RDC – Vital Kamerhe : « Il n’y a qu’un seul chef, c’est Félix Tshisekedi »
Imperméable aux soupçons de détournement qui le visent, l’ancien président de l’Assemblée nationale, directeur du cabinet du président de la République, défend avec vigueur l’attelage ministériel dévoilé au mois d’août.
Ce lundi 2 septembre, Vital Kamerhe est fatigué. « C’est le travail qui ne me lâche pas », sourit le directeur de cabinet du chef de l’État en s’installant, un peu las, dans le salon de sa confortable villa de La Gombe, commune huppée de Kinshasa. Plusieurs heures durant, il a accompagné le président Félix Tshisekedi et son hôte du jour, António Guterres, le secrétaire général des Nations unies en déplacement en RD Congo. Ils ont visité des chantiers, des écoles et des hôpitaux. Ceci étant, Vital Kamerhe a tenu à honorer la promesse qu’il nous avait faite en nous consacrant presque deux heures en fin de journée.
L’occasion pour ce politicien madré, rompu à la politique et à ses chausse-trappes, de revenir sur la composition du gouvernement annoncée quelques jours plus tôt, mais aussi sur les soupçons de détournement qui pèsent contre lui. Plus que jamais au cœur du pouvoir, il se sait guetté de toutes parts.
Jeune Afrique : Votre nom est cité dans le détournement présumé de 15 millions de dollars (13,7 millions d’euros) qui étaient destinés aux compagnies pétrolières pour compenser le gel des prix du carburant. L’Inspection générale des finances (IGF) cherche à comprendre où est passé cet argent. Pouvez-vous l’expliquer ?
Vital Kamerhe : Laissez-moi vous dire pour commencer que mon nom n’apparaît pas dans le rapport de l’IGF [Si le rapport de l’Inspection générale des finances ne cite effectivement pas le nom de Vital Kamerhe, il évoque en revanche « le directeur de cabinet du chef de l’État », NDLR]. Ensuite, il n’y a pas eu de détournement. Ces 15 millions proviennent d’une ligne de crédit de 100 millions qui avait été ouverte par le ministère de l’Économie. Il s’agit d’une décote et c’est une opération régulière. D’ailleurs, lorsque l’IGF a porté plainte auprès de l’inspecteur général de la brigade contre les crimes économiques, celui-ci a classé le dossier. C’est bien la preuve qu’il n’y a pas eu de détournement.
Après que l’IGF a rendu son rapport, l’Agence nationale des renseignements (ANR) lui a demandé d’auditer les dépenses des ministères depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir. Vous reconnaissez être intervenu ?
J’ai demandé la suspension de l’audit et ai écrit en ce sens au ministère des Finances, parce que si l’ANR avait besoin d’éclaircissements, elle aurait dû les demander au ministère des Finances ou du Budget. L’IGF dépend de la présidence et l’ANR n’avait rien à lui demander à notre insu. C’est de la rébellion administrative ! Tout cela se résume à un petit complot inutile et mal monté.
Et où sont passés les 15 millions de dollars ?
Cet argent n’a pas disparu et le ministre de l’Économie, qui a autorité sur le comité de suivi des prix pétroliers, pourra vous l’expliquer.
Vous avez aussi écrit à la Fédération des entreprises du Congo (FEC), qui faisait l’objet d’un contrôle de l’IGF…
Je vous l’ai dit : la mission de l’IGF était irrégulière parce que la présidence n’en avait pas été informée. Comme par hasard, l’IGF et l’ANR s’intéressent à des projets entrepris par la présidence Tshisekedi alors que dans le passé des projets mirobolants n’ont jamais suscité leur intérêt !
Nous voulions imaginer un modèle de pouvoir et de transfert de pouvoir qui préserverait la paix et la cohésion nationale
La présidence a été accusée, ces dernières semaines, d’avoir passé des marchés de gré à gré pour faire avancer son programme des 100 jours. Que répondez-vous ?
Ce sont des mensonges. Le nouveau gouvernement n’avait pas encore été nommé et le président Tshisekedi ne voulait pas rester les bras croisés. Nous avons décidé de mener à leur terme plusieurs projets qui avaient fait l’objet de passation de marché sous la précédente administration. Seuls dix marchés ont été passés de gré à gré, conformément à la loi, et à chaque fois pour des raisons dictées par l’urgence.
Le gouvernement a été annoncé le 26 août. Pourquoi cela a-t-il été si long ?
L’accouchement a été moins long que la grossesse ! Et puis c’est en prenant son temps que l’on fait des grandes choses. Ce que nous voulions, c’est imaginer un modèle de pouvoir et de transfert de pouvoir qui préserverait la paix et la cohésion nationale. Cela nous a pris du temps, mais ce n’est pas du temps perdu.
Le Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme de l’ancien président Joseph Kabila, a obtenu les portefeuilles stratégiques des Finances, de la Défense et de la Justice. N’est-ce pas lui qui garde la main ?
Non. Lorsque l’on forme un gouvernement de coalition, il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Le ministre de l’Intérieur par exemple est issu de l’UDPS [Union pour la démocratie et le progrès social, le parti de Tshisekedi], et c’est de lui que dépendent les gouverneurs de province. J’ajoute que, selon la Constitution, le président de la République peut demander la démission d’un gouverneur, ou même le révoquer s’il manque à ses devoirs. Il n’est donc pas juste de dire que le FCC a tous les leviers. Par ailleurs, le socle de l’action du gouvernement, ce sera le programme du Cach [Cap pour le changement, la coalition pro-Tshisekedi].
Le temps qu’il vous a fallu pour former le gouvernement n’augure-t-il pas d’une cohabitation difficile ?
Rappelez-vous qu’il nous a fallu du temps pour parvenir à mettre en place les institutions de transition, en 2003. Pourtant, au final, la formule « 1 président + 4 viceprésidents », c’est ce qui a le mieux fonctionné en RD Congo. Ils se surveillaient les uns les autres et c’est exactement ce dont nous avons besoin aujourd’hui.
Mais les négociations ont été compliquées. Certains noms ont été récusés par les deux chefs de l’exécutif…
Il n’y a pas deux chefs. Il y a Félix Tshisekedi, qui est le président de la République. C’est lui qui a eu le dernier mot.
Comment peut-on fonctionner quand 17 des ministres sont flanqués de vice-ministres ?
Il faut voir les choses autrement : si le ministre et son vice-ministre avaient tous les deux été du FCC par exemple, ils auraient pu s’entendre pour mal gérer le portefeuille qui leur a été confié. Mais là, tout le monde va faire des efforts pour que la république soit correctement gérée.
Selon l’Observatoire de la dépense publique, le coût de fonctionnement du gouvernement avoisinera 737 millions de dollars par an, soit 12 % du budget de l’État. N’est-ce pas trop ?
Ces estimations ne sont pas fondées. Un ministre gagne environ 10 000 dollars par mois, ils sont 66, cela fait 660 000 dollars par mois. Cela ne représente pas 12 % de notre budget !
Mais il faut ajouter à cela le coût de fonctionnement de chacun de leur ministère…
Oui, mais ce n’est pas cela qui est important ; ce sont les résultats attendus et la transformation de la RD Congo.
N’est-ce pas trop 66 ministres et un Premier ministre ?
Non. C’était le prix à payer. Et si, pour garantir la paix et la cohésion, il avait fallu avoir quelques ministères en plus, j’aurais trouvé que cela en valait la peine.
Plusieurs des alliés du Cach, comme Tryphon Kin-Kiey Mulumba ou Mbusa Nyamwisi, n’ont pas été « récompensés »…
Nous ne pouvions pas non plus faire de la place à tout le monde, sans quoi nous aurions eu une équipe bien plus nombreuse encore ! Nous en avons parlé avec nos alliés, il y aura d’autres échéances.
Pensez-vous que l’attelage Cach-FCC puisse tenir longtemps ?
Je ne suis pas prophète, mais je crois que nous nous sommes donné les moyens pour réussir.
Joseph Kabila est un ancien président et je le respecte
Comment qualifierez-vous vos rapports avec Joseph Kabila ? Ils ont été orageux par le passé…
La question n’est pas de savoir si l’on s’apprécie, mais nous faisons partie de la même coalition et donc oui, nos relations sont bonnes. J’ajoute que j’ai reçu une éducation républicaine : c’est un ancien président et je le respecte.
Et avec Félix Tshisekedi ? Vos rapports sont-ils toujours aussi bons que pendant la campagne électorale ?
J’ai le soutien total du chef de l’État. Je ne le contredis jamais et lui non plus.
Mais il se dit que vos échanges sont parfois houleux…
C’est inexact. Nous n’avons jamais eu d’altercation et je suis très respectueux à son égard, il pourra vous le dire. Nos rapports sont ceux qu’entretiennent un chef de l’État et son directeur de cabinet, mais cela va au-delà : nous sommes aussi des partenaires politiques depuis l’accord conclu à Nairobi. Et, surtout, nous sommes une famille : nos épouses sont devenues amies. Ses enfants, je les considère comme mes enfants, et l’inverse est également vrai. Tout cela est le ciment de notre alliance.
Je considère que Lamuka, c’est le tandem Bemba-Katumbi
Quelle est la place de l’opposition ?
Le président tient à ce que l’opposition soit constructive mais pas complaisante. Elle a un rôle important à jouer. J’ajoute que, depuis que nous sommes au pouvoir, il y a eu au moins sept manifestations mais zéro mort, zéro gaz lacrymogène, zéro arrestation.
Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba sont des frères. Ils peuvent s’exprimer comme ils le souhaitent et je leur fais confiance pour savoir quelle est leur marge de manœuvre.
Vous ne citez pas Martin Fayulu, qui continue de dire que la victoire lui a été volée…
Pourquoi voulez-vous que je cite tout le monde ? Si vous allez par là, il y a aussi Adolphe Muzito et tous les autres… Je parle des grands leaders et je considère que Lamuka, c’est le tandem Bemba-Katumbi.
Pourquoi Moïse Katumbi n’a-t-il pas pu effectuer toutes les étapes de sa tournée dans le pays ?
Concernant Moïse Katumbi, c’est une question de respect de la procédure, mais il ne fait l’objet d’aucune restriction. N’est-ce pas grâce au président Tshisekedi que lui et les autres ont pu revenir au pays ?
Certains disent de vous que vous êtes un directeur de cabinet très visible, trop peut-être. Vous êtes parfois comparé à un vice-président… Qu’en dites-vous ?
Je ne suis pas du tout d’accord. Et que voulez-vous que je fasse ? Que je me cache quand les caméras filment le président alors que je suis à ses côtés ou derrière lui ? Tout ce qui m’intéresse, moi, ce sont mes dossiers et le travail qui m’a été confié.
Où va la RD Congo de Félix Tshisekedi et Joseph Kabila ?
Vous devez parler de la RD Congo que dirige Félix Tshisekedi… Nous voulons faire de ce pays la Chine de l’Afrique, c’est notre rêve. Nous voulons que cet éléphant couché puisse enfin se lever et marcher.
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