« La Rage de vivre », de Bolewa Sabourin et Balla Fofana : la danse des mots qui cognent
Dans « La Rage de vivre », coécrit avec le journaliste Balla Fofana, le danseur Bolewa Sabourin livre un passé houleux et modelé par sa discipline.
«Fais de ton corps une machine, de ton cerveau une arme, de ton cœur un art, de ta vie une œuvre ! » Tel est le mantra de Bolewa Sabourin, grand jeune homme de 33 ans, dont il émane à la fois douceur et fureur. Douceur au creux de son sourire ou lorsqu’il parle de lui, évoque ses ressentis.
Mais, dans son regard, on note quelques fulgurances, comme des éclairs. Voilà qui est à l’image de son autobiographie, La Rage de vivre, coécrite avec Balla Fofana, journaliste au quotidien français Libération. Un récit fiévreux, tourbillonnant même, sur lequel plane une certaine bienveillance.
Blessures
Il a d’abord voulu écrire ce livre coup-de-poing, publié aux éditions Faces cachées, pour donner de la visibilité à « Re-création » : un projet né en 2016 qui consiste à faire danser les femmes blessées dans leur chair comme dans leur esprit… Que ce soit en RD Congo, où le viol est utilisé comme arme de guerre, ou en France, à Paris, dans les centres d’hébergement d’urgence qui les accueillent quand elles sont en situation de précarité ou lorsqu’elles sont séropositives.
« Re-création » est porté par Loba (« Exprime-toi » en lingala), association qu’il a cofondée en 2008 avec William Njaboum, son meilleur ami également danseur. « Notre méthode de cothérapie réunit le corps et l’esprit », explique Bolewa Sabourin, adepte des danses traditionnelles congolaises apprises auprès de son mentor Mutshi Mayé. À l’origine de son combat, une rencontre avec Denis Mukwegue, « l’homme qui répare les femmes » au Congo.
La danse traditionnelle congolaise est ma bouée de sauvetage
Mais cet ouvrage retrace également l’itinéraire d’un Franco-Congolais qui s’est construit seul en dansant sur les plaies et les cicatrices de sa propre existence. Le rythme des percussions, les pulsations, les mouvements saccadés du corps forment des mots, des phrases, assenés de façon presque brutale, sans concession.
Aussi, La Rage de vivre est un livre à la cadence effrénée. Quant au style, il est à la fois oral et soutenu, sans pathos. « Je voulais que ce texte cogne. Quand on lit mon premier manuscrit, on en sort groggy. Il n’y a aucune respiration. Au final, le texte est toujours aussi dense, même si Balla [Fofana, le coauteur] a quelque peu tempéré les choses. »
Fil conducteur : la danse. « La danse traditionnelle congolaise est ma bouée de sauvetage. C’est ma vie. Elle me lie aux racines de mes ancêtres. Elle est mon port d’attache quand je m’y perds. »
Sans « (re)père »
Et ce grand gaillard s’est beaucoup perdu. Contre sa volonté d’abord. Alors qu’il est enfant, son père, Nganda, Congolais – danseur dandy, coureur de jupons, irresponsable « roi sans couronne » – l’arrache à sa mère, Colette, rochelaise, métis en quête identitaire, fragile, ravagée par la drogue, « météore tragique ». Le gamin quitte la France, direction la Gombe, à Kinshasa.
« Bolewa, prends tes affaires, on part ! » Cette injonction de son père devient une rengaine qui ne présage jamais rien de bon. Le jeune Bolewa vogue par-delà les mers, s’accroche parfois à une rive puis décroche. Sans cesse balloté, sans « (re)père », il quitte tôt les bancs de l’école, se tourne vers la drogue, se retrouve sans domicile fixe, joue un temps les mannequins…
On apprend à vivre avec ses maux, à en faire des forces, car on ne peut pas guérir de nos traumas
Dans son livre, il écrit que la danse lui permet, alors, de composer avec sa vie mouvementée. « J’ai voulu montrer que l’on apprend à vivre avec ses maux, à en faire des forces, car on ne peut pas guérir de nos traumas. C’est le sens même du projet « Re-création ». Aujourd’hui, mes propres maux sont devenus des mots qui apportent de la lumière à l’autre bout du Congo. »
Enfin, avec sa Rage de vivre, Bolewa Sabourin voulait répondre à la question qu’on ne cesse de lui poser : pourquoi danser avec ces femmes ? « Quand on sait d’où je viens, on comprend pourquoi je travaille sur ces problématiques. Le corps est un véritable outil thérapeutique et davantage pour les femmes qui ont besoin de se reconstruire. »
Labyrinthe
Au fil des pages, on suit un jeune homme farouchement indépendant, qui vit en dehors des cases, alors même que, paradoxalement, il en cherche une au sein de laquelle il pourra se loger. Son travail associatif auprès des jeunes, son implication auprès du Mouvement des jeunes socialistes ou l’obtention de son master en sciences politiques à la Sorbonne sont autant de fils d’Ariane dans le labyrinthe de son existence. S’il est libre de par la nature des choses, il estime qu’il n’y a pas de liberté sans case.
« Quand vous pouvez tout faire et que vous n’avez aucune limite, c’est là que vous êtes le plus emprisonné. C’est que, finalement, vous ne savez pas quoi faire, vous ne savez pas quel chemin emprunter, analyse-t-il. J’ai repris les études parce que, à un moment donné, être autodidacte revenait à regarder son nombril, à aller chercher des livres qui parlaient de moi. Or, il faut s’aérer l’esprit. Lire Jürgen Habermas ou Rousseau m’a permis de sortir de ma condition et de m’ouvrir à autre chose. »
« L’artivisme »
Celui qui se considère comme militant politique au service de ce qu’il appelle « l’artivisme » vit désormais entre la France, la Martinique – où est établie sa mère – et la RD Congo, « pays de [s]on futur ».
« Je veux y développer notre thérapie par la danse et d’autres projets. Loba a démarré son implantation au Congo en 2017, mais l’idée est désormais d’intervenir, au moins une fois par an, au sein de la Fondation Panzi du Dr Mukwege. » Et de lancer : « Je ne me serais jamais mis à nu si je n’avais pas tout celà à défendre. »
Étape par étape
La rédaction de La Rage de vivre a commencé il y a six ans. Alors qu’il entame un voyage entre les villes de Kinshasa et de Dakar, Bolewa Sabourin commence à écrire à ses proches tout ce qui lui passe par la tête. « Dès que je me retrouvais dans une grande ville, je filais dans un cybercafé. »
De retour en France, il continue à écrire, veut se raconter sa propre histoire. Parfois, l’écriture continue au gré de statuts postés sur Facebook. Et, en 2016, lorsqu’il cofonde Loba, on lui propose d’animer une conférence Tedx qu’il intitule « La Rage de vivre » (clin d’œil au titre éponyme de l’Haïtien René Depestre ?).
« Après cette conférence, je me suis dit qu’il fallait que j’aille plus loin. » Sa rencontre, quelques mois plus tard, avec le journaliste Balla Fofana tombe à pic. « C’est un artisan des lettres. Avec sa virtuosité, il a mis de l’ordre dans mon désordre. »
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