Aéronautique : Afrique cherche pilotes désespérément

L’explosion du trafic impose aux compagnies et aux aéroports africains de se mobiliser pour recruter, former et fidéliser leur personnel. Faute de quoi leur essor sera entravé.

Vue du cockpit du simulateur de vol sur Boeing 737 800, au Maroc. © Gilles ROLLE/REA

Vue du cockpit du simulateur de vol sur Boeing 737 800, au Maroc. © Gilles ROLLE/REA

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 16 octobre 2019 Lecture : 5 minutes.

Vue du cockpit du simulateur de vol sur Boeing 737 800, au Maroc. © Gilles ROLLE/REA
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Le ciel africain se prépare pour demain

L’explosion du trafic, notamment avec le partenaire chinois, impose aux compagnies et aux aéroports africains de se mobiliser pour recruter, former et fidéliser leur personnel, aujourd’hui trop souvent attiré à l’étranger.

Sommaire

Mi-septembre, une délégation d’une quinzaine de structures de formation dans le secteur aérien s’est rendue à Dakar pour une mission exploratoire. Outre l’installation possible sur l’ancien aéroport international Léopold-Sédar-Senghor – reconverti en aérodrome militaire en 2017 – ou ailleurs au Sénégal d’un espace destiné à la maintenance d’avions et d’hélicoptères, à la fabrication de drones et à la déconstruction d’aéronefs, il s’agissait surtout d’y étudier le lancement d’un institut de formation, qui pourrait voir le jour en 2020. Le projet attend validation auprès des autorités.

Consacré à tous les métiers de l’aérien, il serait accessible aux quinze pays de la Cedeao et proposerait des programmes de pilotage et de maintenance pour l’ensemble des gammes d’appareils. Le chef de file du projet de cet établissement, lequel pourrait atteindre sa vitesse de croisière en deux ans, est le Centre français de formation et de conseil (C2FC), actif depuis quarante-deux ans sur le continent.

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Preuve de l’intérêt stratégique que revêtirait un tel institut, d’importants acteurs du « petit village du ciel africain » participaient à la mission, dont l’Académie tuniso-française de formation en sûreté de l’aviation civile (Afsac), ainsi que Perkasa, la plus grande école indonésienne de pilotage, et Eforsa, le numéro un européen de la formation de pompiers d’aérodrome. Étaient aussi présents des spécialistes internationaux de simulation de vol, de la formation d’équipages cabines ou encore du transport des marchandises dangereuses.

Un trafic aérien amené à doubler

S’il est choisi, l’ancien aéroport de la capitale sénégalaise offre, il est vrai, un beau potentiel. L’espace aérien au-dessus de la base est désormais dégagé, tandis que les simulateurs et les équipements de la tour de contrôle sont utilisés bien en deçà de leur potentiel. Le futur institut pourrait former des pilotes, des contrôleurs aériens, des sapeurs-pompiers, mais aussi des personnels navigants commerciaux (PNC), des techniciens de maintenance aéronautique, des personnels aéroportuaires, des employés de sûreté et de sécurité… Autant de ressources humaines qui pourraient obtenir le plus haut niveau de certification internationale – EASA, IATA et OACI.

Alors que le trafic sur le continent est appelé à doubler en vingt ans, Boeing a présenté des projections chiffrées : il faudra avoir formé 86 000 techniciens et pilotes pour l’Afrique d’ici à 2038. « Cela représente 1 500 pilotes par an. Personne ne sera en mesure de former autant de personnes avec les structures actuelles », s’alarme un bon connaisseur du secteur.

Il faut 200 personnes pour s’occuper d’un seul avion

Selon les estimations des avionneurs Airbus et Boeing, pour les 1 400 appareils qui rejoindront les flottes africaines au cours des vingt prochaines années, le continent devra recruter entre 21 000 et 29 000 pilotes, entre 25 400 et 27 000 techniciens et plus de 30 000 personnels de cabine, ce qui représente au total 4 % des besoins mondiaux. « Il faut 200 personnes pour s’occuper d’un seul avion. Comme de plus en plus d’appareils seront commandés, cela se répercute sur chaque branche de la filière, du catering au handling jusqu’au ravitaillement et aux personnels d’aéroport », souligne un professionnel du ciel africain.

Des besoins considérables pour l'avion d'ici 2038 © JA

Des besoins considérables pour l'avion d'ici 2038 © JA

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Le mouvement « flygskam » – la « honte » de prendre l’avion pour des raisons environnementales, qui affecte pour l’instant surtout les pays scandinaves – ne semble pas en mesure de freiner cette croissance du trafic et des besoins substantiels du continent en main-d’œuvre qualifiée. D’autant plus qu’il sera difficile d’aller débaucher à l’étranger, en raison notamment de l’explosion du transport aérien en Asie. À l’échelle mondiale, le secteur aura ainsi besoin de recruter, toujours dans les vingt prochaines années, entre 550 000 et 804 000 pilotes, entre 640 000 et 769 000 techniciens, et plus de 914 000 personnels de cabine.

Le continent s’engage dans la bataille des compétences

Déjà sous-doté en capacités, le continent va donc se trouver de plus en plus sous tension. Y compris dans le contrôle aérien et les opérations au sol, puisque les aéroports y poussent comme des champignons. Ethiopian Airlines, qui dispose d’un important centre de formation à l’aéroport ­d’Addis-Abeba, a créé des filiales ou noué des partenariats dans plusieurs pays orphelins de pavillons nationaux faute de ressources humaines suffisamment qualifiées. Mais la compagnie éthiopienne commence à avoir des difficultés à répondre à ses propres besoins. Et il n’y a déjà plus assez de formateurs en Europe pour accompagner les équipages africains, parfois obligés de faire appel à des instructeurs indonésiens.

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Le continent est pourtant loin d’être un désert en matière de formation. À Bamako, l’Institut africain des métiers de l’aérien (IAMA), appuyé par Air France et l’Asecna, propose des formations aux opérations aéroportuaires. La Tunisie et l’Algérie accueillent quant à elles plusieurs instituts privés. Au Maroc, l’Institut spécialisé des métiers de l’aéronautique et de la logistique aéroportuaire (Ismala) a certes pris la suite en 2014 de la Royal Air Maroc Academy, mais il ne forme plus que des techniciens.

Les pilotes de la compagnie marocaine sont désormais pris en charge à Benslimane (entre Rabat et Casablanca) par l’établissement privé International Aero Training Center, ou bien à l’étranger : ENAC et Esma Aviation Academy en France ; Oxford Air Training School au Royaume-Uni. Au Maroc comme au Sénégal, certains lycées polytechniques et l’armée de l’air peuvent aussi faire office d’écoles pour des pilotes qui se tourneront un jour vers l’aviation commerciale.

Par ailleurs, quand ils vendent leurs appareils, Airbus, Boeing et Bombardier délivrent une formation, mais pour seulement un tiers des pilotes et techniciens. Il revient alors aux compagnies d’assumer le reste, ce qui en incite quelques-unes à prendre les devants.

Air Côte d’Ivoire a ainsi financé cette année la formation à Charleroi (Belgique) d’une deuxième promotion de 17 pilotes cadets de l’École aéronautique de l’Institut national polytechnique Félix-Houphouët-Boigny (INP-HB). Quant à Air Mauritius Institute, il a sélectionné en septembre une première promotion de douze pilotes stagiaires afin qu’ils intègrent sa Flying Academy. Ceux-ci bénéficient de cours agréés par l’aviation civile sud-africaine et sortiront avec une licence reconnue par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).

L’importance de la certification internationale

Si les initiateurs du futur centre de formation sénégalais croient fermement en leur projet, c’est surtout parce que, en dehors de l’Afrique du Sud et de l’Éthiopie, la plupart des centres du continent ne dispensent que certains types de formation et ne fournissent pas de certifications internationales. Ce qui limite les horizons de carrière pour les futurs navigants. 150 ex-pilotes de Tunisair sont aujourd’hui au chômage. Formés avant la révolution de 2011, quand leur compagnie poursuivait des ambitions grandioses sur tous les continents, ils ne disposent que d’une certification tunisienne et ne peuvent donc pas être recrutés à l’étranger.

Une séance de formation à l’Afsac © DR

Une séance de formation à l’Afsac © DR

Seule l’Afrique du Sud assure la formation aux certifications américaine et européenne. La maîtrise parfois faible de l’anglais peut constituer un autre frein à l’embauche des personnels issus du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne francophone et lusophone. Ce contexte tendu pousse les compagnies à engager des pilotes européens.

Quant aux meilleurs éléments du continent, ils sont tentés de se former en Europe, aux États-Unis ou en Australie, malgré un coût pouvant atteindre 120 000 euros. Et, le plus souvent, ils font alors carrière loin du continent, attirés par les généreux salaires et les nombreux avantages offerts par les compagnies du Golfe. Car si l’Afrique a l’ardent défi de former son personnel aérien pour répondre à ses besoins d’expansion, elle devra aussi créer les conditions pour qu’il demeure sur le continent.

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