[Tribune] Gambie : le pari de la vérité au service de la transition post-Jammeh

Les révélations fracassantes sur les crimes présumés de Yahya Jammeh se multiplient devant la Commission vérité, réconciliation et réparations. En quelques mois, elle a su s’imposer comme une arme des plus convaincantes dans la transition démocratique actuellement en cours en Gambie.

Le dernier meeting du président Yahya Jammeh, en novembre 2016 à Banjul. © Jerome Delay / AP / SIPA

Le dernier meeting du président Yahya Jammeh, en novembre 2016 à Banjul. © Jerome Delay / AP / SIPA

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  • Thierry Cruvellier

    Expert en matière de justice transitionnelle et rédacteur en chef de justiceinfo.net

Publié le 6 août 2019 Lecture : 3 minutes.

C’est l’événement le plus captivant de l’année en matière de justice relative à des violations graves des droits de l’homme. Un extraordinaire jeu de la vérité en direct, et qui tient en haleine une nation au gré de révélations toujours plus fracassantes sur deux décennies de dictature militaire.

Depuis le 7 janvier, la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) tient audience publique près de Banjul, capitale de la Gambie. Des témoignages impressionnants s’y succèdent sur le régime de Yahya Jammeh, au pouvoir entre juillet 1994 et janvier 2017. Dernier coup de théâtre en date : dans la semaine du 20 juillet, d’anciens nervis ont commencé à parler.

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Trois d’entre eux ont fourni des informations inédites sur leur implication dans plusieurs dizaines de meurtres, en faisant remonter la chaîne de commandement directement à Jammeh. [L’annonce de leur remise en liberté prochaine, annoncée lundi 5 août, a créé la polémique, en début de semaine, NDLR]. D’autres sont attendus à la reprise des audiences publiques, le 8 août.

Simplement dire la vérité

La règle est relativement simple : si les hommes appelés à témoigner disent la vérité de manière convaincante, en exprimant des regrets, en demandant pardon et en s’engageant à contribuer aux réparations, ils peuvent espérer la clémence, voire l’amnistie, au nom de la réconciliation nationale.

Sanna Sabally, ancien numéro deux du pouvoir avant d’en être lui-même victime, a impressionné les Gambiens, qui ne l’avaient ni vu ni entendu depuis plus de vingt ans, par son apparente sincérité et par sa pleine coopération avec le processus de justice. Ce fut tout le contraire avec Yankuba Touray, autre pilier de la junte. L’ancien putschiste a refusé de répondre aux questions, clamant être couvert par l’immunité. Aussitôt mis en état d’arrestation, il est poursuivi pour de multiples meurtres.

L’une des forces de la Commission est d’avoir pu manier la carotte et le bâton de manière suffisamment crédible, et ce grâce au soutien du ministre de la Justice Abubacarr Ba Tambadou, qui a rendu la menace d’un procès effective chaque fois que des intervenants semblaient mégoter sur la vérité.

ce qui s’annonçait comme un désastre s’est avéré une méthode hardie et séduisante

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Une autre de ses forces tient à un pari inconscient : pressée de satisfaire une population que la lenteur de la transition démocratique frustre, la TRRC a commencé ses audiences publiques dans la plus grande hâte, trois mois après son inauguration officielle. Or ce qui s’annonçait comme un désastre s’est avéré une méthode hardie et séduisante.

En effet, l’enquête se déroule quasiment en « live », donnant aux audiences leur caractère spectaculaire et faisant d’elles des événements médiatiques nationaux. Les Gambiens sont collés à leur poste, les débats sur les réseaux sociaux sont intenses. La TRRC est devenue un instrument crucial de la rupture avec le passé dictatorial.

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Jammeh est toujours en exil en Guinée équatoriale, et il sera difficile de mettre la main sur lui. Mais la Commission constitue déjà une formidable arme contre lui et les membres de l’ancien régime toujours en poste.

Le cas Fatou Bensouda

Restent de nombreuses inconnues et autres obstacles au succès de l’entreprise de justice gambienne. L’incertitude demeure sur le fonctionnement des amnisties. La TRRC a fait miroiter aux victimes des réparations, mais n’a pas été plus claire quant à la façon dont elle allait y pourvoir.

Elle s’avère une arme des plus convaincantes dans la transition démocratique en Gambie

En question également : la manière dont la Commission traitera la responsabilité des civils et des politiques. Par exemple, deux victimes de torture ont mis en cause l’actuelle procureure de la Cour pénale internationale Fatou Bensouda, qui fut auparavant conseillère juridique de Jammeh, procureure générale et ministre de la Justice à Banjul. Or, face à ces premières allégations, certains acteurs clés de la TRRC ont semblé protéger Bensouda. Cela pourrait représenter un test quant à l’indépendance et à l’intégrité de la commission.

Mais pour l’heure celle-ci a imposé un style à la fois inquisitoire et réconciliateur. Elle s’avère une arme des plus convaincantes dans la transition démocratique en Gambie. Face au marasme des tribunaux pénaux internationaux et à l’enlisement d’autres « commissions vérité » comme celles du Mali ou de Centrafrique, elle est un antidote à la dépression que traverse le droit international. Il faut regarder vers Banjul ces temps-ci pour mesurer la vigueur préservée de la recherche de la vérité.

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