Chine-Afrique : « Les nouvelles routes de la soie sont devenues le projet le plus fédérateur à l’échelle mondiale »
Place de l’Afrique dans la diplomatique chinoise, bras de fer commercial avec les États-Unis, rôle de la Belt and Road Initiative… Entretien avec Chen Xiaodong, ministre assistant des Affaires étrangères, chargé des affaires d’Asie de l’Ouest et d’Afrique du Nord, des affaires africaines et des archives.
Chine-Afrique : un modèle gagnant gagnant ?
Pékin ouvre de nouvelles routes commerciales à travers la planète. Et notamment sur le continent. Son objectif ? concilier ses propres intérêts et le développement de ses partenaires.
Nommé à son poste actuel en 2017, Chen Xiaodong est devenu l’interlocuteur privilégié des partenaires africains de la Chine. Il n’a pourtant jamais séjourné sur le continent pour le compte du ministère des Affaires étrangères, qu’il a intégré dès ses 18 ans.
Spécialiste du Moyen-Orient, il débute à Pékin au département des affaires d’Asie de l’Ouest et d’Afrique du Nord, avant de rejoindre l’ambassade de Chine à Riyad, pendant cinq ans. Le diplomate posera ensuite ses valises en Jordanie puis en Égypte, avant de rentrer au pays pour occuper le poste de directeur général adjoint de son département. Il part ensuite de 2006 à 2008 en Irak en tant qu’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, puis rejoint l’ambassade de Chine au Royaume-Uni.
Après cette expérience londonienne, il réintègre l’administration centrale en tant que directeur général chargé de l’Asie de l’Ouest et de l’Afrique du Nord. Il occupe cette fonction pendant cinq ans, avant de redevenir ambassadeur, à Singapour cette fois. À 54 ans, ce diplomate de carrière connaît donc parfaitement la situation sur le théâtre d’opérations dont il a la charge, en même temps que les rouages de la vénérable maison qui l’emploie. Il décrypte pour Jeune Afrique le grand jeu diplomatique vu depuis Pékin. Et dans lequel l’Afrique tient une place de choix.
La Chine n’a aucune prétention hégémonique. Au contraire, elle est prête à adopter le concept de gouvernance planétaire
Jeune Afrique : Est-ce que la diplomatie chinoise est entrée dans une ère nouvelle depuis l’arrivée du président Xi Jinping ?
Chen Xiaodong : Le monde connaît ces dernières années des changements majeurs, marqués par la montée en puissance des pays émergents et en développement, ainsi que par une accélération de sa multipolarisation. Le président XI Jinping a avancé une série de concepts et d’initiatives reflétant l’esprit chinois pour répondre aux défis de cette époque.
Dans cette nouvelle ère, la diplomatie chinoise a pour objectif de promouvoir deux « constructions ». Celle d’un nouveau type de relations internationales, basées sur le respect mutuel, l’équité, la justice et la coopération gagnant-gagnant, en traçant de nouvelles voies d’échanges entre les États. Et celle d’une communauté de destin, pour bâtir un monde de paix et de prospérité partagée.
Et quel chemin compte suivre la superpuissance chinoise pour atteindre ces objectifs ?
La Chine n’est pas une superpuissance ! Elle poursuivra la voie d’un développement pacifique en continuant d’approfondir ses amitiés et sa coopération avec les différents pays du monde. La Chine s’est développée différemment des puissances traditionnelles, en suivant les voies du socialisme à la chinoise.
Des concepts comme « la primauté de la paix » et « l’harmonie dans la diversité » sont inscrits depuis longtemps dans les gènes de la nation chinoise. La Chine n’a aucune prétention hégémonique. Au contraire, elle est prête à adopter le concept de gouvernance planétaire, à assumer davantage ses responsabilités internationales, tout en renforçant les capacités des pays à se développer par eux-mêmes, en respectant les concepts avancés par le président Xi Jinping, à savoir « sincérité, résultats réels, amitié et bonne foi ».
Quelle est la position de la Chine face à l’offensive commerciale des États-Unis ?
La coopération économique et commerciale entre la Chine et les États-Unis est avantageuse pour tout le monde. Deux des plus grandes économies du monde ne peuvent régler leurs divergences sans consultations menées sur un pied d’égalité. C’est dans l’intérêt de tous. Sur les questions touchant à la souveraineté de la Chine, nous ne céderons jamais car ce que nous défendons, ce ne sont pas seulement nos priorités, mais aussi l’équité et la justice internationale, sans oublier les intérêts communs de l’ensemble des pays en développement.
Lors de leur rencontre au G20 d’Osaka, les présidents Xi Jinping et Donald Trump se sont mis d’accord pour relancer les consultations économiques et commerciales entre les deux pays afin de trouver une solution acceptable aux deux parties, à travers le dialogue. La Chine a la volonté sincère de poursuivre les négociations avec les États-Unis et de bien gérer les divergences, mais à égalité et dans le respect mutuel des intérêts de chacun.
Et les pressions exercées par Washington sur l’opérateur Huawei ?
Les États-Unis utilisent aujourd’hui tous les moyens à leur disposition pour dénigrer et attaquer sans scrupules Huawei et d’autres entreprises chinoises. L’objectif est clairement de maintenir la Chine dans une position inférieure pour permettre aux Américains de préserver leurs privilèges et leurs monopoles dans les domaines scientifiques et technologiques. Là encore, le président Donald Trump a récemment exprimé son souhait que des traitements impartiaux soient accordés aux entreprises des deux pays, et a affirmé que les firmes pouvaient continuer à vendre des pièces détachées à Huawei.
Nous espérons que la partie américaine tiendra ses promesses et cessera d’attaquer nos entreprises sous prétexte de sécurité nationale. Il semble être difficile d’admettre, pour certains, que la Chine rattrape l’Occident. Nous évoluons pourtant vers un monde économiquement globalisé, où les intérêts des différents pays sont profondément imbriqués. La coopération et le dialogue sont donc mille fois préférables à la confrontation.
La Chine ne cherche pas à se construire un pré carré mais un jardin où prospéreront nos pays partenaires
La Chine connaît d’importants défis internes, du vieillissement de la population à la naissance d’une classe moyenne, qui la poussent à revoir son modèle économique. Quelle influence cela a-t-il sur la politique étrangère chinoise ?
Depuis le lancement de la politique de réforme et d’ouverture, la Chine a maintenu le cap vers une économie de marché socialiste. Nous avons reconverti les fonctions des pouvoirs publics et valorisé pleinement le rôle du marché. Les entreprises non publiques contribuent aujourd’hui pour plus de 50 % des recettes fiscales et représentent plus de 60 % du PIB.
En 2018, la Chine s’est classée au 46e rang du classement Doing Business de la Banque mondiale, soit une progression de 32 places. Ces chiffres montrent clairement dans quel sens évolue l’économie chinoise. Le rôle accru de la demande intérieure dans la croissance et une population à revenu moyen plus importante sont des manifestations de la restructuration économique menée par la Chine ces dernières années, pour passer d’un développement rapide à une croissance plus efficace, plus durable et plus harmonieuse.
Comme l’a répété le président Xi Jinping, « la Chine ne fermera jamais ses portes ». Le développement de la Chine doit être une opportunité et une contribution pour le monde et en aucun cas un défi ou une menace. La Chine ne cherche pas à se construire un pré carré mais un jardin où prospéreront nos pays partenaires. Plus ouverte, elle créera davantage d’occasions de développement pour l’ensemble de la communauté internationale.
Quel est le rôle de la Belt and Road Initiative (BRI) dans cette ouverture de la Chine ?
Cette initiative a pour objectif, justement, de promouvoir la coopération économique internationale, en valorisant l’esprit des anciennes routes de la soie pour construire une communauté de destin. De mettre en place une plateforme de coopération, basée sur les principes « de consultations amples, de contributions conjointes et de bénéfices partagés », comme l’a proposé le président Xi Jinping.
Enfin, de favoriser la coordination politique, la connexion des infrastructures, l’essor du commerce, la coopération financière et la compréhension entre les peuples. Plus de 160 pays et organisations nationales ont signé une convention avec la Chine et un bon nombre de projets importants ont déjà été lancés. La BRI est devenue le projet le plus fédérateur, ainsi que le plus grand dispositif de coopération existant aujourd’hui à l’échelle mondiale.
Quelle place tient l’Afrique dans cette initiative ?
La coopération sino-africaine est encore plus fructueuse grâce à la BRI. Quarante-trois pays africains, ainsi que la Commission de l’UA ont signé des accords de coopération dans le cadre de cette initiative. Et, là encore, d’importants projets ont été mis en œuvre, apportant des bénéfices tangibles aux populations.
La Chine veut identifier les moyens de valoriser au mieux cette coopération pour les pays africains, tout en promouvant une complète synergie avec l’agenda 2063 de l’UA et les stratégies nationales de développement propres à chaque pays. En lançant cette initiative, la Chine montre qu’elle veut partager avec le reste du monde ses perspectives d’ouverture et de développement, dans le contexte d’une économie mondiale ouverte.
C’est parce que des défis complexes se posent aujourd’hui en matière de sécurité maritime que la marine chinoise s’est vue doter de nouvelles capacités
La Chine est devenue une puissance maritime mondiale en quelques années. Elle compte même, pour la première fois de son histoire, une base navale à l’extérieur de son territoire. Dans quels buts ?
La Chine poursuivra résolument la voie du développement pacifique et reste attachée à sa politique de sécurité nationale à caractère défensif. Ce qui n’a jamais empêché la marine chinoise de s’acquitter de ses obligations internationales. C’est parce que des défis complexes se posent aujourd’hui en matière de sécurité maritime que la marine chinoise s’est vue doter de nouvelles capacités.
L’objectif est de préserver la souveraineté et les droits de la Chine. Et si le pays a bâti une base de soutien à l’étranger, c’est là encore pour mieux s’acquitter de ses responsabilités internationales et protéger ses intérêts légitimes. La base de Djibouti facilite l’accomplissement de missions d’escorte dans le golfe d’Aden et au large de la Somalie, ainsi que de secours humanitaire. Elle ne revêt aucun caractère expansionniste.
La Chine n’entend de toute façon pas déroger au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’autrui…
Ce principe est une tradition pour la diplomatie chinoise. Nous respectons depuis toujours le droit des peuples à choisir en toute indépendance leur voie. La Chine ne s’immiscera jamais dans les affaires d’autrui.
En Afrique, nous restons attachés au principe des « cinq non » : non à l’ingérence dans le choix des voies de développement ; non à l’ingérence dans les affaires intérieures ; non à la pratique d’imposer sa volonté ; non à l’octroi d’aide sous une quelconque conditionnalité politique ; non à la recherche d’intérêts politiques dans la coopération économique.
Mais cette non-ingérence ne signifie pas l’inaction ou le repli sur soi. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, la Chine assume activement les responsabilités qui lui incombent sur la scène mondiale et elle s’est toujours engagée pour la paix et le développement, en prenant une part active dans les médiations internationales.
La Chine et l’Afrique ont déjà prouvé leur complémentarité économique et commerciale
Et en Afrique, quel rôle compte jouer la Chine en matière de sécurité ?
La Chine a toujours soutenu les efforts des pays africains pour qu’ils puissent régler leurs problèmes par eux-mêmes. Elle contribue à hauteur de 180 millions de dollars (161 millions d’euros) aux opérations de maintien de la paix conduites par l’UA et elle compte fournir une aide militaire aux pays du G5 Sahel et à sa force conjointe.
Comment qualifieriez-vous l’évolution de la coopération sino-africaine ?
L’amitié entre la Chine et l’Afrique est ancienne puisque leurs premiers échanges remontent à plus de 2 000 ans. Les deux partenaires se sont toujours traités avec sincérité et se sont souvent mutuellement soutenus dans leur lutte contre l’impérialisme et leur combat pour l’indépendance, ou dans leur marche sur les voies du développement.
Le président Xi Jinping attache une très haute importance à cette coopération sino-africaine qui est aujourd’hui tous azimuts et se déploie à différents niveaux dans de vastes domaines. Les rencontres entre dirigeants chinois et africains se multiplient pour permettre une meilleure compréhension mutuelle. La Chine et l’Afrique ont déjà prouvé leur complémentarité économique et commerciale et les milliards investis par la Chine dans un grand nombre d’infrastructures en Afrique consolident encore cette coopération qui n’est pas fermée aux autres.
Au contraire, elle se veut inclusive. Nous souhaitons travailler avec la France, avec le Royaume-Uni et les autres partenaires traditionnels de l’Afrique pour promouvoir une coopération tripartite, capable de favoriser les synergies au service du développement du continent.
Le Forum est devenu, au fil de ses éditions, une véritable plateforme de dialogue, lui permettant d’être l’étendard de la coopération Sud-Sud avec l’Afrique
Quelle place tient le Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) dans la stratégie développée par la Chine en direction du continent ?
Le Focac a vu le jour en 2000 pour renforcer l’amitié et la coopération entre les deux partenaires et promouvoir leur développement commun. En 2006, le sommet de Pékin a établi un partenariat stratégique sino-africain de type nouveau. Celui de Johannesburg, en 2015, l’a porté au niveau de partenariat stratégique global, autour de dix programmes de coopération. Trois ans plus tard, le sommet de Pékin a décidé de promouvoir, dans le cadre de la BRI, la coopération avec l’Afrique.
Le Forum est devenu, au fil de ses éditions, une véritable plateforme de dialogue, lui permettant d’être l’étendard de la coopération Sud-Sud avec l’Afrique. La partie africaine apprécie hautement le respect par la Chine de ses engagements et les résultats effectifs de la mise en œuvre des acquis du Forum.
La création, dans le cadre du Focac, de la Conférence des entrepreneurs chinois et africains ou la mise en place de sous-forums, centrés sur la santé, les médias, la lutte contre la pauvreté, etc., contribuent à élargir et à diversifier les champs d’action de cette coopération sino-africaine.
La Chine semble être, ces derniers temps, plus regardante dans l’octroi des prêts à ses partenaires africains. Est-ce un changement de politique de sa part ?
En tant qu’amie du continent, la Chine a toujours œuvré pour renforcer sa coopération en matière d’investissement et de financement avec les pays africains, notamment dans l’amélioration des infrastructures et l’accélération du développement économique et social. Elle encourage également les entreprises chinoises à investir davantage en Afrique et à faire preuve pour cela d’innovation dans les modalités de financement.
La Chine veille à ce que sa coopération financière avec le continent contribue à l’amélioration des conditions de vie, au développement et au renforcement des capacités de développement autonome des pays africains. Elle n’a jamais forcé un pays, rencontrant des difficultés de paiement dues à une mauvaise conjoncture économique, à rembourser sa dette. Elle cherche au contraire à trouver par le dialogue une solution mutuellement acceptable.
La Chine récuse les allégations mensongères comme le « piège de la dette », totalement infondées et qui révèlent davantage le non-respect de l’Afrique et la non-connaissance de la Chine affichés par ceux qui tiennent de tels propos. Ils ne comprennent pas la véritable amitié qui lie la Chine et l’Afrique. Nous espérons qu’ils écouteront un jour davantage la voix des Africains.
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