RDC : Jean-Jacques Muyembe, en première ligne face à Ebola
Le docteur en virologie, spécialiste du virus Ebola, a pris la tête du comité d’experts chargé de contenir l’épidémie sévissant en RD Congo. Une décision de Félix Tshisekedi.
La première fois qu’il a été confronté au virus, le professeur Muyembe Tamfum a pensé qu’il s’agissait de la typhoïde. C’était en 1976, à Yambuku, dans l’actuelle province de la Mongala (nord-est de la RD Congo). Docteur en virologie, il avait été envoyé dans ce village qui abritait une mission de religieuses belges afin d’étudier une mystérieuse maladie qui faisait des ravages. À l’hôpital, la plupart des patients et du personnel infirmier étaient déjà morts, et les examens sur les dernières victimes s’étaient avérés non concluants. Jean-Jacques Muyembe avait donc fait transporter à Kinshasa une religieuse atteinte de ce mal inconnu. Les échantillons sanguins, envoyés au Dr Peter Piot, à Anvers, avaient permis d’isoler pour la première fois le virus Ebola.
Quarante-trois ans et neuf épidémies plus tard, Jean-Jacques Muyembe se retrouve une fois de plus en première ligne. Nommé le 20 juillet à la tête d’un comité d’experts chargé de « la coordination de l’ensemble des activités de mise en œuvre de la stratégie de riposte à la maladie », il est le nouveau visage de la lutte contre l’épidémie qui sévit dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, et qui a fait au moins 1 743 morts depuis août 2018.
Le professeur a pris la direction d’un secrétariat technique dont les contours sont encore flous mais qui se place sous l’égide de Félix Tshisekedi, signe d’un réajustement stratégique au sommet de l’État. David Gressly, coordonnateur des interventions d’urgence des Nations unies pour la lutte contre le virus, n’hésite pas à parler de « changement d’attitude » de la part du pouvoir depuis que l’OMS a requalifié l’épidémie en « urgence sanitaire mondiale ». Reçu par le président le 24 juillet au côté de la chef de la mission de l’ONU pour la RD Congo (Monusco), Leila Zerrougui, il estime que « l’annonce d’un cas à Goma a montré que le dispositif comportait des failles ».
Une nouvelle stratégie
Jean-Jacques Muyembe plaide depuis plusieurs semaines pour l’utilisation d’un nouveau vaccin expérimental
Au-delà d’un CV qui justifie une nomination à un poste de ce type, le repositionnement du Pr Muyembe, qui dirigeait jusque-là l’Institut national de recherche biomédicale de la RD Congo (INRB), témoigne d’une nouvelle stratégie. Jean-Jacques Muyembe plaide depuis plusieurs semaines pour l’utilisation d’un nouveau vaccin expérimental, à but préventif, fourni par la firme belge Janssen Pharmaceutica et dont 500 000 doses sont disponibles.
Sans remettre en question l’utilisation du vaccin rVSV-ZEBOV du laboratoire américain Merck, actuellement administré au compte-gouttes aux personnes les plus exposées (proches de malades et personnel soignant), le professeur estime utile de prévenir la propagation en intervenant dans certaines zones pour l’instant épargnées. Une position qui semble s’aligner sur les préconisations de l’OMS et de l’ONU mais à laquelle le ministre de la Santé, Oly Ilunga Kalenga, s’opposait jusqu’à présent.
Ancien directeur médical des Cliniques de l’Europe, à Bruxelles, le Dr Ilunga n’est pas un inconnu pour le président congolais : il était l’un des médecins de son père, Étienne Tshisekedi. Alors que Félix Tshisekedi était encore dans l’opposition, Ilunga avait accepté la main tendue du pouvoir et était devenu ministre de la Santé, en décembre 2016. « Il avait un passif avec le président. Mais c’est aussi une stratégie de Félix Tshisekedi depuis son investiture : il met en place des structures sous son égide pour prendre la main sur les ministres de l’ancienne administration », résume une source diplomatique à Kinshasa.
Contraintes techniques
Le Dr Ilunga n’a pas tardé à régler ses comptes
Désavoué par Félix Tshisekedi, le Dr Ilunga n’a pas tardé à régler ses comptes. Dans la lettre de démission adressée le lendemain de la création du comité, il dénonce notamment les « initiatives [de membres du comité] ayant suscité des interférences dans la conduite de la riposte », ciblant sans le nommer Muyembe.
Au-delà de la cacophonie évoquée, Ilunga met en garde contre l’utilisation d’un autre vaccin qui ne ferait, selon lui, qu’amplifier « la confusion » et la défiance des populations vis-à-vis de la riposte. Le produit de Janssen présente en effet des contraintes techniques non négligeables puisqu’il doit être administré en deux fois à cinquante-six jours d’intervalle. Cela suppose une excellente organisation du suivi, ce qui fait précisément défaut depuis le début de l’épidémie.
« Nous courons toujours après le virus, répond Muyembe. Il faut changer d’approche. » Le professeur précise toutefois qu’une utilisation massive du deuxième vaccin n’est pas encore décidée. Les deux prochaines semaines vont lui permettre de se faire une idée plus précise : il devrait les passer dans les provinces touchées par l’épidémie.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles