Infrastructures : Aboubaker Omar Hadi, l’homme qui a transformé Djibouti

Ce natif de Dikhil a réussi à faire du vieux port national un hub ultramoderne et permis à la petite République de devenir une plaque tournante du commerce régional. Portrait.

Le président de l’Autorité des ports et des zones franches de Djibouti est à la tête d’une dizaine d’entreprises qui représentent plus d’un tiers du PIB national. © Eric Larrayadieu/ACF/JA

Le président de l’Autorité des ports et des zones franches de Djibouti est à la tête d’une dizaine d’entreprises qui représentent plus d’un tiers du PIB national. © Eric Larrayadieu/ACF/JA

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Publié le 19 septembre 2019 Lecture : 6 minutes.

Ce n’est pas faire ombrage à Ismaïl Omar Guelleh (IOG), que d’affirmer qu’un autre Djiboutien est aujourd’hui au moins aussi réputé et recherché que lui dans les cénacles économiques et financiers de la planète. Le chef de l’État ne devrait même avoir aucune difficulté à l’admettre tant il semble avoir contribué à la réussite professionnelle d’Aboubaker Omar Hadi (AOH), l’incontournable président de l’Autorité des ports et des zones franches de Djibouti (DPFZA) depuis 2011.

De tous les voyages officiels qui comptent, il accompagnait la délégation djiboutienne envoyée au troisième Forum de coopération sino-africain (Focac) organisé à Pékin il y a un an, comme celle participant à la Conférence internationale de Tokyo sur le développement en Afrique (Ticad), VIIe du nom, à Yokohama, à la fin d’août. Le plus souvent comme représentant unique du petit monde djiboutien des affaires.

C’est la première fois depuis l’indépendance que l’Autorité portuaire a à sa tête un véritable professionnel

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« Il est toujours entre deux avions », confirme Ibrahim Ahmed Djama, le responsable de la communication de la DPFZA. Comme si, à l’heure de promouvoir ses services maritimes à travers le monde, Djibouti ne pouvait trouver meilleur ambassadeur. « Il est, sans conteste possible, l’une des personnes les plus puissantes du pays », confirme l’un de ses très proches conseillers.

À bientôt 62 ans – il les aura à la fin de cette année –, l’intéressé ne semble guère accorder d’importance à ce genre de considération, même s’il est à la tête d’une dizaine d’entreprises qui, ensemble, pèsent pour plus d’un tiers du PIB national. Les faits plaident pour lui. Quand il s’est agi, en avril, d’aller convaincre le FMI que l’endettement public de Djibouti était bien inférieur aux 104 % calculés alors par les experts du Fonds, la petite République a dépêché à Washington ses ministres les plus éminents… et le patron des ports.

« C’est la première fois depuis l’indépendance que l’Autorité portuaire a à sa tête un véritable professionnel », reconnaît un représentant du secteur privé local. Et l’un des meilleurs. Il y a pourtant loin de Dikhil, la petite ville où il a grandi, située aux portes du désert du Grand Bara, au golfe d’Aden. Mais en 1978, quand sonne l’heure des premiers choix professionnels, c’est vers le port qu’il se dirige naturellement.

« Je ne me voyais pas douanier », sourit aujourd’hui AOH, derrière son grand bureau que rien, à l’époque, ne le prédestinait à occuper. Hormis peut-être sa force de travail, unanimement reconnue par ses collaborateurs. Pendant vingt ans, il gravit un à un les échelons au sein de l’administration du Port autonome international de Djibouti (PAID), du service des statistiques au département commercial, dont il prend la direction dans le courant des années 1990.

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Passé par Le Havre et Malmö, un réseau professionnel sans équivalent

De ces expériences passées, « ce féru de chiffres a conservé une véritable culture du résultat ainsi qu’une capacité à savoir très bien mettre en avant les avantages commerciaux du port », constate l’ancien directeur du PAID, Aden Ahmed Douale, aujourd’hui conseiller à la présidence en transports et logistique.

Entre-temps, grâce à une bourse canadienne et avec la bénédiction de son administration, le jeune fonctionnaire va parfaire sa formation maritime en Europe, d’où il est revenu « transformé », dixit son prédécesseur. Il fréquente, entre 1987 et 1992, ce qui se fait pratiquement de mieux en matière de formation, d’abord au Havre, avant d’intégrer pour deux ans la prestigieuse Université maritime mondiale de Malmö.

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De Suède, il rentre au pays avec un réseau de relations professionnelles sans équivalent dans le secteur et la vision de ce qu’il faut faire pour transformer le vieux port djiboutien en hub de transbordement à l’échelle du continent. C’est cette vision qu’il défend au début des années 2000, quand DP World cherche son point d’ancrage dans le détroit de Bab-el-Mandeb et balance encore entre Djibouti et Aden.

Une occasion que ne veut pas laisser passer AOH, qui, pendant des années, planche avec ses équipes sur les études de financement et de marketing censées convaincre l’opérateur portuaire émirati. Il n’hésite pas à contredire les Dubaïotes quand il s’agit de définir certains aspects techniques du futur terminal à conteneurs. Au point d’attirer l’attention d’IOG, qui saura se souvenir de lui quelques années plus tard.

Un large crédit auprès du chef de l’État

En 2008, pendant que son rêve de modernisation des quais djiboutiens commence à prendre forme dans la baie de Doraleh grâce aux investissements émiratis, AOH choisit de s’exiler au Nigeria. « Le port changeait. Je devais acquérir de nouvelles expertises », explique l’ancien directeur commercial. Il part à Lagos faire ce qu’il n’avait jamais pu réaliser dans son pays : prendre en charge un terminal à conteneurs moderne. Pour au moins six ans croit-il, avant que la petite République en danger ne vienne le chercher à mi-parcours.

Le port autonome et la ville de Djibouti., en 2015 (illustration). © Vincent Fournier/JA

Le port autonome et la ville de Djibouti., en 2015 (illustration). © Vincent Fournier/JA

« Au début de 2011, IOG lui demande de revenir à Djibouti », assure un opérateur djiboutien. Il est nommé à la tête du port par décret présidentiel dès le 2 juillet. Il y a urgence. Le Doraleh Container Terminal (DCT) est bien opérationnel depuis 2009, mais l’Autorité portuaire a perdu au passage son président, Abdourahman Boreh. Accusé de corruption, l’homme par lequel DP World est entré à Djibouti est parti se réfugier à Dubaï quelques mois plus tôt.

« Après un tel épisode, IOG cherchait une personne de confiance », explique un diplomate étranger. Et AOH semble bénéficier d’un large crédit auprès du chef de l’État. « Au point de tancer les ministres si les dossiers n’avancent pas assez vite à son goût », témoigne un cadre de l’Autorité portuaire. Il a ainsi repris la gestion des routes, intégrées depuis un an au sein de la Djibouti Ports Corridor Road (DPCR) et placées sous sa coupe directe, comme déjà les ports, les zones franches et l’aéroport.

Il a su tirer un profit maximal de l’intérêt des Chinois pour l’Afrique

Seul aux commandes, AOH semble justifier la confiance placée en lui. Son image de probité n’a encore jamais été entachée, à un poste qui suscite pourtant autant de tentation que de jalousie. Il a aussi confirmé sa réputation de fin négociateur ne se départissant jamais de sa rigueur dans la gestion de ses dossiers – sans doute héritée des dix-huit mois passés au 8e RPIMa de Castres, où il a servi quand son pays était encore une colonie. Deux qualités qui lui ont permis de faire entrer Djibouti dans le club très fermé des grands ports à conteneurs africains.

Pour atteindre un tel résultat, AOH n’a pas compté ses heures. « Ses cheveux ont beaucoup blanchi ces dernières années », confirme un proche. « Il a également bénéficié de l’intérêt chinois pour l’Afrique au moment même où il prenait ses responsabilités », confirme Aden Ahmed Douale.

Sans être l’homme de Pékin tant décrié par ses rivaux, il a su développer d’excellentes relations avec ses nouveaux partenaires, qu’il a fait entrer dans la place portuaire, évinçant au passage les Émiratis. « Comme pour tourner définitivement la page des années Boreh », reprend notre diplomate. Et faire entrer pour de bon les ports djiboutiens dans une nouvelle ère.

Le bras de fer avec DP World se poursuit

Sans en faire une affaire personnelle, Aboubaker Omar Hadi incarne à lui seul le conflit qui oppose ouvertement depuis 2018 l’Autorité portuaire djiboutienne et l’opérateur émirati DP World.

Avec l’affaire Boreh en toile de fond, cette crise a même un temps tendu les relations diplomatiques entre les deux pays. Si la situation semble être revenue à la normale dans les chancelleries, elle ne fait que s’envenimer davantage sur les quais depuis la décision, prise unilatéralement par les Djiboutiens, d’évincer DP World du terminal de Doraleh.

En cause, une clause qui attribue à l’opérateur un monopole de trente ans sur l’ensemble du littoral national. « Au mépris de la souveraineté du pays », s’emporte encore aujourd’hui le patron du port. Conforté ces derniers mois par la Cour d’arbitrage international de Londres, Dubaï demande le respect du contrat signé à l’époque. Provoquant un dialogue de sourds qui semble parti pour durer.

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