Cosmétiques : quand le naturel revient au galop

Les cosmétiques écologiques ou à concocter soi-même gagnent du terrain en Occident comme en Afrique. Un marché de niche qui répond aux besoins de la communauté afro.

Maquillage, lors du concours Miss World South Sudan à Juba, le 21 juillet 2019. © Andreea Campeanu/REUTERS

Maquillage, lors du concours Miss World South Sudan à Juba, le 21 juillet 2019. © Andreea Campeanu/REUTERS

eva sauphie

Publié le 7 août 2019 Lecture : 6 minutes.

Pendant longtemps, seules des solutions défrisantes (et toxiques) apparaissaient dans les maigres rayons cosmétiques des super­marchés occidentaux. Même constat du côté des petites échoppes afro-parisiennes. Impossible de trouver un soin sur les linéaires pourtant bien fournis des boutiques. En lieu et place, une myriade de crèmes coiffantes majoritairement élaborées à base de silicone – un composant qui, à terme, étouffe le cheveu, le fragilise et le casse –, et autres formules lissantes. Les produits pour la peau étaient tout aussi nocifs et les crèmes éclaircissantes mises en avant alors que leurs effets néfastes sur l’épiderme ont été prouvés depuis longtemps.

Face à ce trop-plein de propositions chimiques, la communauté africaine-­américaine a été la première à réagir en renonçant à la pression du fer à lisser – et aux diktats imposés par la beauté occidentale. Les années 2000 voient ainsi l’émergence du mouvement Nappy (contraction de natural and happy – naturel et heureux).

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Des années de camouflage

Or, comment entretenir des cheveux et une peau, finalement méconnus des intéressés eux-mêmes, après des années de camouflage et de maltraitance ? « On n’a pas transmis [aux consommatrices] l’art et la manière de s’occuper de leur peau foncée et de leurs cheveux crépus ou frisés. En cela, […] les réseaux sociaux permettent une transmission de savoirs avec force encouragements et solidarité », reconnaît la Franco-Béninoise Michèle Nicoué-Paschoud, docteure en pharmacie et aromathérapeute, dans son livre Beauté noire (éd. La Plage, 2018).

Je communique sur les ressources disponibles et accessibles localement, comme le beurre de karité, les huiles de coco et de palme

Dans un secteur des cosmétiques où les Noirs peinent finalement à se reconnaître, les blogueuses afros – frustrées par l’offre traditionnelle – ont donc jugé bon d’élaborer leurs propres recettes à base de produits naturels bruts et de les recommander à leur communauté. C’est le cas de l’Ivoirienne Mariam Diaby, fondatrice du mouvement Nappys de Babi, née en 2010 sur une simple page Facebook (plus de 26 000 fans aujourd’hui). « Je communique sur les ressources disponibles et accessibles localement, comme le beurre de karité, les huiles de coco et de palme.

On aurait tort de s’en priver », proclame celle qui organise également des ateliers (gratuits !) de partage d’astuces, sur l’entretien des cheveux naturels, environ deux fois par mois dans différents établissements d’Abidjan. Chaque session s’articule autour d’une thématique répondant aux besoins des femmes noires : comment remédier à la sécheresse capillaire, à la casse ou à la perte de cheveux, ou encore gagner en longueur.

Des cosmétiques naturels contre ceux de l’industrie

Les géants des cosmétiques surfent aujourd’hui, eux aussi, sur la tendance en élargissant leurs gammes aux spécificités des peaux noires et des cheveux « ethniques » en utilisant des composants issus de la nature. Mais ces produits sont contestés. « Cette attitude marketing met en avant un ingrédient naturel mais incorporé en très faible proportion dans une formulation conventionnelle parfois catastrophique pour la nature et/ou la santé des consommateurs, alerte Michèle Nicoué-Paschoud. Les peaux noires et les cheveux crépus ont besoin d’être hydratés, assouplis et lubrifiés, ce qu’apportent avec efficacité les cosmétiques naturels bien formulés. » D’où l’importance pour les consommatrices d’être informées et de reconnaître leurs besoins.

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Le secteur de la coiffure en France est par exemple très limité pour ce type de clientèle. Malgré la présence d’une multitude de coiffeurs afros, la majorité ne maîtrise pas les techniques de soins et de coiffage pour ce type de cheveux, limitant ainsi leurs prestations aux sempiternels tressages et défrisages. Rien d’étonnant puisque seule l’option défrisage figure au programme des enseignements du CAP de coiffure français.

il est quasi impossible de trouver un coiffeur traditionnel à Abidjan capable de s’occuper des cheveux naturels

Un projet de formation aux cheveux texturés devait voir le jour courant 2018, mais il semble avoir été abandonné. Idem en Côte d’Ivoire où « il est quasi impossible de trouver un coiffeur traditionnel à Abidjan capable de s’occuper des cheveux naturels, relève Mariam Diaby. Or, tout le monde n’a pas le temps de faire ses mélanges soi-même pour entretenir sa chevelure. » Afin de pallier ce manque, elle a lancé le centre de soins capillaires Kunsi en collaboration avec des dermato-­cosmétologues, en attendant la création d’une académie de formation aux cheveux crépus et frisés prévue en 2020 dans la capitale ivoirienne.

kunsi centre capillaire koumassi abidjan © DR

kunsi centre capillaire koumassi abidjan © DR

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Le retour du cheveu naturel en Afrique

Pourtant le mouvement naturel prend de l’ampleur en Afrique. Au Sénégal, à Thiès, Alice Mondou organise les ateliers capillaires Being Nappy. Au Congo, à Kinshasa, c’est grâce au concept Nappy Care porté par la coach capillaire Charlotte Kabamba que les « naturalistas », comme on les appelle sur le web, peuvent se renseigner. Tandis qu’au Cameroun Élise Nyemb, fondatrice de la page Les bidouilles d’une nappy (plus de 22 000 fans), a créé My Place, le premier salon de coiffure de Douala réservé aux cheveux crépus. « On voit partout des coupes afro portées par les Africaines aujourd’hui », confirme Mariam Diaby.

Certaines suivent la mode, d’autres sont à la recherche de solutions pour remédier à des problèmes capillaires

Un phénomène à la fois tendance et militant, selon cette ancienne adepte du défrisage passée par la phase « big chop » (dans le langage nappy, le fait de se raser les cheveux pour retrouver sa texture originelle), qui reçoit une centaine de personnes aux profils différents lors de ses ateliers. « Certaines suivent la mode, d’autres sont à la recherche de solutions pour remédier à des problèmes capillaires à la suite de l’utilisation de produits chimiques. Et d’autres encore souhaitent être naturelles par conviction », détaille-t-elle.

Et son homologue, Sandrine Assouan Kouao, ingénieure en chimie, à l’origine de la marque Nature et Traditions lancée en 2015, de compléter : « Quand je portais mes cheveux crépus, avant que le mouvement prenne de l’ampleur en Côte d’ivoire au début des années 2010, j’étais vivement critiquée. Mais quand les Africains ont vu qu’en Occident la diaspora portait fièrement ses cheveux naturels, il y a immédiatement eu une acceptation de la part de la société africaine », reconnaît-elle.

Beurre de mangue

Le phénomène de la beauté naturelle a réussi à créer un impact non seulement social mais aussi économique en Afrique. Des marques comme Adeba Nature et Dr Magic, lancées par des pharmaciennes, émergent un peu partout en Côte d’Ivoire et rencontrent un franc succès. Mais Nature et Traditions est l’une des premières gammes de produits naturels à s’être professionnalisées localement. Spécialisés dans les traitements dermo-cosmétiques contre la dépigmentation de la peau, les produits sont essentiellement composés d’ingrédients naturels provenant d’Afrique : karité, cacao, bissap, apki, spiruline, beurre de mangue…

« Enfant, j’avais l’habitude d’observer mes tantes utiliser des plantes dans leur rituel cosmétique », raconte celle qui a donc eu envie de proposer à la clientèle ivoirienne de se reconnecter avec ses traditions. Celle qui s’est perfectionnée en biotechnologies prodigue ses conseils, à travers des tutos disponibles sur le site de sa marque ou directement en boutique avant de recommander un traitement. Également coach en beauté, autre business émergeant dans le secteur, elle accompagne les femmes en perte de confiance à se réconcilier avec leur physique. Et « à mieux comprendre leur peau et leurs cheveux pour en prendre soin ». Parce que le mouvement Nappy est avant tout affaire d’estime de soi.

Recette de soin coiffant maison

par Michèle Nicoué-Paschoud

Constituer son vaporisateur hydratant léger : cette brume contient le minimum d’huiles végétales pour définir les boucles et faciliter la coiffure.

• 2 c. à café d’huile de sésame blanc ou de tournesol bio

• 2 c. à café d’huile d’Abyssinie, de marula ou de coton

• 1 c. à café d’huile de sapote ou de piqui

• 80 ml d’eau de source

Introduire les huiles une à une dans un flacon de 150 ml muni d’un bouchon spray.

Ajouter l’eau de source et mélanger.

Agiter avant l’emploi et vaporiser régulièrement en massant les longueurs et le cuir chevelu.

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