Gabon : les mystères de Pascaline, fille aînée d’Omar Bongo Ondimba
Autrefois toute-puissante, la fille aînée d’Omar Bongo Ondimba est marginalisée depuis l’arrivée de son frère à la présidence. Il y a huit mois, elle a tenté un retour au cœur du pouvoir. Mais rien ne s’est passé comme prévu.
Officiellement, cela fait huit mois que Pascaline Bongo est rentrée de son exil californien. Mais l’aînée de la famille s’est déjà évaporée. À Libreville, on ne la voit nulle part. Alors que la société civile et une partie de l’opposition pressent le président Ali Bongo Ondimba (ABO) de prouver que son accident vasculaire cérébral (AVC) d’octobre 2018 n’a pas altéré ses capacités cognitives, sa sœur garde le silence. Elle vit repliée sur elle-même, au point qu’on se demande si elle réside vraiment au Gabon.
Ce n’est pas ce qu’espérait Brice Laccruche Alihanga (BLA), le directeur de cabinet du président. En janvier dernier, au moment où ABO poursuivait au Maroc une difficile rééducation, Libreville était devenue le théâtre d’une impitoyable guerre de clans. BLA avait cru trouver en elle un soutien susceptible de l’aider à apaiser ses relations dégradées avec certains caciques de la communauté téké, dont est issue la famille Bongo.
Il avait passé de la pommade sur les blessures que Maixent Accrombessi, son prédécesseur à la tête du cabinet présidentiel, avait infligées à Pascaline Bongo. On lui a rendu son statut de haute représentante du président de la République, assorti de ces avantages dont elle raffole. Le moindre n’étant pas le passeport diplomatique, que Accrombessi lui avait retiré jadis. Et BLA lui a proposé un bureau tout à côté du sien.
Allure de bonne sœur
Dès le premier coup d’œil, on voit qu’elle a changé. Elle porte d’austères robes blanches ou sombres qui ajoutent à son ostensible ferveur religieuse et lui donnent l’allure d’une bonne sœur catholique. Quoi qu’il en soit, Pascaline is back ! La nouvelle a eu tôt fait d’attirer les mouches, qui avaient changé d’âne. Les courtisans d’antan ont subitement retrouvé son numéro de téléphone. Mais ceux qui se sont présentés à la porte de sa villa du quartier huppé de La Sablière, à Libreville, pour renouveler leur allégeance ont été fraîchement accueillis.
Elle a une trop forte personnalité pour se laisser instrumentaliser
De toute façon, l’engouement n’a pas duré. Pascaline n’a de toute évidence pas trouvé sa place au sein de la jeune garde de son demi-frère. Peut-être n’a-t-elle jamais eu l’intention de s’y intégrer. Elle, la « fille de », n’est pas femme à se glisser dans la peau d’un second rôle. « Elle a une trop forte personnalité pour se laisser instrumentaliser », glisse un politique qui la connaît depuis une vingtaine d’années.
On est loin de l’époque d’Omar Bongo Ondimba où, ministre des Affaires étrangères puis directrice du cabinet présidentiel, Pascaline faisait la pluie et le beau temps. En 2009, au moment du décès de son père, la jeune femme est au faîte de sa puissance. Elle a la haute main sur les finances publiques alors que l’argent du pétrole coule à flots. Les patrons des régies financières sont ses obligés et elle siège au conseil d’administration de Total Gabon, l’opérateur pétrolier majeur du pays. Elle tient aussi la caisse de Delta Synergie, le holding familial regroupant des participations dans une cinquantaine de sociétés. C’est incontestablement la femme la plus puissante du pays.
Elle voulait mettre cette puissance au service de son époux, Paul Toungui, alors ministre de l’Économie et des Finances
En France, Pascaline disposait de réseaux tissés pendant ses années passées à la tête du cabinet de son père. Ses relais s’étendaient jusqu’à l’entourage du président français d’alors, Nicolas Sarkozy. « Elle voulait mettre cette puissance au service de son époux, Paul Toungui, alors ministre de l’Économie et des Finances », assure un avocat français proche de feu Omar Bongo. Toungui avait même annoncé sa candidature à la présidentielle aux « appelistes », le courant qu’il cornaquait au sein du Parti démocratique gabonais (PDG). Mais après avoir consulté les barons du Haut-Ogooué, dont il est lui-même originaire, « Monsieur Gendre » avait changé d’avis. La province avait choisi un autre que lui : Ali.
Elle n’a plus eu d’autre choix que de soutenir son demi-frère. Lequel, sitôt élu, n’a pas hésité à lui reprendre les clés du cabinet présidentiel pour les confier à l’un de ses proches, Jean-Pierre Oyiba, auquel va vite succéder Maixent Accrombessi. Le message est clair : pour exercer le pouvoir, le président n’a pas besoin d’une « première sœur ». Dans le logiciel d’Ali, la politique laisse une infime part aux sentiments. Pascaline en sera la première victime. Les coups qu’ils se portent ne laissent pas de doute sur la rivalité qui les oppose. Même si, pour ménager les apparences, le frère et la sœur entretiennent une relation cordiale.
Train de vie princier
Chassée par le tout-puissant Maixent Accrombessi, Pascaline se retire dans sa villa de La Sablière puis s’envole pour Beverly Hills, près de Los Angeles, où elle possède une maison. Sa suite compte une vingtaine de personnes, pour la plupart sans emploi et à sa charge. Elle paie des loyers, acquitte des factures diverses et variées, mais l’argent commence à manquer. Les impayés s’accumulent et la dépensière ne paie plus ses dettes. Las d’attendre, plusieurs de ses créanciers s’adressent directement à la présidence du Gabon. « Je ne paie pas », tranche le président. Les médias font alors leur miel de ces mises en demeure qui dévoilent le train de vie princier de Pascaline.
Pour agrémenter une soirée « Star Wars », elle s’était fait livrer des monceaux de crème glacée d’une célèbre marque américaine pour 3 647 euros. Un fournisseur de fleurs fraîches lui réclamait aussi 17 000 euros. Tandis qu’une agence de voyages américaine avait envoyé une note de 8,3 millions de dollars pour des billets d’avion et des locations de jets privés… C’en était trop. Il était devenu urgent de se renflouer. En mars 2017, Pascaline met en vente au prix de 17,495 millions de dollars sa propriété jouxtant la promenade North Maple de Beverly Hills. La somptueuse demeure compte six chambres, sept salles de bains et un court de tennis, avec appartements d’hôtes en annexe.
Ses difficultés n’ont pas échappé à la famille. Parmi les 53 héritiers de la succession d’OBO – dont les deux aînés se partagent la moitié du patrimoine –, certains lui reprochent sa propension à dépenser sans compter. D’autant qu’elle fait alors office de mandataire familiale de la succession : pas question de la laisser dilapider des biens communs.
Cela revenait à lui octroyer le pouvoir de vendre les meubles de collection, les voitures, les actions et obligations, etc.
Lorsque, au cours d’un conseil de famille, elle fait distribuer aux héritiers une procuration préparée par son avocate et amie Danyèle Palazo-Gauthier l’autorisant à disposer des biens meubles de la succession, la nombreuse fratrie se rétracte. « L’un des nôtres, doté de compétences juridiques, nous a expliqué que cela revenait à lui octroyer le pouvoir de vendre les meubles de collection, les voitures, les actions et obligations, etc. Nous avons dit non », confie l’un des héritiers.
Par la suite, en novembre 2014, Pascaline est dépossédée de sa qualité de mandataire – à la demande d’Ali. Le cabinet de la notaire Lydie Relongoue, qu’elle avait mandaté, est dessaisi. Éloignée de la gestion de la succession, elle est aussi tenue à l’écart des affaires publiques. Contrairement à ce que dit la rumeur, elle n’a donc rien à voir avec la nomination, en juin dernier, du nouveau directeur général de la comptabilité publique et du Trésor, Franck Yann Koubdjé, même si cet ancien gestionnaire des grands comptes chez BGFI Bank la connaît bien.
En froid avec Marie-Madeleine
Le rapport de force avec le président lui étant défavorable, Pascaline bat en retraite, mais ne renonce pas. Au pouvoir d’Ali, elle oppose la légitimité de l’aînée rassembleuse. Non sans malice, elle travaille à fédérer autour d’elle les membres de la fratrie qui s’estiment maltraités par le chef de l’État. Parmi eux figurent notamment Nadine, Betty et Grace, filles adoptives d’Omar Bongo Ondimba, lesquelles, comme de nombreux autres membres de la famille, n’ont pas accès au président.
On compte aussi Christian – qui s’est toujours tenu aux côtés de sa sœur – et Landry, en disgrâce depuis 2016. Elle les a tous deux introduits auprès du président du Congo, Denis Sassou Nguesso (DNS), lequel entretient des relations compliquées avec son homologue gabonais. Ils faisaient partie de la délégation familiale qui s’est rendue en mars dernier à Oyo, au Congo, pour célébrer le dixième anniversaire du décès d’Edith Lucie Bongo, troisième épouse de leur défunt père et fille aînée de DSN.
Pascaline est en froid avec la patronne de la Cour constitutionnelle, Marie-Madeleine Mborantsuo
Cependant, l’influence de Pascaline sur la famille n’est pas sans limites. Elle n’a pas d’emprise sur Frédéric, le directeur des services spéciaux de la Garde républicaine ; Alex-Bernard, le patron de l’Agence nationale des infrastructures numériques et des fréquences (Aninf) ; Fabrice, le directeur général du Budget ; Alfred, le notaire de la famille, ni sur Arthur, le pilote.
Avec la première dame, Sylvia Bongo Ondimba, ce n’est pas non plus l’amour fou. Les deux femmes se respectent. En revanche, Pascaline est en froid avec la patronne de la Cour constitutionnelle, Marie-Madeleine Mborantsuo. Cette dernière n’apprécie pas que l’aînée des Bongo lui prête des ambitions présidentielles dans l’objectif, selon ses proches, de brouiller la magistrate avec le chef de l’État. Malgré les intrigues de Pascaline, un seul Bongo reste au pouvoir. Et il n’a toujours pas l’intention de le partager.
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