Ibrahim Assane Mayaki : « Il faut une discrimination positive en faveur des grands groupes africains »

Zleca, Open Sky, eco… À la tête du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique en agence de développement de l’Union africaine (ADUA) depuis dix ans, l’ex-Premier ministre nigérien évoque l’actualité et les grands défis du continent.

Ibrahim Assane Mayaki, secrétaire exécutif de l’ADUA-NEPAD à Paris, le 18 juillet. © Sydonie Ghayeb pour JA

Ibrahim Assane Mayaki, secrétaire exécutif de l’ADUA-NEPAD à Paris, le 18 juillet. © Sydonie Ghayeb pour JA

Publié le 2 août 2019 Lecture : 6 minutes.

Jeune Afrique : Que va changer concrètement la transformation du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique en agence de développement  de l’UA (ADUA) ?

Ibrahim Assane Mayaki : Désormais, l’agence a une autonomie d’exécution et une liberté de mobilisation de ressources, par exemple avec des services de conseil aux États et aux organisations régionales. Ainsi, la Commission de l’Union africaine est délestée de certaines tâches d’exécution de politique de développement et pourra se concentrer sur l’orientation politique, la gouvernance, la paix, la sécurité…

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Notre équipe va bientôt croître de 160 à 195 employés techniques spécialisés. Nous allons aussi créer des centres d’excellence régionaux spécialisés, dont un au Caire, avant la fin de l’année, consacré à la résilience climatique et aux énergies renouvelables.

En Afrique, le régionalisme doit dominer la construction de la Zleca, à travers un apprentissage de la compétitivité dans nos marchés intérieurs, avant de regarder à l’extérieur…

La Zleca est entrée en vigueur. Quelle est votre impression, et quelle sera la contribution de l’agence ?

Notre rôle est d’aider la Commission sur la base des données que nous recueillons aux niveaux nationaux et régionaux pour mieux définir une stratégie continentale et aider les communautés économiques régionales et les États à mettre en œuvre leurs stratégies. Nous sommes les seuls à jouer ce rôle transversal. L’essentiel est qu’en dépit des différentes sensibilités un consensus a été dégagé en faveur de la Zleca. Il y a dès à présent un important travail d’explications à fournir aux entrepreneurs africains sur la feuille de route à suivre.

En parlant de secteur privé, faut-il protéger les groupes africains de la concurrence, comme certains le suggèrent ?

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Je pense que oui, il faut une stratégie de discrimination positive vis-à-vis des grands groupes africains. Les modalités doivent être encore définies, mais l’idée est importante, et plus ces groupes seront régionaux mieux cela vaudra. Le nigérian Dangote Group pourrait bénéficier de plus de facilités lorsqu’il s’installe en Éthiopie, par exemple.

On doit avoir, au niveau régional, une stratégie qui facilite l’expansion de ces groupes, comme l’a fait la Corée du Sud avec ses grandes entreprises nationales. On est passé d’un multilatéralisme, avec ses règles, à un régionalisme de plus en plus fondé sur le simple pouvoir. On observe ce phénomène aux États-Unis, en Europe et en Asie. En Afrique, le régionalisme doit dominer la construction de la Zleca, à travers un apprentissage de la compétitivité dans nos marchés intérieurs, avant de regarder à l’extérieur…

Ebrahim Assane Mayaki avec Nkosazana Dlamini Zuma et Carlos Lopes durant la 20e session du Nepad en Mai 2016 à Addis Abeba. © GovernmentZA / Flickr creative commons

Ebrahim Assane Mayaki avec Nkosazana Dlamini Zuma et Carlos Lopes durant la 20e session du Nepad en Mai 2016 à Addis Abeba. © GovernmentZA / Flickr creative commons

La manière dont les Africains se voient aujourd’hui a changé. Il y a un enthousiasme et un optimisme chez les jeunes qui n’existaient pas il y a vingt ans

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Tout en soutenant les PME ?

Oui, car les PME seront les créatrices d’emplois. On voit émerger des centres d’incubation de PME. Les patrons des entreprises que je rencontre ne demandent pas forcément des fonds mais à être protégés pour pouvoir évoluer sur leurs marchés. C’est plus un accompagnement et une levée des obstacles que de simples flux financiers. Mais les banques centrales peuvent apporter leur contribution.

Quand Lamido Sanusi était gouverneur au Nigeria, il usait de son pouvoir pour obliger les banques locales à financer les PME de l’agrobusiness. C’est faisable. Plus généralement, la manière dont les Africains se voient aujourd’hui a changé. Il y a un enthousiasme et un optimisme chez les jeunes qui n’existaient pas il y a vingt ans. Ils ont beaucoup plus de chance que notre génération.

Revenons à la Zleca, que peuvent faire les États pour faciliter sa mise en œuvre ?

Les décideurs doivent ajuster, par exemple, les projets d’infrastructures pour faciliter la mise en place de la Zleca. Parce que les barrières non tarifaires [logistique, obstacles réglementaires, règles phytosanitaires…] constituent le plus gros problème aujourd’hui.

Toutes les solutions aux problèmes d’infrastructures sont plus régionales que nationales, que ce soit pour l’énergie ou les transports. Ces projets régionaux sont plus porteurs d’intégration économique qu’une addition de projets nationaux sans cohérence. C’est pour cela que l’on met l’accent sur les corridors routiers (Abidjan-Lagos, Burundi-Tanzanie, etc.). Ils seront l’un des instruments clés pour la Zleca.

Par ailleurs, à travers notre initiative Move Africa [lancée en 2016], nous travaillons avec les autorités pour promouvoir des postes frontaliers « intégrés » et réaliser toutes les formalités en un seul lieu, sous forme électronique. Nous travaillons notamment avec la coopération japonaise sur plusieurs dossiers dont la rédaction d’un manuel de formation pour les douaniers.

Les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine à Niamey pour le sommet de l'Union africaine. © Twitter officiel de l’Agence nationale pour l’organisation de la Conférence de l’Union africaine

Les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine à Niamey pour le sommet de l'Union africaine. © Twitter officiel de l’Agence nationale pour l’organisation de la Conférence de l’Union africaine

L’une des craintes du projet de ciel unique africain est que l’ouverture ne profite principalement qu’à une poignée de compagnies, souvent non africaines d’ailleurs

Autre sujet épineux, le projet de ciel unique africain qui tarde à voir le jour…

L’une des craintes est que l’ouverture du ciel africain ne profite principalement qu’à une poignée de compagnies, souvent non africaines d’ailleurs… Soit. Mais de notre côté, nous travaillons surtout au développement de hubs régionaux de transports et avons conclu, en mai 2018, un accord dans ce sens avec l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).

D’ici à cinq ans, plus de 50 % des aéroports africains ne seront plus aux normes internationales modernes (pistes, etc.), et d’énormes lacunes existent dans les systèmes de télécommunications aériennes. On ne peut pas se le permettre.

Évoquons l’eco, la monnaie unique des États de la Cedeao annoncée pour 2020 ? Est-ce réalisable ?

C’est le Nigeria qui décidera si la monnaie unique aura lieu ou non. Or, au dernier sommet de la Cedeao, Abuja a été assez volontariste. La question n’est pas technique, mais elle dépend du leadership politique régional. Si les chefs d’État le veulent, cela peut aller vite.

L’Afrique de l’Est, plus intégrée, n’a pourtant pas de monnaie commune…

Mais la facilité de circulation et d’établissement dans la zone est une réalité. Un avocat kényan s’installe à Kigali exactement comme son confrère local et vice-versa pour une start-up rwandaise à Nairobi. Tous les chefs d’État de la zone se parlent au moins une fois tous les dix jours et règlent les problèmes, parfois très pratiques, rencontrés dans le processus d’intégration !

L’aide publique au développement est déjà en diminution, et l’objectif de 0,7 % du revenu national brut dévolu à l’aide n’est pas respecté. À mon avis, elle va disparaître d’ici à dix ans

Vous n’avez pas évoqué la contribution éventuelle de l’aide internationale pour l’accélération de l’intégration africaine. Pourquoi ?

L’aide publique au développement est déjà en diminution, et l’objectif de 0,7 % du revenu national brut dévolu à l’aide n’est pas respecté. À mon avis, cette aide va disparaître d’ici à dix ans. Une partie de cette aide est déjà maquillée en aide militaire, et de l’autre côté, une part croissante est consacrée à des investissements du secteur privé avec des objectifs de rentabilité atteignant parfois 20 %…

D’où l’intérêt pour les pays africains de mobiliser leurs ressources domestiques de manière plus intelligente, sans accroître la pression sur les entreprises, mais en rationalisant les systèmes de gestion douaniers et fiscaux pour éviter les fuites.

La question des financements chinois en Afrique occupe de nombreux esprits. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Les IDE chinois en Afrique représentent moins de 1 % des financements de ce pays dans le monde ! Ce sont les chiffres du FMI et de la Banque mondiale. Nombre de pays de l’OCDE ont une obsession au sujet de la Chine, et l’on assiste à une attaque en règle contre les investissements chinois sur le continent. J’aimerais bien savoir combien la Chine a investi en Grèce (ramené au PIB par habitant) comparé à ce qu’elle investit en Afrique…

Par ailleurs, il y a une absence de discours américain sur l’Afrique. Ils ont rédigé un rapport, « Prosper Africa » [programme lancé à la mi-juin], et créé une nouvelle agence [U.S. International Development Finance Corporation (USIDFC), lancée à la fin de 2018] plus importante pour booster les investissements américains en Afrique, mais le décalage est tel entre l’instrument et le discours que ces efforts peuvent difficilement porter leurs fruits…

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