Niger : comment Mahamadou Issoufou prépare la relève

Comme le prévoit la Constitution, le chef de l’État Mahamadou Issoufou ne se représentera pas en 2021, mais il a déjà désigné son dauphin. À ses détracteurs, qui lui reprochent d’avoir sacrifié le développement économique au profit des dépenses sécuritaires, il oppose un bilan positif dont il s’enorgueillit.

Le président nigérien avec l’actuel ministre de l’Intérieur Mohamed Bazoum (à g.), investi par le PNDS pour briguer la magistrature suprême. © z Niger

Le président nigérien avec l’actuel ministre de l’Intérieur Mohamed Bazoum (à g.), investi par le PNDS pour briguer la magistrature suprême. © z Niger

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 10 septembre 2019 Lecture : 4 minutes.

Devant le palais présidentiel, le 13 janvier, à Niamey. © VINCENT FOURNIER/J.A.
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Niger : passage de témoin

Assuré d’avoir un nouveau président en 2021, le pays s’est refait une santé sur le plan économique et se modernise progressivement. Un bol d’air bienvenu dans un contexte sécuritaire encore tendu.

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«Une image vaut mille mots », aurait dit en son temps le Chinois Confucius. Mohamed Bazoum, qui enseigna plusieurs années la philosophie, s’en est-il rappelé, le 7 août, alors qu’il sillonnait la région de Tahoua au côté du président Mahamadou Issoufou ? Le ministre de l’Intérieur est souriant, comme le chef de l’État. Le premier, en habit jaune pâle, lève la main droite pour saluer la population rassemblée pour les accueillir.

Le second, revêtu d’un blanc immaculé, préfère la gauche. La symétrie est quasiment parfaite. Et pour cause, depuis février 2019, Mohamed Bazoum a obtenu l’investiture du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, au pouvoir) pour la présidentielle de 2021. Il tentera alors de succéder à Mahamadou Issoufou, qui ne peut constitutionnellement briguer un troisième mandat.

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Ferme respect de la Constitution

S’il reste près d’un an et demi avant l’échéance, le chef de l’État sortant se sait déjà en « tournée d’au revoir » – un adieu pouvant lui paraître un peu trop définitif. C’est lui qui a favorisé le choix de son ministre de l’Intérieur par le PNDS, malgré d’apparentes réticences. C’est encore lui qui a souhaité, deux ans avant l’élection, éviter le combat entre les ambitieux, en limogeant son ministre des Finances, Hassoumi Massaoudou, tenté de jouer sa carte personnelle. Issoufou le sait : il sera en partie jugé sur la qualité de sa succession. Démocratiquement élu en 2011 et de manière plus contestée en 2016, il se montre fermement résolu à respecter la limitation constitutionnelle de deux mandats, comme il l’a encore répété au début d’août dans nos colonnes.

« Si nous, chefs d’État, ne donnons pas l’exemple, qui le fera ? » lançait-il. Alors que d’autres ne font guère mystère de leurs intentions de prolonger, Issoufou a fait le choix de l’alternance. Il pourra alors se targuer de n’avoir pas succombé aux sirènes fatales à Mamadou Tandja, son prédécesseur renversé en 2010 par Salou Djibo. « La copie n’est pas parfaite, mais Mahamadou Issoufou a en quelque sorte remis la démocratie sur les rails », estime un politologue. « S’il respecte sa promesse, les Nigériens oublieront plus facilement les problèmes passés : l’emprisonnement de Hama Amadou à la fin de 2015, les arrestations de militants de la société civile en 2017 et en 2018, les tensions au sein de la commission électorale… », ajoute-t-il.

Amadou toujours en exil

« Issoufou a pratiqué un verrouillage systématique du pays au profit du PNDS », déplore un membre du parti d’opposition Moden Fa Lumana. « D’abord en utilisant la justice pour bloquer notre leader [Hama Amadou, condamné à un an de prison dans une affaire de « supposition d’enfants »], puis en jouant sur la Constitution et son article 8, interdisant aux personnes condamnées à au moins un an de prison de se présenter à une élection, pour l’empêcher de concourir », précise-t-il.

Il est parti en guerre contre Boko Haram, pour satisfaire les Occidentaux, mais à quoi cela a-t-il servi ?

Candidat déclaré à la prochaine présidentielle, malgré des dissensions au sein de sa formation, Amadou vit toujours en exil, notamment au Bénin. Mahamadou Issoufou a réclamé à plusieurs reprises l’extradition de l’opposant à son homologue Patrice Talon, qui a, pour l’instant, toujours refusé. L’avenir de l’ex-Premier ministre nigérien n’en reste pas moins incertain : rentrera-t-il au Niger en prenant le risque d’être arrêté, comme ce fut le cas en 2015 ? Ses partisans l’affirment. « La justice est indépendante au Niger », assure de son côté Mahamadou Issoufou.

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« Lors de ses deux mandats, le président a sacrifié le développement du pays au profit des dépenses sécuritaires », dénonce de son côté un responsable de la société civile. « Il est parti en guerre contre Boko Haram, pour satisfaire les Occidentaux, mais à quoi cela a-t-il servi ? Les jihadistes ont infiltré nos populations en profitant du fait que l’État n’était pas capable d’assurer un développement suffisant dans les régions frontalières du Nigeria. Et c’est la même chose près du Burkina Faso et du Mali », ajoute cette même source. « Le terrorisme se nourrit de la pauvreté mais surtout des inégalités et de l’injustice », poursuit un proche du gouvernement. « Si nous ne réglons pas les problèmes de société et d’économie, on ne vaincra jamais les groupes terroristes », conclut-il.

Blindés, drones et avions

« Bien sûr, l’État doit lutter pour s’implanter davantage dans les régions frontalières et favoriser le développement économique, mais c’est justement en sécurisant ces zones qu’il pourra le faire », explique Kalla Moutari, ministre de la Défense, qui justifie son budget, représentant environ 20 % de celui de l’État. « Comment voulez-vous construire des infrastructures dans des zones qui ne sont pas sécurisées ? » ajoute-t-il. « Nous avons des bases françaises, américaines, allemandes, des blindés, des drones, des avions… Mais les agriculteurs de la région de Dosso peuvent-ils travailler et vendre leurs marchandises ? Les éleveurs de la région de Tillabéri sont-ils en sécurité ? » s’interroge un autre acteur de la société civile, se faisant l’écho du vif débat qui agite la société nigérienne ces derniers mois.

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À près d’un an et demi de son départ annoncé de la présidence, Mahamadou Issoufou garde son cap. Au début de juillet, il a accueilli le sommet de l’Union africaine – marquant le lancement officiel de la Zone de libre-échange continentale (Zlec). Il a profité de cet événement pour inaugurer au passage l’aéroport de Niamey, fraîchement rénové par l’entreprise turque Summa, ainsi que plusieurs hôtels de luxe, dont un Radisson Blu. Son objectif : attirer hommes d’affaires, conférenciers et investisseurs à Niamey.

Malgré une pluie de critiques – qui l’accusent notamment de ne pas avoir suffisamment combattu la corruption –, le chef de l’État estime avoir amélioré le climat des affaires, en particulier dans le secteur de l’énergie et des infrastructures. Il s’enorgueillit même d’un bilan positif en matière économique. D’ailleurs, le candidat à sa succession, Mohamed Bazoum, a déjà fait savoir que son programme s’inscrirait dans l’exacte continuité. On ne change pas une formule qui gagne.

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