Littérature : « Cotton County », une fiction fratricide au cœur de l’Amérique raciale

Avec son deuxième roman, « Cotton County », l’Américaine Eleanor Henderson dépeint sans manichéisme la violence de la ségrégation raciale après la guerre de Sécession.

Dans les champs de coton de Géorgie (États-Unis). © Collection Alexander Alland/Corbis via Getty Images

Dans les champs de coton de Géorgie (États-Unis). © Collection Alexander Alland/Corbis via Getty Images

Publié le 14 août 2019 Lecture : 2 minutes.

La seule douceur du roman d’Eleanor Henderson, Cotton County, est celle contenue dans le coton. La seule blancheur émane de leurs fleurs. La noirceur, vive et menaçante, irradie des âmes damnées par la haine, les non-dits, la frustration, la corruption. Nous sommes en Géorgie (États-Unis), en 1930. Elma Jesup, une jeune femme blanche, fille de l’exploitant d’une plantation de coton, met au monde des jumeaux. Une fille blanche. Un garçon noir.

Accusé de l’avoir violée, un planteur noir est lynché publiquement. Le lecteur de Cotton County n’aurait pas aimé avoir l’existence des Blancs, Elma Jesup, son père Juke, son fiancé Freddie, et encore moins la vie de la servante noire Nancy et de son père Sterling. Et pourtant, tout au long des 656 pages de ce livre, on s’attache plus que de raison aux protagonistes, tant le contraste entre les bons et les mauvais, les lâches et les courageux n’est pas toujours clair.

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Plaie béante

L’exécution sauvage de Genus Jackson est à la fois le point de départ du roman et son point d’orgue. Construction plus que rare pour un ouvrage. Mais de la première à la dernière page, Genus Jackson, pendu haut et court, demeure un prétexte.

Justification des villageois pour expurger leur haine, ou alibi de l’auteure pour évoquer une époque, celle de la ségrégation raciale qui fut imposée après la guerre de Sécession (1865). Cette poignée de décennies reste une plaie béante dans l’histoire de l’Amérique. Dans la fiction comme dans la réalité, le drame est proche, beaucoup trop proche pour être digéré et pardonné. Et il n’y a jamais qu’un seul coupable.

Cotton County, d’Eleanor Henderson, traduit par Amélie Juste-Thomas, Albin Michel, 658 pages, 23,90 euros

Cotton County, d’Eleanor Henderson, traduit par Amélie Juste-Thomas, Albin Michel, 658 pages, 23,90 euros

Huit clos

Qui donc a mené l’expédition punitive qui ouvre le roman ? Qui est le père des enfants nés juste avant ? Et d’ailleurs, sont-ils vraiment jumeaux ?

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L’enquête, la vie et la levée des secrets de famille vont être menées en huis clos. Le silence y est parfois rompu, non par des mots mais par des contraintes, des actes violents à l’égard de victimes récurrentes. L’humiliation est monnaie courante. L’éleveur traite mieux sa mule que le propriétaire son métayer, le mari, sa femme. La loi est faite par et pour les puissants, les bien nés, frileux, dans une époque de grande dépression.

Le second roman d’Eleanor Henderson, après Alphabet City, est une somme que l’on engloutit en quelques jours, plongé dans cette petite histoire locale qui éclaire la grande. Dans la tradition des romans du Sud, Cotton County tente d’expier un passé qui hante encore les Américains d’aujourd’hui.

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Mais quel passé ? L’histoire de jumeaux de couleurs différentes nés d’un même ventre ? Ou celle de Noirs et de Blancs qui se sont entre-tués sur une terre qu’ils aimaient de la même manière, dans une époque douloureuse qui ne prendra fin qu’en 1964, terme supposé d’une ségrégation fratricide ?

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