Madagascar : « Zébu Boy », la vie à tout prix
« Zébu Boy », le premier roman d’Aurélie Champagne, propose un récit documenté sur la survie d’un homme, à Madagascar, pendant l’insurrection de 1947 contre l’État colonial français.
«J’ai porté pendant vingt ans un nom malgache sans savoir ce qu’il recouvrait », confie d’emblée Aurélie Champagne-Razafindrakoto. Carré de cheveux bouclés, petite taille, le regard parfois lointain, souvent déterminé, elle déroule l’histoire de son premier roman. Tout commence par une quête identitaire. Avant d’entrer à la fac, à Paris, elle part plusieurs mois à Madagascar. Son père, hormis son nom malgache, ne lui a rien transmis.
Ma famille, c’est toute l’infra-histoire de la colonisation
« Il est né en 1946 de mère malgache et de père inconnu, présumé français, plus vraisemblablement anglais, dit-elle. On ne saura jamais. Il a grandi dans un orphelinat à Tana avant d’être adopté, à l’âge de 7 ans, par une infirmière militaire qui recueillait des enfants dans plein de colonies. J’ai un oncle et une tante issus de l’Indochine, une autre tante mauricienne… » Sa mère, elle, est née en Indochine. « Mon grand-père était employé sur les chantiers de construction. Ma famille, c’est toute l’infra-histoire de la colonisation. »
Zébu Boy, c’est le récit d’une trajectoire humaine dans la grande Histoire. Le roman débute en mars 1947, la veille du début de l’insurrection malgache contre l’État colonial français, ses exploitations, ses réquisitions, ses violences quotidiennes. « Ma quête identitaire s’est arrêtée à mon arrivée à Madagascar. L’île et mes rencontres l’ont supplantée », insiste Aurélie Champagne.
En faisant la route vers Tuléar, elle entend parler des révoltes de 1947, qui ont éclaté principalement dans le sud-est du pays. Depuis, ce qu’elle appelle « une obsession » l’entraîne dans les écrits d’historiens comme Jacques Tronchon, Jean Fremigacci, Françoise Raison-Jourde, et dans le texte de Jean-Luc Raharimanana, Nour, 1947. « Ce sont les livres qui m’ont transmis Madagascar », soutient-elle. Le sien mettra plus de dix ans à prendre forme.
Dans ce road trip, Zébu Boy, le personnage principal de l’histoire, part de la capitale malgache pour rejoindre Ambila, ville du sud-est de l’île qui lui donnera son surnom. Engagé dans l’armée française pendant la Seconde Guerre mondiale, il est emprisonné en 1940 dans les Frontstalag, les camps tenus par les Allemands, avant d’être parqué par les Français, dans des conditions tout aussi atroces. Le retour au pays n’a lieu qu’en 1946.
« Faute de bateau disponible, il avait fallu à Ambila attendre une année supplémentaire avant de rentrer. Et après trois semaines de traversée, il avait fini par accoster à Tamatave […]. À leur retour, “les soldats de la Très Grande France” avaient retrouvé l’indigénat, et […] le travail forcé, ces éreintantes réquisitions de trente jours au cours desquelles, à nouveau, ils suaient dans la boue. C’était comme si ces réquisitions avaient gratifié leur condition de prisonnier d’un statut d’éternité. »
Révolte qui gronde
C’est le compagnon de guerre de Zébu Boy, né Lahimbelo, qui, sur le front de la Meuse, l’a surnommé Ambila. Ce frère d’arme s’appelle Amadou Ba Adi : « Un clin d’œil à Addi Bâ Mamadou, combattant guinéen, qui a rejoint la résistance », explicite Aurélie Champagne. De lui s’est inspiré Tierno Monémenbo pour son roman Le Terroriste noir.
Sur la route, les signes de la révolte qui gronde se dessinent peu à peu. Zébu Boy – nom qui lui est donné, adolescent, pour ses exploits dans l’art de la tauromachie à la malgache, la savika – y prend part à sa manière. « Plusieurs récits historiques témoignent que les anciens combattants ont été des meneurs », précise la romancière, qui tenait à inscrire l’insurrection dans la continuité de la Seconde Guerre mondiale.
Le roman se déploie entre mars et juillet 1947, quand la plupart des insurgés furent arrêtés et torturés, certains parvenant à fuir dans les forêts
C’est ainsi par l’intime que le système colonial, les coulisses d’une révolte et de sa terrible répression sont auscultés. Le roman se déploie entre mars et juillet 1947, quand la plupart des insurgés furent arrêtés et torturés, certains parvenant à fuir dans les forêts.
Axe central du roman, la forêt est une métaphore exploitée par l’auteur, passionnée de pharmacopée. Symbole de l’échappée, du maquis et de la renaissance permanente, elle renvoie au marronnage. Le cœur du roman est là : comment survivre malgré l’accumulation des morts sur son chemin ? Comment survivre à ceux qu’on aime ? C’est la quête de Zébu Boy, dont les émotions, pudiques, sont formidablement fouillées à travers l’élan de vie qui le porte, malgré tout. Et s’il apparaît souvent cynique et opportuniste, « est-ce que l’opportunisme n’est pas la première qualité pour survivre » ?
L’auteure de 41 ans raconte aussi son compagnonnage, depuis dix ans, avec des personnes vivant dans la rue, en France, rencontrées pour l’écriture de chroniques sur le site d’information Rue89. « La logistique de survie me parle, affirme-t-elle. Quand tu as douze balles le matin, que tu dois réfléchir à comment bien les utiliser, les transformer. » Bien que les époques soient différentes, ces guerriers du quotidien ont innervé sa plume.
Émue, la romancière confie aussi qu’elle a puisé dans la perte d’un être cher le souffle sublime de ses pages de deuils impossibles qui parcourent le roman, où les frontières entre vie et mort se brouillent.
1947 dans les livres et au cinéma
L’insurrection malgache de 1947 est au cœur du film Tabataba, de Raymond Rajaonarivelo, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, en 1988. Marie-Clémence Andriamonta-Paes, quant à elle, est partie sur les traces des survivants de cette révolte dans le documentaire Fahavalo, Madagascar 1947, sorti en 2018. Plusieurs œuvres de Jean-Luc Raharimanana sont aussi consacrées à cette révolte : Nour, 1947 (éd. Le Serpent à plumes, 2003), Madagascar, 1947 (éd. Vents d’ailleurs, 2008), Rano, rano (texte mis en scène, avec les photographies de Pierrot Men, 2014).
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