Aché Coelo, une réalisatrice engagée pour les droits des femmes, de N’Djamena à Paris
Avec sa caméra et ses mots, la réalisatrice n’djamenoise Aché Ahmat Coelo dépeint les femmes en héroïnes du quotidien qui, comme elle, se battent, toutes générations confondues, pour leurs droits et leur pays. En juillet, la trentenaire touche-à-tout a été nommée membre du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) d’Emmanuel Macron.
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La crise financière semble surmontée. La sécurité restaurée. Le jeu démocratique devrait pouvoir reprendre pleinement ses droits. Premier test électoral depuis l’instauration, à la mi-2018, de la IVe République et du « régime présidentiel intégral » : les législatives prévues pour la fin de l’année.
Elle sourit, toujours élégante dans des tenues originales. Son style très personnel mêle créations traditionnelles et mode occidentale. Les Tchadiens n’ont pas oublié sa présence solaire à la télévision, lorsqu’elle animait l’émission dabalaye (« de débat ») Espace jeunes, de 2009 à 2011.
À 34 ans, la sociologue et réalisatrice Aché Ahmat Coelo affiche un CV aussi passionnant qu’éclectique. Elle a travaillé au service marketing de la chaîne hôtelière Kempinski, puis comme responsable de la communication du cinéma n’djaménois Le Normandie (dirigé depuis 2011 par son époux, le réalisateur Serge Coelo), avant de devenir directrice commerciale de Media Scan (filiale de Canal plus), puis de rejoindre l’équipe de communication d’Unicef Tchad.
« Caméléon »
En parallèle, elle a réalisé trois courts-métrages très remarqués : Entre quatre murs (2014), Al-Amana et Une journée à l’école au Tchad (2018). Ce dernier documentaire illustre les défis de l’éducation dans ce pays, en particulier celle des filles, à travers le quotidien d’une collégienne de 13 ans, Ève, ses espoirs de retour à l’école et sa détermination à étudier malgré tous les obstacles.
Avec la photographe Salma Khalil, Aché Coelo a par ailleurs coécrit l’ouvrage Portraits de femmes tchadiennes, publié en 2017 en hommage « à toutes les femmes ordinaires et courageuses du Tchad ».
De sujets graves en notes légères, la trentenaire touche-à-tout est aussi la promotrice du festival d’humour MBD (moutah bé dihik, qui signifie « mort de rire » en arabe local), dont la quatrième édition s’est tenue en décembre 2017. Avec l’Association tchadienne des cultures mixtes (Atcum), qu’elle préside, elle a également organisé, en juin 2018, le premier Festival tchadien de courts-métrages, le Fetcoum, dont la deuxième édition se tiendra à partir du 4 octobre.
« Je suis un caméléon », avoue-t-elle en souriant. Une réalisatrice tout-terrain, capable d’enfiler un gilet pare-balles pour aller filmer sur l’île de Ngomirom (dans une zone menacée par les djihadistes de Boko Haram), qui peut aussi bien décider de se voiler que de sortir en tenue sexy et qui parle couramment plusieurs langues, dont l’arabe, le français et l’anglais, qu’elle a appris pendant ses études de sociologie et de communication en Algérie (2003-2007).
Enfance à N’Djamena
Un profil original pour une jeune femme qui a grandi « murée dans les quartiers nord de la capitale », dans cette N’Djamena populaire où son grand-père – son « papa » comme elle l’appelle – possédait un dépôt pharmaceutique. « Mes parents se sont séparés juste après ma naissance. Ma mère est partie faire des études au Mali. Elle m’a donc confiée à ses parents, qui m’ont éduquée et m’ont transmis avant tout des valeurs positives. Mon grand-père aime encourager les gens. Depuis que ma grand-mère est décédée, je le vois tous les jours. On est très complices. »
De son enfance, elle se souvient aussi de la solitude qu’elle ressentait du fait qu’il lui était interdit de sortir sans être accompagnée. « Il fallait respecter les codes que m’imposait ma société. Alors je passais mes journées à regarder la télévision. Mon grand-père est l’un des premiers à s’être abonné au bouquet de Canal plus. On n’était pourtant pas riches, mais mes grands-parents voulaient nous ouvrir au monde. »
Cette identité française, je l’ai toujours eue. La preuve, les autres le voyaient à ma couleur de peau. J’étais la nasara
De fait, c’est d’abord sur petit écran qu’elle a découvert la France, surtout à travers les programmes de la chaîne TF1. Pourtant, elle aurait aussi une part de sang français par son arrière-grand-père, un lieutenant originaire de Nantes qui aurait servi dans les années 1940 à Ngouri, dans la région du Lac, où il aurait rencontré une jeune Tchadienne du Nord, avant de repartir dans l’Hexagone…
Une histoire d’amour entre ses aïeux et entre deux pays que la réalisatrice aimerait bien tourner. Elle a déjà écrit le synopsis et enquêté en France sur les traces de son ancêtre. Aché Coelo parle encore pudiquement de l’histoire de son grand-père : « Cette identité française, je l’ai toujours eue. La preuve, les autres le voyaient à ma couleur de peau. J’étais la nasara, “la Française”. Certains me le reprochaient presque, me maltraitaient. J’en ai souffert, mais aujourd’hui je suis fière d’avoir réconcilié mes deux identités. »
Artiste engagée
Cette histoire familiale lui revient un peu plus en tête depuis le 11 juillet dernier. Ce jour-là, elle a été nommée membre du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) créé par le président Emmanuel Macron en 2017 – elle y rejoint la Franco-Tchadienne Vanessa Moungar, directrice du département genre, femmes et société civile à la Banque africaine de développement (BAD). Ce n’est cependant pas pour son origine qu’elle a été choisie, mais bien pour son profil de battante, de femme africaine engagée, en particulier pour les droits et l’émancipation des femmes, ainsi que pour son ouverture d’esprit.
« Je vis entre N’Djamena et Paris, dans le 9e arrondissement, où je me sens aussi chez moi. En Algérie, où j’ai fait mes études de sociologie de 2003 à 2007, j’étais une Algérienne. Quand je suis au Mali, je me sens malienne. D’ailleurs, je prends rapidement les accents et j’apprends vite les langues locales. Mon rêve, c’est de vivre un peu partout dans le monde, mais d’abord en Afrique, au Sénégal ou au Rwanda. » Elle projette aussi de créer une grande salle multiculturelle à N’Djamena, avec une immense scène ouverte au théâtre, à la danse et à la musique.
De la frêle silhouette d’Aché Coelo, qui a failli être emportée par le paludisme dans sa jeunesse, se dégage une énergie vitale hors du commun. Aujourd’hui, sa raison de vivre, c’est Nadia, sa fille de quatre ans, son « soleil », dont elle espère qu’elle pourra s’épanouir plus tard au Tchad, dans un pays qu’elle estime encore parfois trop conservateur et où la parité tarde à s’imposer.
« Pour ma part, j’ai toujours été une rebelle, résume-t-elle. J’ai toujours fait ce qui me plaisait. J’apparaissais toujours là où l’on m’attendait le moins, tout en respectant les codes. »
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