[Edito] D’Alger à Khartoum, même combat
En Algérie comme au Soudan, les fruits tiendront-ils la promesse des fleurs ?
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 22 juillet 2019 Lecture : 3 minutes.
Après quelques semaines de manifestations, deux des plus grands pays d’Afrique sont parvenus à chasser leurs présidents respectifs – cinquante ans de pouvoir à eux deux. Deux soulèvements populaires, à des milliers de kilomètres de distance, qui présentent de nombreux points communs.
Leur genèse, d’abord. De trop longues années durant, Algériens et Soudanais ont subi des régimes autoritaires, usés, à bout de souffle, incapables d’utiliser à bon escient la formidable manne pétrolière à leur disposition. Pendant les années 2000, ces temps de vaches grasses, les dépenses publiques, les transferts sociaux et les budgets militaires explosèrent littéralement dans les deux pays. Pour acheter et encadrer la paix sociale, en somme. En revanche, aucune transformation économique, aucune réforme d’envergure ne fut ne serait-ce qu’esquissée.
Des destins similaires
À la surprise générale, la colère trouva à s’exprimer dans la rue et se mua en révolte populaire
Et quand survinrent la crise pétrolière et l’effondrement des recettes qui s’ensuivit, les deux pays réagirent exactement de la même manière (le Soudan abandonnant en outre à son frère ennemi du Sud l’essentiel des ressources liées aux hydrocarbures) : maintien des budgets militaires et réduction drastique des dépenses publiques et des transferts sociaux. Et, bien sûr, toujours pas l’ombre d’une réforme économique à l’horizon !
Conséquence inévitable : le quotidien des populations s’en trouva grandement affecté et le front social s’embrasa : le ras-le-bol était contenu depuis trop longtemps.
Le rejet de la modernité et le criant manque d’ouverture des autorités ne firent qu’aggraver la situation, alors que, dans le même temps, le reste du monde évoluait à toute vitesse. À la surprise générale, la colère trouva à s’exprimer dans la rue et se mua en révolte populaire, les deux peuples manifestant en ces circonstances une extraordinaire maturité politique et citoyenne.
Dans les deux pays, l’armée s’efforce de garder le contrôle des processus en cours et de jouer les prolongations au pouvoir
Autre similitude, la plus importante sans doute : dans les deux pays, les protestataires sont aujourd’hui confrontés aux chefs de leurs armées respectives, puisque ce sont ces derniers qui ont été appelés à conduire les transitions consécutives à la chute d’Abdelaziz Bouteflika et d’Omar el-Béchir. Le risque est donc grand de voir leurs espoirs de démocratie et de prospérité se perdre dans les sables. Si tant est qu’ils l’aient jamais été, les militaires ne sont, au XXIe siècle, manifestement plus capables d’assurer la conduite des affaires.
Leur rôle est de garantir la sécurité et la protection de la nation, pas de se mêler de politique. Encore moins d’économie ou de gouvernance. Pourtant, gardons-nous de toute naïveté. Compte tenu du rôle historique joué par l’armée dans ces deux pays, et donc de son influence, il serait illusoire d’imaginer qu’elle puisse désormais se borner à regarder passer les trains. En revanche, force est de constater – et c’est très inquiétant – qu’elle s’efforce de garder le contrôle des processus en cours et de jouer les prolongations au pouvoir. Qui ne voit qu’elle tente ainsi de sauvegarder ses propres intérêts plutôt que ceux de son peuple ?
Résilience
C’est bel et bien le deuxième acte du Printemps arabe qui se joue sous nos yeux
Algériens et Soudanais sont bien conscients du péril. Entre un scénario « à la tunisienne », qui s’est traduit par une transition parfois chaotique mais féconde sur le plan démocratique, et un autre « à l’égyptienne », dans lequel un général censé ne pas s’attarder à la tête de l’État s’y incruste en confisquant tous les leviers du pouvoir, leurs cœurs ne balancent pas une seconde. Ils n’entendent pas lâcher une once du terrain conquis. De leur résilience et de leur acharnement dépend, dans une large mesure, l’issue du bras de fer en cours.
Car ne nous y trompons pas : c’est bel et bien le deuxième acte du Printemps arabe qui se joue sous nos yeux. Les militaires devraient pourtant comprendre qu’ils ont tout à gagner à se retirer d’un champ de bataille qui n’est pas le leur. Ils deviendraient alors, et pour longtemps, les vrais héros de ces « révolutions ». Et, mieux encore : leurs gardiens.
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