Chine-Afrique : le « soft power » en ombre chinoise

La Chine se donne les moyens de diffuser son modèle culturel en Afrique. Pour le pays, l’enjeu est considérable.

Dans le cadre de la coopération culturelle, des étudiants et un enseignant de l’Institut Confucius présentent des arts martiaux à Lusaka. © Peng Lijun/Xinhua/MAXPPP

Dans le cadre de la coopération culturelle, des étudiants et un enseignant de l’Institut Confucius présentent des arts martiaux à Lusaka. © Peng Lijun/Xinhua/MAXPPP

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Publié le 31 juillet 2019 Lecture : 4 minutes.

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Chine-Afrique : un modèle gagnant gagnant ?

Pékin ouvre de nouvelles routes commerciales à travers la planète. Et notamment sur le continent. Son objectif ? concilier ses propres intérêts et le développement de ses partenaires.

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Comme l’a formulé Xi Jinping au moment de son élection, en 2013, la Chine veut faire rêver le monde, et l’Afrique en particulier. Pour cela, le président accélère le mouvement initié par son prédécesseur, Hu Jintao, le premier à regretter que l’influence culturelle de la Chine ne corresponde pas à sa place sur la scène internationale.

C’est d’ailleurs lui qui a introduit en 2007, lors du XVIIe congrès du Parti communiste chinois, le concept de soft power, traduit littéralement par « force douce » en mandarin et élevé au rang de priorité par la diplomatie chinoise depuis son inscription dans le plan quinquennal 2011-2015.

La Chine veut être appréciée à la valeur de sa contribution dans l’économie mondiale, formule un diplomate africain en poste à Pékin

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Toute grande puissance mondiale qu’elle est, la Chine souffre d’un déficit d’image sur la scène internationale, qu’il lui tarde de combler. « Elle veut être appréciée à la valeur de sa contribution dans l’économie mondiale », formule un diplomate africain en poste à Pékin.

Ses dirigeants ont compris que les principes de non-ingérence et de développement économique partagé ne suffiraient pas à construire « la communauté de destin » qu’ils rêvent d’établir avec les pays partenaires de la Belt and Road Initiative (BRI). Avec en filigrane la crainte de ne pas faire le poids face aux valeurs de démocratie et de transparence défendues par l’Ouest.

Alternative au modèle occidental

Mais, comme décomplexée depuis son retour au premier plan international, la Chine se voit désormais comme une alternative au modèle occidental, avec ses propres préceptes néoconfucéens à vocation tout aussi universelle, qu’elle entend promouvoir par une intense diplomatie culturelle.

Et plutôt que de mettre en avant les valeurs idéologiques d’un pouvoir communiste toujours en place, elle préfère s’appuyer sur les images plus consensuelles de ses dynasties impériales. Le choix de Confucius, honni sous Mao Zedong et remis à l’honneur par Xi Jinping pour nommer les 510 instituts créés depuis 2004 dans le monde (dont 59 en Afrique), symbolise d’ailleurs cette renaissance d’une Chine millénaire.

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Dans son opération de séduction, l’empire du Milieu ne néglige aucun aspect et met en valeur ses traditions les plus ancestrales, de la gastronomie à la médecine en passant par les arts martiaux ou encore la calligraphie.

En tant que puissance globale, ayant achevé un rattrapage scientifique et technologique qui lui permet aujourd’hui de s’inscrire dans la modernité en marche, la Chine utilise tous les moyens à sa disposition pour diffuser ses messages. Elle peut aussi s’appuyer sur sa diaspora, évaluée à près de 125 millions de personnes, ainsi que sur les millions de touristes qui sillonnent désormais la planète.

Nos responsables politiques et nos chefs d’entreprise sont enfin prêts à sortir de leur silence

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Mais pour partager les mêmes valeurs, encore faut-il les verbaliser, ne serait-ce que pour inspirer la confiance autour de soi. Et, longtemps, les quelques principes mis en avant par Pékin en matière de soft power sont apparus trop proches de ses intérêts économiques et géopolitiques – le hard power – pour ne pas être perçus comme de la propagande par l’opinion internationale.

Alors, depuis quelques années, la Chine semble désireuse de communiquer plus ouvertement. « Nos responsables politiques et nos chefs d’entreprise sont enfin prêts à sortir de leur silence, plutôt que de laisser les autres fantasmer sur ce qu’ils ne disent pas », constate Cheng Tao, membre du think tank Charhar Institute. Et puisqu’elle a retrouvé la voix, la Chine veut se faire entendre. Elle n’hésite pas pour cela à reprendre à son compte les recettes développées par des puissances plus reconnues en matière de soft power, comme les États-Unis, la France et le Japon.

Les porte-voix de Pékin

Puisant dans son trésor, Pékin a investi des milliards de dollars pour constituer un vaste réseau médiatique à l’intention de l’étranger, assis sur deux piliers : la China Central Television (CCTV) dans l’audiovisuel et l’agence de presse Xinhua. La première diffuse en six langues vers une centaine de pays et dispose depuis 2016 d’une chaîne d’information en continu en anglais. La seconde compte déjà 170 bureaux à l’étranger, émet en huit langues et a même su s’imposer face aux autres agences en tant que fournisseur de contenus pour les médias locaux, notamment en Afrique, grâce à ses tarifs très compétitifs.

En plus de la télévision numérique, Pékin a fait du cinéma une de ses sources de rayonnement privilégiées. Surtout depuis 2015, date à laquelle les chiffres du box-office chinois ont dépassé pour la première fois ceux des États-Unis. Wolf Warrior 2, qui raconte les exploits d’un mercenaire chinois libérant ses compatriotes pris en otage quelque part en Afrique, a établi en 2017 un nouveau record en Chine, avec plus de 850 millions de dollars de recettes.

Reste que la diffusion internationale de tels blockbusters demeure des plus confidentielles. Ce qui empêche pour l’instant de vérifier l’intime conviction des officiels chinois pour qui « plus le monde apprendra à connaître la Chine, plus il l’aimera ».

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