Tchad : une économie en convalescence et toujours trop dépendante du pétrole
Si l’équilibre budgétaire a été rétabli, la prudence reste de mise, d’autant qu’il reste beaucoup à faire pour assurer l’essor des activités non extractives et, surtout, pour faciliter la vie du secteur privé.
Tchad : les lignes de front d’Idriss Déby Itno
La crise financière semble surmontée. La sécurité restaurée. Le jeu démocratique devrait pouvoir reprendre pleinement ses droits. Premier test électoral depuis l’instauration, à la mi-2018, de la IVe République et du « régime présidentiel intégral » : les législatives prévues pour la fin de l’année.
Le FMI n’a pas tort quand, le 31 juillet, il diagnostique un mieux dans la situation économique du Tchad. Le gouvernement a fait un gros effort pour réduire ses dépenses. Il a notamment rétabli l’équilibre budgétaire en taillant dans la masse salariale de la fonction publique, au prix d’un mécontentement social important. Ses recettes pétrolières ont par ailleurs rebondi grâce à la hausse des cours de l’or noir.
Dans le même temps, la production à l’export a progressé, passant de 36 millions de barils en 2017 à 42,2 millions en 2018, à la suite de la mise en exploitation de nouveaux gisements. Elle pourrait même atteindre 45,2 millions de barils cette année, grâce notamment au démarrage de la production, à la mi-juin, sur le champ Daniela, qu’exploite la China National Petroleum Corporation International Chad (CNPCIC).
Dépendance aux hydrocarbures
Ajoutons à cela que le rééchelonnement de la dette de 1,36 milliard de dollars contractée en 2014 par l’État tchadien auprès du trader Glencore a contribué à alléger le fardeau des remboursements. La dette publique tomberait de 48,2 % du PIB en 2018 à 37 % en 2021. Les réserves publiques, qui étaient à sec en 2017, se reconstituent lentement, de sorte que la menace de faillite qui pesait sur l’État semble désormais écartée.
Selon les dernières estimations du FMI, la courbe de la croissance repart à la hausse, passant de – 2,4 % en 2017 à + 2,4 % en 2018 et en 2019, avec + 5,5 % annoncés pour 2020. La Banque mondiale se montre un peu plus optimiste, avec des projections de + 3,4 % en 2019 et de + 5,6 % en 2020. Si ses analyses se montrent conciliantes, le FMI ne manque cependant pas de rappeler que le Tchad est beaucoup trop dépendant du pétrole, qui assure 89 % de ses exportations.
L’institution craint que la récente chute des cours mondiaux due au conflit commercial sino-américain ne fragilise la convalescence du pays. Elle critique aussi la lenteur des réformes promises par le gouvernement et le retard pris dans l’apurement de la masse des impayés – soit environ 1 000 milliards de F CFA (plus de 1,52 milliard d’euros). Mais le FMI reste étrangement lénitif en prenant soin de ne pas trop critiquer le mode de gouvernance, alors que celui-ci empêche le pays d’accélérer son développement.
Freins au développement
En octobre 2018, la chambre de commerce, d’industrie, d’agriculture, des mines et de l’artisanat (CCIAMA) a publié un document cadre sur la facilité à faire des affaires au Tchad qui recense les obstacles au développement du secteur privé. La longueur de cette liste explique pourquoi le pays se traîne dans les derniers rangs des classements mondiaux pour son environnement des affaires. Le Tchad n’émarge ainsi qu’au 181e rang sur 190 pays étudiés dans l’édition 2019 du rapport « Doing Business » de la Banque mondiale sur la facilité à réaliser des affaires.
Parmi les freins, citons notamment les insuffisances en matière d’électricité (moins de 10 % de la population y a accès) ainsi que dans les domaines des télécoms et de l’internet ; le recours au gré à gré dans l’attribution des marchés publics – qualifié de « massif » par les rédacteurs du document cadre de la CCIAMA – et le faible respect des règles de concurrence dans l’attribution de ces marchés ; l’absence d’égalité devant la justice ; le non-respect des contrats ; la « généralisation et la banalisation de la corruption » ; l’insuffisance des compétences et l’instabilité dans l’administration ; les contrôles fiscaux, sociaux ou douaniers « brutaux et abusifs » ; le non-règlement de la dette intérieure ; l’existence d’un secteur informel « tentaculaire » et non réglementé ; la grande difficulté à obtenir des financements à un coût abordable ; la faible concertation avec le privé pour l’élaboration des textes régissant l’activité économique…
« Ni les investisseurs intérieurs ni les investissements extérieurs ne peuvent être mobilisés sérieusement dans un tel climat des affaires », conclut le document de la chambre de commerce, qui propose un vaste plan de mesures pour remédier à ce climat démotivant, entretenu par quelques redressements fiscaux déraisonnables sur les grandes entreprises et par des perceptions de taxes indues sur les PME.
Fin de l’État providence
Si les investissements privés – en particulier étrangers – se dérobaient, ce serait le seul moteur de croissance capable de créer de l’emploi pour la jeunesse (45 % de la population a moins de 15 ans) qui tomberait en panne. Après avoir largement profité de la commande publique pendant plus de dix ans, les entreprises tchadiennes doivent désormais se tourner vers de nouveaux acteurs, le dénuement de l’État faisant que celui-ci « ne peut guère faire plus que payer les salaires des fonctionnaires », selon un observateur.
Restera toujours, dira-t-on, l’aide au développement pour soutenir la conjoncture. Ainsi, entre 2017 et 2020, 680 millions de dollars ont été promis par les bailleurs de fonds (Banque mondiale, BAD, Union européenne, France). Mais cette manne pourrait ne pas suffire, d’autant que les dépenses exigées par la lutte contre Boko Haram excèdent à l’évidence les 30 % du budget que le président Idriss Déby Itno a annoncés en juin, à l’occasion d’un discours devant l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Lenteurs administratives
La gouvernance tchadienne constitue un autre frein à l’efficacité de l’aide. Celle-ci s’exécute avec une lenteur anormale en raison de l’extrême centralisation du pouvoir et de la faible compétence de ses agents.
« Le code national des marchés publics exige que la présidence de la République donne son accord pour toute dépense excédant environ 15 000 euros, soit le prix d’une voiture au Tchad, indique le responsable d’un bailleur. Cela explique les délais d’exécution insupportables entre le moment où nous signons un projet et celui où les Tchadiens profitent de sa concrétisation.
Nous recevons de l’administration des dossiers mal rédigés, et leur remise en forme prend du temps, poursuit-il. Il est anormal qu’au bout de cinq ans nous n’ayons déboursé que 60 % des sommes programmées. On aboutit à ce paradoxe : tous les bailleurs sont assaillis de demandes d’argent de la part des ministères et tous se plaignent du blocage de dossiers considérés comme prioritaires par… ces mêmes ministères ! Il n’est pas étonnant que la population se demande où est passé l’argent de chantiers annoncés en grande pompe par les autorités », conclut-il.
L’impécuniosité de l’État tchadien contribue à ces atermoiements. Dans certains chantiers d’infrastructures financés par l’aide internationale, il est prévu que le budget national apporte sa quote-part. Or celle-ci n’arrive pas toujours au moment prévu, faute de fonds, ce qui retarde d’autant les travaux.
Le Tchad serait bien avisé de ne pas se rêver en une sorte de Qatar sahélien, et son hyperprésident pourrait avec bonheur utiliser son pouvoir pour faciliter la vie des entreprises privées. L’amélioration des conditions de vie de sa population en dépend.
Austérité payante
En août 2016, alors qu’Idriss Déby Itno entamait son cinquième mandat, le gouvernement a adopté seize « mesures d’urgence » aussi drastiques qu’impopulaires, entrées en vigueur à peine un mois plus tard.
Objectif : redresser les finances publiques en réduisant les dépenses. Deux mesures ont particulièrement déchaîné les passions : la suspension de la bourse annuelle de 360 000 F CFA (environ 550 euros) allouée aux étudiants et la réduction de moitié des indemnités dans la fonction publique pendant dix-huit mois.
Selon la plateforme intersyndicale tchadienne, entre 2016 et 2018, les fonctionnaires civils, soit 92 000 agents, auraient perdu en moyenne un tiers de leurs revenus, soit 100 000 F CFA par mois. Reste que cette politique d’austérité semble avoir porté ses fruits. En deux ans, la dette intérieure a été réduite, passant d’environ 25 % à 19 % du PIB.
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