RDC – Samy Badibanga : « On m’a qualifié de traître, mais j’ai été un pionnier »
Élu vice-président du Sénat malgré une candidature tardive, l’ex-Premier ministre revendique sa proximité avec l’UDPS, la formation du président Tshisekedi dont il ne fait pourtant plus partie, et se veut le garant de l’équilibre de l’institution parlementaire.
La politique congolaise est décidément pleine de surprises. Candidat de dernière minute au poste de premier vice-président du Sénat, Samy Badibanga a remporté, le 27 juillet, une victoire inattendue en s’imposant face au favori des pronostics et candidat du Front commun pour le Congo (FCC, la plateforme de Joseph Kabila), Évariste Boshab. Il seconde désormais à la chambre haute un autre cacique de l’ex-président, Alexis Thambwe Mwamba.
À ceux qui s’étonnent ou s’interrogent sur les circonstances de son élection à la vice-présidence d’une institution outrageusement dominée par le camp Kabila (91 des 108 sénateurs appartiennent au FCC), Samy Badibanga répond que lui n’a « pas été surpris » et que c’est le fruit d’une stratégie mûrement réfléchie : « J’ai étudié la composition du Sénat et j’ai analysé la situation. Dans ces cas-là, il faut toujours espérer le meilleur et se préparer au pire, ajoute-t-il. Mais j’avais mis toutes les chances de mon côté. »
« Aucun arrangement »
Sur le papier, sa candidature – en indépendant – n’avait pourtant que peu de chance d’aboutir tant le ticket Thambwe Mwamba-Boshab paraissait solide. Mais ce duo de durs, avec d’un côté l’ancien ministre de la Justice de Joseph Kabila et de l’autre son ancien ministre de l’Intérieur sous sanctions européennes, faisait grincer des dents dans les rangs du Cach (Cap pour le changement), la coalition du président Félix Tshisekedi.
Samy Badibanga l’a-t-il senti, qui est parvenu à tourner la situation à son avantage ? Il est en tout cas certain que, même s’il ne fait plus partie de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), sa candidature est venue rassurer les militants du parti présidentiel, inquiets de voir tous les leviers du pouvoir entre les mains du FCC. Mais il n’est pas à exclure que l’ancien président lui-même n’ait pas vu d’un mauvais œil l’élection de Samy Badibanga, conscient qu’une nouvelle institution monochrome pouvait être préjudiciable à son image.
Badibanga est un bon compromis à la fois pour Joseph Kabila et pour Félix Tshisekedi
« En 2016, Kabila était déjà parvenu à convaincre Badibanga d’accepter le poste de Premier ministre, rappelle le politologue congolais Bob Kabamba. Celui-ci ne constitue pas une réelle menace. Il est même un bon compromis à la fois pour Joseph Kabila et pour Félix Tshisekedi. » « De quel compromis parle-t-on ? rétorque l’intéressé. Il n’y a eu aucun arrangement. J’ai avancé seul, et me déclarer tardivement a fait partie de ma stratégie. L’effet de surprise a toujours été la meilleure carte ! »
Nager à contre-courant
Revoilà donc Samy Badibanga dans la lumière, une nouvelle fois là où l’on ne l’attendait pas. Ancien conseiller politique de feu Étienne Tshisekedi, né à Kinshasa de parents originaires du Kasaï il y a cinquante-six ans, le nouveau numéro deux du Sénat a l’habitude de nager à contre-courant.
Son principal fait d’armes remonte à 2011 : battu à l’issue d’un scrutin controversé, Étienne Tshisekedi refuse d’en reconnaître les résultats et appelle ses lieutenants au boycott de l’Assemblée nationale. Badibanga choisit de désobéir, s’excluant de fait du parti.
Chef de file de l’opposition institutionnelle au travers d’un groupe parlementaire baptisé « UDPS et alliés », il s’attire nombre d’inimitiés au sein du parti de Tshisekedi. Rebelote en 2016, lorsqu’il accepte de participer – aux côtés notamment de Vital Kamerhe – au « dialogue national » qui aboutit, en novembre de la même année, à sa nomination à la primature. Cette fois encore, ses anciens camarades l’accusent d’avoir trahi en actant, dans l’étouffante tension des derniers mois de son mandat, le maintien au pouvoir de Joseph Kabila.
Incompris
Aujourd’hui, Samy Badibanga évolue sous l’étiquette des Progressistes mais prône toujours sa proximité avec l’UDPS, dont il observe avec attention les premiers pas en tant que parti de gouvernement. « La victoire de Félix Tshisekedi est l’aboutissement d’un processus commencé avec les manifestations de janvier 2015, affirme cet homme qui aura occupé les fonctions de Premier ministre pendant moins de six mois. Quant à l’UDPS, c’est un parti qui a été dans l’opposition pendant trente-sept ans. Il est normal que la transition se fasse en bégayant. »
Félix est un frère, un ami. On sort du même moule
Les actes qu’il a posés en 2011 et 2016, il les assume, se revendiquant comme un « opposant d’action » : « La participation de l’UDPS aux institutions était, pour moi, incontournable, insiste-t-il. On devait sortir de cette stratégie de la rupture pour devenir une opposition de proposition. J’ai lancé les Progressistes parce qu’il fallait faire évoluer notre approche pour arriver au pouvoir. » Et l’animosité que lui vouent encore certains de ses anciens alliés ? « Quand vous avez raison trop tôt, vous êtes souvent incompris. On m’a qualifié de traître, mais j’ai été un pionnier, et ces gens-là doivent le comprendre. »
Proche de la famille Tshisekedi
Un discours qui peine à convaincre la frange radicale de l’opposition, aux yeux de laquelle Samy Badibanga a perdu une partie de sa crédibilité en entrant à la primature. Devenu vice-président du Sénat, Badibanga se voit désormais comme le garant d’un « équilibre » à la tête de cette institution. Car malgré les tourments des dernières années, il a su rester proche de la famille Tshisekedi, même après la mort d’Étienne, début 2017.
« Félix est un frère, un ami. On sort du même moule », assure-t-il. « Félix est moins intolérant que son père sur le sujet, admet un des proches du président. Il sait que Badibanga n’est pas un dissident dans l’âme et qu’il peut même être un atout pour le Cach à la chambre haute. » Pourquoi alors s’être présenté comme indépendant, et non pas sous l’étiquette de la coalition qui a porté Félix Tshisekedi au pouvoir ? « Le Cach a été conçu comme une plateforme électorale. Moi, je me sens plus à l’aise dans une mouvance présidentielle. Le chef de l’État a besoin d’un soutien plus large que le Cach, et moi je reste profondément UDPS. »
Cela n’empêche pas Joseph Kabila de considérer le Sénat comme un élément central de son dispositif. Ne peut-il pas lui permettre d’obtenir une modification de la Constitution, puisque le FCC détient aussi la majorité à l’Assemblée nationale ? Samy Badibanga ne serait d’ailleurs pas contre quelques aménagements. « Tout n’est pas à amender, mais je suis par exemple favorable au retour d’une élection présidentielle à deux tours. Je suis également pour l’élection des sénateurs et des gouverneurs au suffrage universel direct. »
Faudrait-il également revenir sur l’exclusivité de la nationalité congolaise ? « Il y a des cerveaux qui peuvent servir à la République, cela n’a pas de sens de leur refuser cette double nationalité », s’agace-t-il, avant d’ajouter qu’il s’agit là d’un « point de vue personnel ».
Simple négligence
Il est vrai que lui-même a été au centre d’une controverse : lorsque Badibanga est nommé Premier ministre, le 17 novembre 2016, il est encore un citoyen belge. Il recouvrera la nationalité congolaise « après renonciation de sa nationalité belge pour des raisons de convenance personnelle », selon les termes de l’arrêté du gouvernement congolais qui officialisera sa décision.
Las, il a vu la polémique rebondir il y a un an, à quelques mois de l’élection présidentielle à laquelle il était candidat : selon un extrait du Moniteur belge largement relayé sur les réseaux sociaux, ce n’est que le 3 août 2018 qu’il est redevenu Congolais. Autrement dit, il ne l’était pas au moment du dépôt de sa candidature à la magistrature suprême. Y a-t-il eu violation de la loi ? « Non, rétorque Badibanga. C’était une simple négligence, on était très occupés. »
Reste que, à l’époque, la validation de sa candidature et le rejet de celle de l’opposant Jean-Pierre Bemba (quoique pour des raisons différentes) ont fait couler beaucoup d’encre, ses détracteurs l’accusant d’avoir bénéficié d’une décision arbitraire de la Cour constitutionnelle. « Cette critique était justifiée, admet l’ancien Premier ministre. Il ne doit pas y avoir de justice à deux vitesses. D’autres auraient dû être traités comme je l’ai été. » La page est aujourd’hui tournée, assure-t-il encore, mais la question demeure d’actualité : « Il faut amener la question au niveau du Parlement et en débattre. »
À l’heure de retrouver son ancien ministre de la Justice à la tête de la chambre haute, et alors que beaucoup doutent de la marge de manœuvre dont bénéficiera le camp Tshisekedi au Parlement, Badibanga assure que « personne n’a intérêt à faire en sorte que ça capote ». Et de conclure : « La RD Congo ne peut pas se permettre d’échouer. »
Comme on se retrouve…
Samy Badibanga et Alexis Thambwe Mwamba, le président du Sénat, se connaissent bien. Ils se sont côtoyés lors du dialogue politique de 2016 – dialogue que l’ancien ministre de Joseph Kabila codirigeait avec Vital Kamerhe, l’actuel directeur de cabinet de Félix Tshisekedi. Ils se sont ensuite retrouvés dans le gouvernement d’union nationale, dont Badibanga a pris la tête en vertu de l’accord conclu le 18 octobre 2016 et au sein duquel Thambwe Mwamba a été reconduit dans ses fonctions de garde des Sceaux.
« On a de bonnes relations, on a travaillé ensemble à l’exécutif. C’est un homme d’expérience, dont l’expertise n’a jamais été mise en cause », commente Badibanga. Huit jours après son accession à la primature, c’est Thambwe Mamba, en tant que ministre de la Justice, qui avait signé l’arrêté lui redonnant sa nationalité congolaise. Depuis 2017, Thambwe Mwamba est visé par une plainte pour crime contre l’humanité en Belgique, en raison du rôle qu’il aurait joué dans le crash d’un avion, en 1998, mais Badibanga insiste sur le fait qu’il « respecte toujours la présomption d’innocence » : « Attendons les décisions de justice ! »
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