RDC – Martin Fayulu : « La ligne rouge, ce n’est pas Kabila mais son système, qui perdure »

Le candidat malheureux à la présidentielle n’en démord pas : la « vérité des urnes » n’a pas été respectée en RDC. Neuf mois après, Martin Fayulu continue de se proclamer vainqueur de la présidentielle et affirme que c’est Joseph Kabila qui détient la réalité d’un pouvoir dont serait privé Félix Tshisekedi. Entretien avec le tenant de la ligne « dure » au sein de Lamuka.

38342.HR.jpg © ROBERT CARRUBBA pour JA

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Publié le 23 septembre 2019 Lecture : 4 minutes.

Un partisan de Martin Fayulu, lors d’une manifestation devant le siège de la Cour constitutionnelle, le 12 janvier 2019. © REUTERS/Baz Ratner
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Comme pour clarifier une nouvelle fois sa position, le candidat malheureux de Lamuka à la dernière présidentielle a renommé sa plateforme Dynamique pour la vérité des urnes. Toujours convaincu de sa victoire sur Félix Tshisekedi fin décembre 2018, Martin Fayulu ne désarme pas et poursuit son combat pour « la vérité des urnes » au sein d’une coalition d’opposition plus que jamais divisée entre la ligne dure, qu’il incarne, et celle de Moïse Katumbi, plus modérée.

Jeune Afrique : Pourquoi avoir changé le nom de votre plateforme ?

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Martin Fayulu : L’objectif de la Dynamique pour l’unité d’action de l’opposition, à travers laquelle j’étais candidat à la présidentielle, était de mener un combat pour l’alternance en RD Congo. Nous sommes allés aux scrutins de décembre avec l’issue que l’on connaît… Joseph Kabila en a choisi le vainqueur, contre la réalité du vote. Dès lors, il n’y a plus de sens à nous réclamer de l’opposition. Notre combat, c’est le respect du résultat des urnes. Le nom devait donc changer.

Qu’entendez-vous vraiment par « la vérité des urnes » ?

La définition est très claire. Lamuka continue de dénoncer la fabrication des résultats tels qu’entérinés par la Ceni [Commission électorale nationale indépendante] et la Cour constitutionnelle. La vérité des urnes a donc deux volets : le recomptage des procès-verbaux [PV] et l’organisation d’élections anticipées. Si l’on ne veut pas que certaines personnes perdent la face avec la publication des PV, alors organisons de nouvelles élections. En attendant, la Dynamique pour la vérité des urnes ne reconnaît pas Félix Tshisekedi comme président.

Sachant que Moïse Katumbi envisage lui aussi de transformer sa plateforme pour en faire un parti politique, Lamuka ne donne-t-elle pas l’impression que ses leaders veulent prendre des directions opposées ?

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Ce qui nous réunit au sein de Lamuka, c’est la convention de Bruxelles, signée en avril, et la déclaration du 30 juillet, émise à l’issue de son présidium, à Lubumbashi. Moïse Katumbi et les autres leaders les ont paraphées. Il y a toujours des discussions, mais nous formons une coalition, et la seule chose qui compte, ce sont les textes. Après, les gens ont le droit de parler et d’interpréter.

La comparaison avec Jean Ping vous agace-t-elle ?

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Pourquoi m’agacerait-elle ? Jean Ping poursuit sa lutte au Gabon. Et nous allons nous aussi continuer à organiser des meetings à Kinshasa et dans tout le pays. Mais comparaison n’est pas raison…

Lamuka peut-elle tenir jusqu’en 2023 ?

Pourquoi pas ? Cela étant dit, nous, les leaders de Lamuka, nous réclamons l’organisation d’élections anticipées. Donc notre échéance n’est pas 2023. C’est le sens de la proposition de crise qui a été élaborée autour du Haut Conseil national des réformes institutionnelles.

Martin Fayulu, le 10 janvier 2019 à Kinshasa. © AP/Sipa/Jerome Delay

Martin Fayulu, le 10 janvier 2019 à Kinshasa. © AP/Sipa/Jerome Delay

Je mets quiconque au défi de trouver des contradictions entre mes différentes positions. Je ne vais pas au gré du vent

Justement, cette proposition a suscité des critiques dans votre propre camp…

Je ne vais pas commenter. Il faut suivre le peuple, qui veut des élections crédibles et transparentes. Quand on dit vouloir faire de la politique, que l’on est un leader et que l’on croit à un certain idéal, il faut tenir des propos conformes à son engagement. Et si l’on signe un document, c’est que l’on est engagé. Je mets quiconque au défi de trouver des contradictions entre mes différentes positions. Je ne vais pas au gré du vent.

Éprouvez-vous de la rancune à l’égard de la communauté internationale, et notamment de l’Union africaine ?

Elles n’ont pas été cohérentes. Elles se sont fondées sur une fuite [concernant les premiers résultats du scrutin présidentiel, donnés par la Conférence épiscopale nationale du Congo, la Cenco] pour mener leur action, avant de rétropédaler. Mais c’est à elles qu’il faut poser la question. Je n’ai pas à commenter leur position.

Le gouvernement nommé compte 76,9 % de personnalités nouvelles, qui n’avaient jamais détenu de portefeuille ministériel. N’est-ce pas le signe d’un changement ?

C’est dans la continuité du gouvernement de Joseph Kabila. Ces gens-là vont recevoir des instructions précises de ce dernier. Où voyez-vous un changement ?

Les principaux caciques du précédent exécutif n’y figurent pas…

Comme Félix Tshisekedi lui-même, ces membres du nouveau gouvernement sont des faire-valoir, des marionnettes que l’on va utiliser. Ces ministres FCC [Front commun pour le Congo, coalition de Joseph Kabila] sont allés à Kingakati [le domaine de l’ancien président] pour prêter serment auprès de monsieur Kabila – c’est ainsi que je l’interprète. Comment voulez-vous qu’ils soient indépendants ?

Modeste Bahati Lukwebo peut-il être un interlocuteur pour l’opposition ?

Il a soutenu ce gouvernement et, pour l’instant, nous notons qu’il maintient sa participation au FCC. Les autres disent qu’il n’y participe pas, lui dit que si. J’ai présidé le Forum pour la démocratie et le développement il y a plusieurs années, et Modeste Bahati Lukwebo était mon deux­ième vice-président.

C’est un ami. Mais ses orientations politiques du moment ne sont pas compatibles avec les miennes. Même si son indépendance d’esprit pose des problèmes dans son camp, il n’est pas mauvais d’avoir des divergences dans une famille politique. Je le considère comme appartenant au camp du FCC. Il faut lui laisser sa liberté au FCC.

A l'entrée d'un bureau de vote de Kinshasa, le 30 décembre 2018. © Jerome Delay/AP/SIPA

A l'entrée d'un bureau de vote de Kinshasa, le 30 décembre 2018. © Jerome Delay/AP/SIPA

Sans une réforme fondamentale de la commission électorale, demain, personne n’ira plus voter

Ne craignez-vous pas que votre combat pour la vérité des urnes ne soit plus audible d’ici à quelques mois, qu’il faille tourner la page ?

Il existera tant qu’il y aura des élections. Sans une réforme fondamentale de la commission électorale, demain, personne n’ira plus voter.

Peut-on promouvoir une telle réforme en restant en marge des institutions ?

Ces institutions sont illégitimes. Elles sont le reflet du FCC de Joseph Kabila. Nous avons dit aux chancelleries présentes à Kinshasa que, pour nous, la ligne rouge n’était pas Kabila lui-même mais son système, qui perdure. Le combat avait abouti, mais Félix Tshisekedi l’a réactivé. Il doit s’excuser pour avoir trahi le peuple. Si nous ne menons pas à nouveau ce combat, comment les futures échéances pourront-elles être différentes ?

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