusco puissent être utilisées contre lui

L’expiration du dernier mandat de Joseph Kabila, fin 2016, n’a fait que ­renforcer la tension. « Kabila craignait que les forces de la Monusco puissent être utilisées contre lui, comme celles de l’Onuci l’ont été contre l’Ivoirien Laurent Gbagbo », se souvient un diplomate occidental.

La mission a ensuite connu une année noire en 2017 avec, en mars, l’assassinat de deux experts de l’ONU, Zaida Catalán et Michael Sharp, puis l’attaque de la base de Semuliki, dans l’Est, en décembre (elle a coûté la vie à quinze Casques bleus tanzaniens, le plus lourd bilan d’une attaque contre des soldats l’ONU depuis 1993).

Au sein de la mission, plusieurs cadres ont vu dans ces violences le spectre d’un avertissement adressé par les services de renseignements congolais. Elles restent, à ce jour, non élucidées. Le procès des assassins présumés des experts est toujours en cours à Kananga. L’ONU a également demandé au Russe Dmitry Titov (un ancien directeur pour l’Afrique au sein du département des opérations de maintien de la paix) un rapport sur les événements de Semuliki. Mais, signe de l’embarras que provoque le sujet, le document n’a pas été rendu public.

Félix Tshisekedi reçoit l'écharpe présidentielle de l'ex-président congolais, Joseph Kabila, le 24 janvier 2019, à Kinshasa. © Jerome Delay/AP/SIPA

Félix Tshisekedi reçoit l'écharpe présidentielle de l'ex-président congolais, Joseph Kabila, le 24 janvier 2019, à Kinshasa. © Jerome Delay/AP/SIPA

Paradoxalement, le retrait – ardemment souhaité par Joseph Kabila – pourrait intervenir sous le mandat de son successeur

Les autorités congolaises ont en tout cas refusé que la Monusco les aide à organiser le scrutin de décembre dernier. L’opposant Martin Fayulu y était ­candidat, et il n’est pas tendre avec Leila Zerrougui et la manière dont elle a géré cette séquence électorale. Il lui reproche de ne pas avoir contesté la victoire de Félix Tshisekedi. À ses yeux, la Monusco reste toutefois utile : « Elle a assuré une présence, un regard extérieur sur ce qui s’est passé dans ce pays. »

Paradoxalement, le retrait – ardemment souhaité par Joseph Kabila – pourrait intervenir sous le mandat de son successeur, beaucoup plus réservé sur le sujet. La situation de Tshisekedi, qui voit très régulièrement Zerrougui depuis son élection, est très différente. Le contrôle qu’il exerce sur les cadres de l’armée n’est pas aussi ferme que l’était celui de Kabila (ce dernier les a presque tous nommés). Pour le nouveau président, la présence des Casques bleus est même plutôt rassurante. « Nous avons dit à la Monusco que nous avions encore besoin d’elle, explique un conseiller du chef de l’État. Mais nous avons demandé que ses troupes soient relocalisées là où elles sont le plus utiles, c’est-à-dire dans l’Est, et qu’elles soient renforcées pour être plus efficaces. »

Tensions entre voisins

Lors d'une opération menée conjointement par les FARD et la Monusco face aux rebelles ougandais des ADF, en 2014 dans la région de Beni. (photo d'illustration) © © MONUSCO/Sylvain Liechti

Lors d'une opération menée conjointement par les FARD et la Monusco face aux rebelles ougandais des ADF, en 2014 dans la région de Beni. (photo d'illustration) © © MONUSCO/Sylvain Liechti

En principe, le retrait de la Monusco ne devrait être officiellement décidé que si la situation en RDC ne menace plus la stabilité de la région

La Monusco a déjà adapté sa stratégie à ces recommandations – formulées depuis longtemps – ainsi qu’aux coupes budgétaires décidées à New York en fermant certaines de ses bases militaires pour mettre en place une quinzaine de détachements plus mobiles, de 50 à 100 hommes. Mais les conséquences qu’aurait un retrait total sont difficiles à anticiper.

La situation humanitaire du pays reste dramatique, même si une partie des déplacés qui fuyaient la crise au Kasaï ont pu rentrer chez eux. L’épidémie d’Ebola n’est toujours pas sous contrôle dans le Nord-Kivu, ce qui a d’ailleurs amené à la création d’un nouvel organe, la coordination des interventions d’urgence des Nations unies contre Ebola, chapeautée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

En principe, le retrait de la Monusco ne devrait être officiellement décidé que si la situation en RD Congo ne menace plus la stabilité de la région. Mais, ces derniers mois, les tensions entre les voisins de l’est du pays, notamment l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, sont croissantes. Et elles sont en grande partie liées à la présence sur le territoire congolais de groupes rebelles leur étant hostiles.

« En réalité, les problèmes de fond n’ont pas été résolus par l’élection de Félix Tshisekedi, affirme Marc-André Lagrange, expert indépendant spécialiste de la RD Congo. Mais certains bailleurs, qui veulent en finir avec l’opération, peuvent avoir intérêt à faire comme si c’était le cas. »

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