Mahamadou Issoufou : « Ma décision de respecter la Constitution et de ne pas me représenter est irrévocable »
Terrorisme, démographie, gouvernance, réforme du franc CFA… Le numéro un nigérien, président en exercice de la Cedeao, évoque les défis qui l’attendent. Sans oublier celui de sa propre succession, dans moins de deux ans.
Il ferait, si tout se passe dans les règles jusqu’à son retrait du pouvoir, en avril 2021, un lauréat présentable du prix Mo Ibrahim, récompensant la bonne gouvernance et le leadership démocratique. Non content de répéter depuis le jour de son accession à la présidence du Niger, en 2011 – et quitte à agacer certains de ses pairs –, qu’il ne restera pas en fonction une heure de plus que ce que lui autorise la Constitution, à savoir deux mandats de cinq ans, Mahamadou Issoufou enfonce le clou en désignant, deux ans avant l’échéance, le candidat de son choix à sa propre succession.
Une situation totalement atypique sur le continent, qui interdit au futur sortant tout retour en arrière, mais qui présente aussi le risque de voir une sorte de dyarchie s’installer à la tête de l’État. Est-ce le cas ? Apparemment non. Issoufou et son dauphin, le ministre de l’Intérieur Mohamed Bazoum, qui appartiennent depuis trente ans à la même fratrie politique, se connaissent trop bien pour laisser le moindre grain de sable gripper le scénario qu’ils ont échafaudé ensemble. Ni l’un ni l’autre n’y auraient d’ailleurs intérêt.
Nouvelle configuration
Mieux : le président n’hésite pas à mettre en scène cette nouvelle configuration. C’est accompagné du seul Bazoum et de son épouse que le couple présidentiel s’est rendu à Tahoua, à 600 km à l’est de Niamey, à bord d’un modeste turbopropulseur, pour y célébrer le 3 août le 59e anniversaire de l’indépendance. Acheminés plus tôt dans la matinée, ministres, dignitaires et diplomates les y attendaient sous les tentes et la touffeur moite de ce début d’hivernage.
Au cours du long entretien qu’il a accordé à Jeune Afrique, Mahamadou Issoufou, 67 ans, parle de cette première transition entre deux présidents démocratiquement élus comme de sa plus belle réussite à venir – à condition bien sûr que les électeurs nigériens en avalisent le synopsis dans les urnes. Il y est question aussi de lutte contre le terrorisme, dans un pays où l’obsession sécuritaire est omniprésente, d’économie, de social et de démographie alors que le Niger place dans le pétrole l’espoir de s’extraire un jour de la queue du peloton des nations les plus pauvres du monde.
Autant de sujets que Mahamadou Issoufou, dont le pays accédera au début de 2020 au Conseil de sécurité des Nations unies en tant que membre non permanent, compte bien porter sur les tribunes internationales. Lui qui a appris par la radio – une semaine après sa première élection, en mars 2011 – cette catastrophe que fut à ses yeux l’intervention militaire occidentale en Libye en profitera aussi pour dire aux puissants le fond de sa pensée : « On somme les Africains de se conduire en démocrates exemplaires, mais la gouvernance mondiale est tout sauf démocratique. » Un vrai sujet de réflexion pour le jury du prix Mo Ibrahim…
Jeune Afrique : Dans un an et demi, au début de 2021, vous céderez la présidence à votre successeur élu. À l’heure du prébilan, quelle appréciation portez-vous sur votre quasi-décennie au pouvoir ?
Mahamadou Issoufou : Les Nigériens le diront, sur la base de mes promesses et de leur réalisation. J’ai eu à établir huit priorités pour le pays : la renaissance culturelle, la sécurité, la consolidation des institutions démocratiques et républicaines, les infrastructures, l’autosuffisance alimentaire, le capital humain – santé et éducation –, l’accès à l’eau et la création d’emplois.
Sur ces huit axes, je crois que les progrès sont tangibles et que l’essentiel de ce que j’ai promis a été tenu. Le pourcentage des ressources affectées à ces secteurs prioritaires est resté au niveau de ce qui était prévu : 22 % pour l’éducation, 17 % pour l’initiative 3N [les Nigériens nourrissent les Nigériens], 10 % pour la santé…
Le seul domaine auquel nous aurions souhaité consacrer moins de dépenses est celui de la sécurité. Nous avions envisagé de lui allouer 10 % de notre budget, il a fallu monter jusqu’à 19 % et cela au détriment d’un chantier aussi important que l’eau.
En 2050, le Niger sera le pays le plus peuplé d’Afrique de l’Ouest après le Nigeria ! Ce n’est pas gérable sans inverser la tendance
Quand vous parlez de renaissance culturelle, on aimerait avoir des exemples…
En voici un : la transition démographique. La population du Niger double tous les dix-huit ans. Nous sommes 22 millions en 2019, à ce rythme nous serons 45 millions en 2037. En 2050, ce pays sera le plus peuplé d’Afrique de l’Ouest après le Nigeria ! Ce n’est pas gérable, il faut inverser la tendance. La réduction du taux de natalité doit impérativement accompagner celle du taux de mortalité.
Sur ce point, le processus de renaissance culturelle doit permettre aux Nigériens de prendre conscience de cette situation, de changer de comportement, de réduire le nombre de naissances et de les espacer. Les premiers résultats de ce travail de pédagogie sont encourageants : le taux de fécondité est passé de 7,6 enfants par femme en 2014 à 6,1 aujourd’hui.
Autres espaces concernés par la renaissance culturelle : la sensibilisation au respect de l’environnement et la lutte contre la corruption. En huit ans, le Niger a gagné une trentaine de places dans le classement de Transparency International et une vingtaine dans le « Doing Business » de la Banque mondiale. Ce n’est pas rien.
Toute politique de limitation des naissances au Sahel se heurte inévitablement à des résistances de la part des religieux conservateurs. On l’a vu récemment avec les vifs remous provoqués par la loi sur l’organisation de l’exercice du droit de culte, perçue par certains imams comme anti-islamique. Comment dépasser cet obstacle ?
Entre autres par des arguments religieux en faveur de l’espacement des naissances. Ils existent et nous en faisons la pédagogie quotidienne par l’intermédiaire des chefs traditionnels et religieux. Le Perse Tabari, qui fut au Xe siècle l’un des plus grands exégètes du Coran, faisait remarquer que dans les versets du livre saint la notion de richesse passait toujours avant celle de procréation, signifiant par là que seuls doivent être faits les enfants que l’on peut nourrir, soigner et éduquer. Idem pour l’exercice du culte : nous identifions et nous diffusons les versets et hadiths – ils sont nombreux – en faveur de la tolérance religieuse et de l’État de droit.
Les perspectives de croissance de l’économie nigérienne sont bonnes : 7 % environ pour les cinq prochaines années. Mais elles reposent en partie sur le cours, très volatil, de l’uranium. Or le groupe français Orano a récemment fait savoir que les sites exploités par ses filiales à Arlit étaient menacés de fermeture totale ou partielle. L’ère de l’uranium est-elle terminée pour le Niger ?
Notre croissance est portée par les investissements dans les infrastructures, par l’agriculture, le pétrole et dans une certaine mesure par l’uranium. Au cours des cinquante dernières années, les cours de ce dernier minerai n’ont en effet été corrects que pendant une décennie tout au plus.
C’est d’ailleurs une profonde injustice, car, si l’on compare le pouvoir calorifique de l’uranium à celui des autres sources d’énergie, son prix devrait être multiplié par dix au minimum. Par ailleurs, comme chacun le sait, le marché est déprimé depuis les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima.
Enfin, en ce qui concerne la mine de la Cominak, à Arlit, s’ajoute le phénomène inévitable d’épuisement des réserves. Nous discutons avec Orano de la meilleure façon de gérer ce cas, en sachant que la mine de la Somaïr, elle, n’a pas ce problème et qu’une nouvelle exploitation vient d’être inaugurée avec des partenaires canadiens. Je reste confiant : un jour ou l’autre, les cours de l’uranium vont rebondir.
Le Niger est producteur de pétrole depuis 2011, avec des sociétés chinoises au sud et algériennes au nord. Quelles sont les perspectives en ce domaine ?
Elles sont ambitieuses : nous visons un quintuplement de notre production – actuellement, elle est de 20 000 barils raffinés par jour – dès 2021. Notre autosuffisance atteinte, la prochaine étape sera donc de devenir exportateur de brut. Vers 2025-2030, notre capacité devrait passer à 500 000 barils par jour, ce qui nous permettra d’envisager sérieusement notre adhésion à l’Opep.
L’eco sera la monnaie solide et digne de confiance de la zone économique la mieux intégrée du continent et où l’inflation sera maîtrisée
Le chantier de la ligne de chemin de fer Cotonou-Niamey est pratiquement à l’arrêt depuis 2015 pour des motifs juridico-financiers, et ce, malgré une offre de financement chinoise. Comment faire pour résoudre cet imbroglio ?
Je regrette le blocage de ce projet, qui fait partie de mes priorités. Nous avons programmé pour bientôt une réunion avec tous les acteurs de ce dossier afin que le travail reprenne. C’est extrêmement important pour notre compétitivité.
Fin juin, les chefs d’État de la Cedeao, dont vous assurez la présidence en exercice, ont annoncé le lancement prochain d’une nouvelle monnaie unique, l’eco. Et cela, dès la fin de l’année prochaine. Peut-on vraiment y croire ?
J’y crois fermement. Les critères de convergence nécessaires ont été définis et adoptés par les États membres, lesquels se sont engagés à les remplir dans les meilleurs délais. Des décisions précises ont été prises en ce qui concerne le régime de change, qui sera flexible et indexé sur un panier de monnaies. L’eco sera la monnaie solide et digne de confiance de la zone économique la mieux intégrée du continent et où l’inflation sera maîtrisée.
Comment les pays ayant en commun le franc CFA au sein de la Cedeao entendent-ils s’y prendre pour couper le cordon ombilical avec le ministère français des Finances ?
Soyons clairs. La création de l’eco signifie la sortie du franc CFA. Cette monnaie sera, je le répète, liée à un panier de monnaies, constitué des principales devises – euro, dollar, yuan… – avec lesquelles nous commerçons.
Ce ne sera donc pas le CFA sous un autre nom, ainsi que je l’entends parfois. Ce ne sera pas non plus une réforme contre la France, mais une réforme pour le développement de l’Afrique de l’Ouest, pour les investissements, pour la création d’emplois sur le continent et donc dans l’intérêt de tous. J’ajoute que toutes ces décisions ont été prises à l’unanimité des 15 États membres de la Cedeao, francophones et anglophones.
Je ne répéterai jamais assez à quel point le renversement de Kadhafi par les Occidentaux fut une lourde erreur
Le Niger est plus que jamais en première ligne sur le front de la lutte contre le jihadisme armé. Quels sont l’état et le degré de cette menace ?
Rappelons tout d’abord deux évidences. Premièrement : ces menaces planaient sur notre région depuis les années 1990, qui ont été marquées par le développement des bandes terroristes en Algérie, et par la création, il y a dix ans, du groupe Boko Haram au Nigeria.
Deuxièmement : elles ont été considérablement amplifiées par l’effondrement de la Libye à partir de 2011, et je ne répéterai jamais assez à quel point le renversement de Kadhafi par les Occidentaux fut une lourde erreur.
Désormais, la ligne de front tend à descendre vers le sud, comme chacun le voit. De la Guinée au Bénin, aucun pays côtier n’est plus à l’abri. Les chefs d’État de la Cedeao sont évidemment conscients de cette dégradation sécuritaire, d’où notre décision de tenir un sommet extraordinaire d’urgence sur ce thème, le 14 septembre à Ouagadougou, au Burkina.
Dans votre message à la nation, au début de cette année, vous avez appelé à l’éradication définitive du terrorisme au Niger. Sept mois plus tard, c’est l’inverse qui semble s’être produit, en particulier dans l’Ouest, où votre armée a subi de lourdes pertes…
C’est exact. Et cela illustre la dégradation dont je vous parlais. Le Niger est engagé sur trois fronts : la zone du lac Tchad avec Boko Haram, la frontière nord avec la Libye, où l’État n’existe plus, et la frontière ouest avec la persistance côté malien d’organisations terroristes et criminelles. Nous y faisons face avec nos moyens et l’aide de nos alliés. Cela dit, il est important de noter que le jihadisme armé ne dispose d’aucune base permanente au Niger : il s’agit pour l’essentiel d’une menace exogène venue du Nigeria, du Mali et du Burkina Faso.
Le statut actuel de Kidal est une menace pour le Niger et il faut impérativement que l’État malien y reprenne ses droits
Diriez-vous que vous êtes victime de la faiblesse de vos voisins ?
Non, car cela signifierait que ceux-là pèchent par négligence ou aboulie, ce qui n’est évidemment pas le cas. Mais il est sûr que le statut de Kidal, au Mali, nous pose problème. Kidal est un sanctuaire pour les terroristes, et ceux qui nous attaquent s’y replient souvent. Kidal est une menace pour le Niger et il faut impérativement que l’État malien y reprenne ses droits.
Peut-on dialoguer, voire négocier avec les groupes jihadistes, comme les Américains le font avec les talibans ?
Ce n’est pas envisageable. On ne négocie pas avec des terroristes, et ces derniers, d’ailleurs, ne cherchent pas à le faire. Il faut donc continuer le combat sur deux axes : la sécurité et le développement. Les deux sont liés.
Au Mali et au Burkina, les groupes jihadistes s’efforcent d’exacerber des tensions communautaires préexistantes entre éleveurs et agriculteurs. N’y a-t-il pas un risque de ce type au Niger, particulièrement dans la région de Tillabéri ?
Il n’y a aucune discrimination contre quelque communauté que ce soit – Peuls, Touaregs ou autres – au Niger. Les terroristes veulent transformer la lutte que nous menons contre eux en conflit ethnique. C’est un piège dans lequel nous ne tomberons pas.
Dix ans après sa création, Boko Haram représente-t-il encore un danger pour le Niger ?
Incontestablement. La résilience et la capacité d’adaptation de ce groupe m’ont d’ailleurs surpris. Je pensais qu’avec la force mixte quadripartite mise en place il y a trois ans pour le combattre nous allions en finir rapidement. Nous devons donc affiner notre stratégie et surtout ne pas sous-estimer Boko Haram.
Certes, beaucoup de jeunes Nigériens qui avaient rejoint ses rangs se sont depuis repentis : nous avons ouvert pour eux des centres de déradicalisation et de formation professionnelle qui donnent de bons résultats. Mais même si la cause à l’origine de Boko Haram s’estompe peu à peu, son effet persiste. Il y a un décalage temporel entre l’une et l’autre, comme dans le cas de Daesh au Moyen-Orient. En physique, on appelle cela l’hystérésis.
Le Niger abrite des bases françaises et américaines engagées dans la lutte contre le terrorisme. Votre sécurité est-elle au prix de votre souveraineté ?
Je ne raisonne absolument pas en ces termes. Nous avons un ennemi commun face auquel nous mutualisons nos forces. Et les armées que vous citez ne sont pas des armées étrangères, mais des armées alliées. Il ne faut jamais perdre de vue que la menace est d’ordre stratégique. Son but est de détruire nos États. Ceux qui, ici ou ailleurs dans la région, dénoncent ce qu’ils appellent à tort des forces d’occupation étrangères ne manifestent jamais pour dénoncer les terroristes, étrangers eux aussi, qui nous agressent. Ce paradoxe mérite d’être souligné.
En réalité, je pense qu’il ne faut pas moins mais plus d’engagement de la part de nos alliés. L’État islamique en Irak et en Syrie n’a été vaincu que parce qu’une coalition internationale, autrement puissante que celle qui opère à nos côtés, a été déployée pendant près de quatre ans. Je demande d’ailleurs que ce type de coalition soit dupliqué ici, au Sahel.
Votre voisin libyen semble s’enliser dans une quasi-guerre civile dont on ne voit pas l’issue. Quelle sortie de crise préconisez-vous ?
Il n’y en a qu’une seule : la restauration de l’État. C’est la priorité absolue. Les élections, inorganisables dans le contexte actuel, viendront après. Il n’est pas sérieux de prôner l’inverse, à moins d’accroître encore le chaos.
Entre le maréchal Haftar et le Premier ministre Al-Sarraj, qui soutenez-vous ?
Je ne prends pas parti. Celui qui sera en mesure de restaurer l’État aura mon soutien.
La possibilité d’un retour massif de migrants africains fuyant les combats en Libye est de plus en plus évoquée. Cela vous inquiète-t-il ?
Bien sûr, car comment ferions-nous face à cet afflux ? Le plan de contrôle et de répression de l’immigration clandestine mis en place à partir de 2016 a permis de réduire le nombre de migrants transitant par le Niger de 150 000 à 10 000 par an dans le cadre de l’État de droit. Quant aux passeurs et à tous ceux qui vivaient de cette économie de la migration, ils sont bénéficiaires de programmes de reconversion qui fonctionnent plutôt bien. Nous ne sommes pas disposés à revenir en arrière.
Il n’y a aucune dérive autoritaire. Personne n’a dit que le président Macron était devenu un dictateur parce que son ministre de l’Intérieur faisait respecter la loi
Vous êtes, pendant un an, le président en exercice de la Cedeao. Quel est votre agenda ?
J’ai trois priorités : la création d’une monnaie unique, l’eco, dès 2020, le développement des infrastructures et le renforcement de la démocratie.
C’est-à-dire ?
Renforcer les institutions démocratiques. L’idéal pour un pays, c’est un leadership fort à la tête d’institutions fortes. Mais, s’il faut choisir entre les deux, les secondes doivent passer avant le premier.
Avez-vous l’impression d’exercer un leadership fort ?
J’ai des convictions, des valeurs, des objectifs et j’ai une vision. Appelez cela comme vous le voudrez.
Vos adversaires politiques dénoncent ce qu’ils appellent une dérive autoritaire de votre part, en mettant en avant l’arrestation de leaders de la société civile à la suite de manifestations contre la loi de finances, il y a un peu plus d’un an. Assumez-vous cette main ferme ?
Il n’y a aucune dérive autoritaire, mais l’application des lois de la République face aux casseurs et aux fauteurs de troubles. Exactement comme en France lors de la crise des « gilets jaunes ». La démocratie, c’est à la fois et en même temps l’ordre et la liberté. Personne n’a dit que le président Macron était devenu un dictateur parce que son ministre de l’Intérieur faisait respecter la loi. Mais quand la même situation se produit en Afrique, les jugements les plus expéditifs sont permis.
Le PNDS ne fait pas de politique sur des bases ethniques ou régionales, mais sur la base d’un programme et d’une éthique
L’identité du candidat que votre parti, le PNDS [Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme], présentera à la prochaine élection présidentielle, au début de 2021, est connue : il s’agit de votre ministre de l’Intérieur et compagnon de longue date Mohamed Bazoum. Pourquoi est-il apparu nécessaire de dévoiler le nom de votre éventuel successeur longtemps avant l’échéance ?
Je ne vais pas entrer dans les détails de notre stratégie électorale, mais plutôt vous expliquer pourquoi nous avons choisi ce candidat plutôt qu’un autre. C’est très simple. Mohamed Bazoum a été un membre fondateur du PNDS en 1990. Il a été mon vice-président pendant toute la période où nous étions dans l’opposition, puis le président de ce parti quand j’ai été élu à la tête de l’État en 2011. Le PNDS a des valeurs, et Bazoum porte ces valeurs.
Je suis convaincu qu’il continuera les actions que nous avons définies et entreprises en faveur du peuple nigérien. Il y a aussi un message complémentaire derrière ce choix : démontrer une fois de plus que le PNDS ne fait pas de politique sur des bases ethniques ou régionales, mais sur la base d’un programme et d’une éthique. C’est l’un des éléments de la renaissance culturelle que j’ai appelée de mes vœux.
Mohamed Bazoum est effectivement issu d’une communauté arabe très minoritaire au Niger. Pensez-vous avoir suffisamment modernisé et détribalisé la société pour que ce statut ne constitue plus un handicap ?
Je le crois, oui. La quasi-totalité des partis fondés au début des années 1990 sur des bases tribales ont disparu, et, si le PNDS a pu prospérer jusqu’à devenir le plus grand parti du Niger, c’est précisément parce qu’il a su dépasser ces clivages et prôner le rassemblement.
Cette annonce n’était-elle pas aussi un moyen de démentir une fois pour toutes les intentions que d’aucuns vous prêtaient de briguer un troisième mandat ?
Il y avait sans doute un peu de cela, c’est vrai. Même si j’ai répété depuis le premier jour que ma décision de respecter la Constitution et de ne pas chercher à me représenter était irrévocable, il y a toujours des gens pour propager des rumeurs contraires. Tenir cette position est en fait pour moi un moyen de contribuer au renforcement des institutions démocratiques au Niger et en Afrique. Si les chefs d’État ne montrent pas l’exemple, qui le fera à leur place ?
L’idée de rempiler, comme on dit, ne vous a donc jamais effleurée ?
Jamais ! Je suis, viscéralement, un démocrate et je n’ai jamais cru que qui que ce soit puisse être indispensable à la tête d’un pays. L’aurais-je voulu d’ailleurs que notre cour constitutionnelle, qui est sans doute la plus indépendante d’Afrique, s’y serait opposée. L’ex-président Mamadou Tandja s’y est essayé en 2009. On sait comment cela a fini.
Votre ancien camarade de combat politique, Massaoudou Hassoumi, a été limogé de son poste de ministre des Finances le 1er février dernier pour avoir, semble-t-il, voulu se porter lui aussi candidat à votre succession. Considérez-vous qu’il a failli à la discipline du parti ?
C’est un problème qui est derrière nous. Le PNDS est un parti démocratique au sein duquel chacun peut s’exprimer, mais c’est aussi un parti soudé et organisé. Le congrès s’est réuni, le camarade Bazoum a été investi, une réconciliation s’est opérée autour de ce choix. Il n’y a plus de problème Massaoudou Hassoumi. L’heure n’est plus aux états d’âme, encore moins aux rancœurs.
N’est-il pas dommage pour la démocratie que votre principal opposant, Hama Amadou, soit empêché de se présenter à la prochaine élection présidentielle ?
Ce n’est pas une situation que j’ai souhaitée. Mais si quelqu’un est jugé coupable d’un acte délictueux par la justice et condamné pour cela, je n’ai pas à intervenir. Celui dont vous parlez a été accusé de trafic de bébés, ce qui n’est pas rien. Ce n’est pas moi qui ai porté cette affaire devant les tribunaux, laquelle concerne non seulement ce monsieur mais aussi une vingtaine d’individus dont personne ne parle. La sentence a été prononcée. C’est peut-être regrettable, mais la justice, au Niger, est indépendante.
Une condamnation à un an de prison qui rend Hama Amadou inéligible, selon l’article 8 du code électoral…
Oui. Mais là aussi, ce n’est pas moi qui ai introduit cette disposition, laquelle existe dans notre code depuis 1992, sans que celui dont vous parlez l’ait jamais contestée.
Il n’empêche. Le résultat est que le code électoral et la commission électorale indépendante sont boycottés par l’opposition.
Pour l’instant. Car nous continuons à discuter avec un objectif précis : une élection présidentielle réellement inclusive. Je ne me lasserai pas de lancer des appels en direction de nos amis opposants, afin qu’ils y participent.
Dans une déclaration faite il y a deux mois et qui a soulevé un certain émoi, Hama Amadou vous a accusé d’envoyer délibérément à la mort sur le front de la guerre contre le terrorisme « une certaine catégorie de soldats nigériens ». En l’occurrence, ceux issus de sa propre communauté, les Djermas. Comment réagissez-vous à cette accusation ?
Vous me permettrez de ne pas entrer dans ce jeu. Je ne ferai aucun commentaire.
Hama Amadou, qui a choisi de vivre en exil, est souvent installé à Cotonou, au Bénin. Est-il exact que vous aviez demandé au président Patrice Talon de l’éloigner, voire de l’extrader au Niger ?
C’est exact, et cela est parfaitement logique dans le cadre d’un état de droit. Tous les pays au monde dont les citoyens ont été condamnés par leur propre justice pour des délits de droit commun formulent ce genre de requêtes. Cette démarche a également été faite auprès du Nigeria et de tous les pays avec lesquels le Niger a des accords d’extradition.
Ce qui m’intéresse, c’est 2021 et la première transition entre deux présidents démocratiquement élus dans l’histoire du Niger
Vous arrive-t-il de penser à ce que vous ferez après le pouvoir ?
J’y pense chaque jour ou presque. Je m’y prépare. J’ai prévu de créer une fondation. Et si mon expérience peut être utile pour d’autres tâches, au Niger comme à l’international, je serai disponible.
Faire des affaires, ça ne vous tente pas ?
J’en serais incapable. Je suis un professionnel de la politique, pas un commerçant. Et puis j’aurai 69 ans en 2021, je considère que l’essentiel de ma carrière est fait.
Cela dit, rien dans la Constitution ne vous empêcherait d’être de nouveau candidat en 2026 !
Je ne me suis jamais situé dans cette perspective. Ce qui m’intéresse, c’est 2021 et la première transition entre deux présidents démocratiquement élus dans l’histoire du Niger. Ce sera ma plus belle réalisation.
Nous sommes 22 millions de Nigériens, pourquoi aurais-je l’arrogance de croire que nul ne peut me remplacer ?
Et un exemple pour les autres présidents africains ?
Chaque pays est un cas particulier, et je ne délivre de leçons à personne. En politique comme en économie, vouloir établir des règles absolues applicables partout est une erreur. Ce qui est bon pour le Niger ne l’est pas forcément pour d’autres.
Le club des chefs d’État, les tapis rouges, les honneurs, les hymnes, tout cela ne vous manquera pas ?
Non. Vous savez, je suis un homme simple. Mes congés, je les ai toujours passés dans mon village de Dandadji, pas à Marbella, Deauville ou Saint-Tropez. Et puis j’ai beau chercher, je ne trouve aucun argument qui justifierait que je me sente irremplaçable ou providentiel. Nous sommes 22 millions de Nigériens, pourquoi aurais-je l’arrogance de croire que nul ne peut me remplacer ?
La Matinale.
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