Le halal est-il bio-compatible ?

Dans un jugement rendu en juillet, la cour d’appel de Versailles, en France, a estimé que la certification « agriculture biologique » ne pouvait pas s’appliquer à des viandes issues de l’abattage rituel, sans étourdissement préalable.

Slim et Karim Loumi, fondateurs de la boucherie Les Jumeaux aux Lilas, en banlieue parisienne. © Capture d’écran youtube

Slim et Karim Loumi, fondateurs de la boucherie Les Jumeaux aux Lilas, en banlieue parisienne. © Capture d’écran youtube

Publié le 1 octobre 2019 Lecture : 4 minutes.

Les bouchers aussi ont une rentrée des classes. En cette fin de matinée, début septembre, il y a foule chez Les Jumeaux, la boucherie des Lilas, en banlieue parisienne, tenue par Slim et Karim Loumi, vrais jumeaux de 29 ans.

« Cela faisait un mois qu’ils étaient en vacances, on avait hâte qu’ils rouvrent », explique une cliente voilée qui ne s’approvisionne plus que dans cette boucherie. « C’est simple, pendant qu’ils étaient fermés, je n’ai pas mangé de viande. » Comment expliquer une telle renommée ? « La qualité », répondent tous les habitués interrogés ce matin-là. Les Jumeaux ont une particularité encore très rare en France : ils vendent de la viande bio et halal.

la suite après cette publicité

Une ambition : le haut de gamme

Tout a commencé avec une frustration : « Quand on était petit, le halal n’était pas de bonne qualité. Il n’y avait pas de bio, pas de fermier, la traçabilité, n’en parlons pas », se remémore Slim Loumi. Quand ils ouvrent leur boucherie, en 2010, à l’âge de 19 ans, ils ont une ambition : le haut de gamme. « Notre credo c’est hygiène, traçabilité et qualité. »

« Je viens faire mes courses ici car dans le 8e arrondissement [quartier chic de Paris], il n’y a pas de boucherie qui soit à la fois de qualité et halal », explique Louisa Faty, une élégante cliente qui vient remplir son frigo tous les quinze jours chez Les Jumeaux. Dans les rayons, outre les merguez maison et les poulets rôtis, on trouve aussi des côtes de bœuf de Galice à 90 euros le kilo, ou des entrecôtes wagyu à 350 euros le kilo. La boucherie est même prisée par certaines célébrités : les acteurs Omar Sy et Tahar Rahim, ou encore Mounir Mahjoubi, l’ancien secrétaire d’État au Numérique.

Les jumeaux d’origine tunisienne ont pris le virage du bio en 2014. Ils ont démarché des éleveurs et sélectionné ceux qui garantissaient la meilleure qualité. Aurélien Legendre, par exemple, qui travaille en Loire-Atlantique et à qui ils prennent une à deux bêtes par semaine. La formule a payé. En 2018, ils ont déménagé de l’autre côté de la rue pour une boutique de 210 m², trois fois plus grande que la précédente.

Les frères Loumi ne sont pas les seuls à s’être engagés dans le rayon bio et halal. La société Bionoor a lancé le mouvement dès octobre 2012. Suivi par d’autres marques : Aya Bio, à Choisy-le-Roi, Biolal, à Lyon, ou des restaurants comme La French Touch, à Courbevoie. Rien en revanche, pour l’instant, au sud de la Méditerranée.

la suite après cette publicité

Idem pour le kasher

« La montée en puissance du halal bio, c’est une révolution sociologique », soutient Fateh Kimouche, le fondateur du site Al Kanz, la référence sur le halal en France. C’est le signe que de plus en plus de familles musulmanes disposent d’un pouvoir d’achat leur permettant d’acheter des produits de très bonne qualité.

« On est passé du kebab à 5 euros à la gastronomie française », plaisante-t-il. Mais il ajoute que cette fameuse gastronomie française ne lui a été accessible « qu’à partir du moment où les produits ont pu être certifiés halal. Mon premier carpaccio, je l’ai dégusté à 34 ans ! ». Outre l’aspect économique, Fateh Kimouche estime que l’intérêt pour les produits bio et halal provient d’une meilleure connaissance des textes sacrés qui « exigent une éthique de la consommation que l’on retrouve dans le halal bio ».

Avec une lame bien aiguisée, le sacrificateur doit trancher les veines jugulaires et carotides à l’aide d’un seul coup de couteau, sur un animal conscient

la suite après cette publicité

Tout ça pourrait être remis en question par une décision de justice. Le 11 juillet, la cour d’appel de Versailles a statué sur une requête de l’association Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) et a jugé qu’une viande issue d’un animal abattu sans étourdissement préalable ne pouvait pas obtenir le label Agriculture biologique. Elle vient confirmer un avis rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 26 février dernier.

Or, dans le halal (tout comme dans le kasher), la dhabiha (méthode d’abattage rituel) prescrit que la bête doit être égorgée consciente. « Avec une lame bien aiguisée, le sacrificateur doit trancher les veines jugulaires et carotides à l’aide d’un seul coup de couteau, sur un animal conscient », explique Fouad Imarraine, chargé des relations publiques chez AVS, le principal certificateur halal de France.

Stigmatisation

Pour Bionoor, la décision de la cour d’appel de Versailles est une catastrophe économique. « Ça pourrait tuer la boîte, cingle Hadj Khelil, le fondateur de la marque. J’ai l’impression que l’on fait passer le bien-être animal avant celui des humains, mais que comme cela ne touche que des musulmans, ce n’est pas grave. »

Chez AVS, c’est le même sentiment. « Cette décision est une injustice, explique Fouad Imarraine. Pourquoi pointer du doigt l’abattage ? C’est l’activité industrielle qui devrait être incompatible avec le bio. Elle entraîne de la souffrance animale, pas le halal. » Pour lui, ce n’est ni plus ni moins qu’une « stigmatisation supplémentaire ».

Chez Les Jumeaux, aussi, on trouve que cette décision « n’est pas une bonne idée ». « On fait un travail de fond, on choisit nos éleveurs, nos abattoirs, nos sacrificateurs, on va vérifier, on discute… J’ai une responsabilité vis-à-vis des clients. Il faudrait qu’on puisse travailler et qu’on respecte nos croyances », explique Slim Loumi. Il est néanmoins catégorique : la décision de justice n’aura aucun impact sur leur chiffre d’affaires. « On va perdre le label AB, mais la qualité va rester la même. Nos clients, cela ne les gêne pas, ils continueront à nous faire confiance », affirme-t-il.

Et si les musulmans se rassemblaient pour créer leur propre label bio ? C’est en tout cas l’idée défendue par Fateh Kimouche. Si Hadj Khelil approuve le concept, il met en garde : « On va devoir faire un nouveau label pour remplacer la certification “AB”, mais ce sera une défaite républicaine. Tout le monde devrait pouvoir manger bio, même les musulmans. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image