Bénin : qui veut la peau de Lionel Zinsou ?

Condamné pour faux et dépassement de frais de campagne, l’ancien candidat à la présidentielle béninoise dénonce un règlement de compte politique.

Lionel Zinsou, à Paris, en février 2018. © Christophe Morin/IP3 PRESS/MAXPPP

Lionel Zinsou, à Paris, en février 2018. © Christophe Morin/IP3 PRESS/MAXPPP

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Publié le 12 août 2019 Lecture : 4 minutes.

Lionel Zinsou en est persuadé : ses déboires judiciaires sont pilotés depuis le palais de la Marina. « J’avais, depuis plusieurs mois, l’information selon laquelle il avait été décidé en haut lieu de me rendre inéligible », affirme-t-il. « C’est de la parano, ni plus ni moins. Et cette entreprise de victimisation n’émeut personne au Bénin », balaie un membre du cabinet présidentiel.

Exclu de la course à la présidence

Le candidat malheureux à la présidentielle de 2016 a été condamné le 2 août à cinq ans d’inéligibilité et à six ans de prison avec sursis pour « faux » et « dépassement de fonds de campagne électorale » par le tribunal de première instance de Cotonou. Aucun des arguments de Me Robert Dossou, son avocat, n’aura porté.

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Ni l’absence au dossier du document portant le « faux », ni le fait que le dépassement de ses frais de campagne n’avait pas été relevé par la Cour des comptes. Le camp de l’ex-Premier ministre de Thomas Boni Yayi a aussitôt fait appel. Mais tant qu’une nouvelle décision de justice n’est pas rendue, celui qui était arrivé en tête du premier tour de 2016 est, de fait, exclu de la course à la présidence de 2020.

Si son avenir politique s’est soudain obscurci, Lionel Zinsou ne s’avoue pas vaincu. Partout dans les médias, il porte le même message : la justice est instrumentalisée par l’exécutif pour écarter ses adversaires.

Et tente de se placer au-dessus de la mêlée : « Mon cas n’importe finalement pas, il n’est qu’un symptôme. Ce qui s’est passé lors des législatives – auxquelles aucun parti de l’opposition n’a pu participer, et largement boycottées par les Béninois – ainsi que la répression qui s’est abattue sur les opposants est autrement plus grave. »

Attaques frontales

Si le discours officiel se veut respectueux de la séparation des pouvoirs, dans les couloirs du Palais, les attaques sont frontales. « Lionel Zinsou ne représenterait aucun danger politique pour Patrice Talon s’il voulait éventuellement renouveler son mandat, assure un proche du président. Il est dans une posture politicienne pour masquer l’essentiel ». À savoir, selon notre interlocuteur, une autre affaire, qui l’a opposé à Maha­madou Bonkoungou.

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En avril 2018, cet homme d’affaires burkinabè avait porté plainte à Cotonou contre Lionel Zinsou pour « escroquerie aggravée ». Un mois plus tard, ce dernier a répondu par une autre plainte, à Paris cette fois, pour « tentative d’extorsion de fonds ». Au centre du contentieux, 15 milliards de F CFA (23 millions d’euros) empruntés par Zinsou auprès du patron de l’entreprise de BTP Ebomaf pour financer sa campagne.

L’affaire a fait long feu, grâce à la médiation de deux chefs d’État, Alassane Ouattara et Alpha Condé. Mais le mal est fait : la réputation de probité de Lionel Zinsou est remise en question. Et ses adversaires remuent le couteau dans la plaie, n’hésitant pas à raviver le procès en « béninité » déjà intenté en 2016 contre celui qui est parfois surnommé « yovo » (« le Blanc », en fon).

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Dans le cadre de la plainte déposée contre Zinsou par Bonkoungou au Bénin, « le tribunal de Cotonou a demandé s’il voulait être traité dans les procédures comme Béninois ou Français. Et, par courrier, il a choisi sa nationalité française », accuse un proche du président. Faux, rétorque l’intéressé. L’ancien conseiller de Laurent Fabius, proche d’Emmanuel Macron, aurait réclamé de pouvoir être entendu sur commission rogatoire à Paris parce qu’il était souffrant. « Il n’a jamais été question de ma nationalité », assure-t-il.

Opposant à part

Depuis le début de la crise politique béninoise, provoquée par l’exclusion de l’opposition des législatives du 28 avril, Lionel Zinsou joue une musique sensiblement différente de celle des autres ténors de l’opposition. Quand ces derniers multiplient les prises de position radicales et réclament des sanctions internationales pour mettre un terme à ce qu’ils qualifient de « dérive arbitraire », lui se démarque.

« Nous sommes dans une parenthèse de l’histoire démocratique du Bénin. Tôt ou tard, elle se refermera. L’heure n’est pas aux sanctions mais à la médiation. Dans mon travail, j’insiste pour que les investisseurs continuent à venir au Bénin », martèle le fondateur du cabinet SouthBridge, qui conseille onze gouvernements africains.

Je crois que, lorsque l’on vous persécute, cela vous donne envie de vous engager, assure-t-il

Le banquier d’affaires est d’ailleurs persuadé que son activité, qui l’amène à croiser régulièrement ministres et chefs d’États du continent, est précisément à l’origine de ses ennuis judiciaires. La présidence minimise son influence : « Depuis 2016, il n’a été pour rien dans les financements obtenus par le Bénin », riposte un proche de Talon.

Une fois la « parenthèse » refermée, Lionel Zinsou compte-t-il replonger dans le chaudron ? « Il est d’autant plus prématuré de parler de mon avenir politique que je suis, pour l’instant, inéligible, répond-il. Mais je crois que, lorsque l’on vous persécute, cela vous donne envie de vous engager. »

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