Aéronautique : pleins gaz pour les héritiers de Bombardier sur le continent africain

Si le constructeur canadien est sorti du secteur des avions commerciaux, ses appareils connaissent sur le continent une seconde jeunesse, portés par Airbus et De Havilland.

Uganda Airlines, la nouvelle compagnie nationale ougandaise, a acheté quatre jets régionaux CRJ-900 pour 180 millions de dollars. © Nicholas BAMULANZEKI / AFP

Uganda Airlines, la nouvelle compagnie nationale ougandaise, a acheté quatre jets régionaux CRJ-900 pour 180 millions de dollars. © Nicholas BAMULANZEKI / AFP

Publié le 22 octobre 2019 Lecture : 5 minutes.

Au début d’octobre, Tewolde GebreMariam, le patron d’Ethiopian, a affirmé que la compagnie était sur le point d’acquérir entre dix et vingt Airbus A220. Moyen-courrier dernier cri, ce ­biréacteur d’une centaine de places viendrait enfoncer un coin dans la domination de Boeing sur les monocouloirs au sein de la flotte d’Ethiopian. Merci… Bombardier ! De fait, si les avions A220 restent peu connus, c’est pour une raison simple.

Développés depuis quinze ans par Bombardier sous le nom de CSeries, ils ont changé d’appellation au début de juillet 2018. Airbus a alors pris 50,01 % du programme dont Bombardier reste actionnaire avec la province de Québec. Une cession pour… 1 dollar.

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C’est que, face aux difficultés que connaît depuis cinq ans sa division aviation commerciale, le PDG de Bombardier, Alain Bellemare, a tranché et décidé de sortir des avions régionaux et turbopropulseurs. Ces derniers pesaient 15 % de ses revenus en 2017, soit 2,4 milliards de dollars.

Un carnet de commandes qui ne cesse de s’étoffer

Désormais, Bombardier Avions Commerciaux se conjugue au passé. Avec quel effet sur le continent ? « Ce n’est jamais une bonne nouvelle pour les compagnies de voir un avionneur disparaître. Cela réduit la concurrence », juge le consultant Cheikh Tidiane Camara. L’empreinte Bombardier ne va néanmoins pas disparaître du ciel africain. Tant s’en faut. D’abord parce que le groupe mise tout, notamment en Afrique, sur sa division avions d’affaires (lire encadré ci-dessous) et, surtout, parce que ses appareils voleront longtemps encore depuis Le Caire, Luanda ou Nairobi.

Si ses principaux marchés étaient l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie, l’avionneur cultivait une présence affirmée sur le continent. Selon nos estimations, près de 200 Bombardier, souvent âgés, volent dans le ciel africain, exploités par une quarantaine de compagnies comme South African Express, Rwandair, PassionAir au Ghana ou la low-cost kényane Fly540. L’Afrique est un marché phare pour les avions régionaux et les turbopropulseurs qui y représentent 43 % des appareils, contre 22 % en moyenne dans le monde. Sur le continent, les liaisons point à point avec peu de passagers sont courantes. La flotte africaine, que se partagent Bombardier, ATR et Embraer, se chiffre en 2019 à 486 unités selon le cabinet Oliver Wyman.

Ephraim Bagenda, patron d’Uganda Airlines s’est dit ravi de lancer [ses] activités avec le chef de file des biréacteurs régionaux dans le monde

Avec une soixantaine d’avions en Afrique, la série CRJ est exploitée par CemAir, South African Express ou encore Uganda Airlines. La nouvelle compagnie nationale de Kampala a reçu, au début d’octobre, les deux derniers jets régionaux CRJ‑900 d’une commande de quatre appareils annoncée en juin 2018 pour un prix au catalogue de 180 millions de dollars. Ephraim Bagenda, patron d’Uganda Airlines, s’est dit « ravi de lancer [ses] activités avec le chef de file des biréacteurs régionaux dans le monde ».

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Quant à l’ex-CSeries, le ciel s’annonce pour lui radieux. L’A220 affiche 90 livraisons et, surtout, 525 commandes. Sur le continent, Air Tanzania a été le premier, à la fin de 2018, à le mettre en exploitation (la compagnie en possède deux et pourrait en commander deux autres), suivi d’EgyptAir, qui va se doter de douze A220-300. Airbus a déjà intégré l’A220 à son organisation industrielle. Il poursuit cette intégration pour les services techniques, les services à la clientèle, la formation, les opérations en cabine, la simulation de vol, les pièces de rechange et la maintenance, indique-t-on chez l’avionneur européen.

Sur le continent, l’intégration commerciale est déjà achevée sous la houlette de Mikail Houari, patron Afrique - Moyen-Orient, installé à Dubaï. Airbus consent des moyens commerciaux sur son avion d’adoption, qui complète pour les petites capacités les A320neo. En plus du deal en vue avec Ethiopian, le 12 octobre, c’était au tour d’Air Austral d’annoncer un préachat de trois A220-300, qui pourraient être suivis de trois appareils similaires destinés, grâce à un loueur, à Air Madagascar, détenue à 49 % par la compagnie réunionnaise.

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Les turbopropulseurs vendus à Longview 250 millions de dollars

Si l’A220 est promis à un bel avenir, qu’en est-il des turbopropulseurs de Bombardier, cédés au début de juin pour 250 millions de dollars au canadien Longview ? Les Dash8 sont héritiers d’une série de court-courriers familiers des pistes africaines. Leur nouveau propriétaire a créé une filiale reprenant le nom historique De Havilland Canada. Fabriqués à Toronto, les Dash8 ont souffert d’un faible soutien de Bombardier, avec un carnet d’ordres d’à peine 50 appareils, soit un tiers de celui du constructeur franco-italien ATR. Longview entend relancer cet appareil sur le marché africain, comme en a témoigné la présence de Tewolde GebreMariam à Toronto, le 5 août, pour la livraison du 25e Dash8 d’Ethiopian. De Havilland Canada s’est aussi félicité d’une commande de six appareils similaires, passée en juin par TAAG Angola Airlines.

L’usine de Casablanca au meilleur niveau mondial

L’héritage africain de Bombardier se matérialise de deux autres façons. La première est industrielle, avec l’usine d’aérostructures de Casablanca ouverte il y a quatre ans, qui a nécessité 200 millions de dollars d’investissements. Avec celle de Belfast, cette usine de 800 employés a été mise en vente en mai avec comme possible repreneur l’américain Spirit AeroSystems ou le britannique GKN.

Cette usine au meilleur niveau concernant la supply chain mondiale et qui montre que l’on peut mener des activités de haute technologie sur le continent

Aujourd’hui à la tête du cabinet de conseil 6Temik, la Marocaine Souad Elmallem, ancienne représentante en chef stratégie de Bombardier en Afrique, est confiante sur l’avenir de « cette usine au meilleur niveau concernant la supply chain mondiale et qui montre que l’on peut mener des activités de haute technologie sur le continent ». La consultante rappelle que le site de Casa « a gagné des contrats hors groupe pour des inverseurs de poussée chez Airbus ». Le dernier héritage de Bombardier est celui des services, à travers la maintenance. Hormis un centre de support à Johannesburg, le groupe n’a guère investi en Afrique dans ce domaine, au contraire de ses clients. Ainsi, Ethiopian dispose à Addis-Abeba d’un centre agréé de maintenance lourde pour les Q400. La compagnie vient d’y réinvestir en s’associant en juin avec l’américain Collins pour monter un centre d’entretien destiné notamment à la climatisation. Cet accord doit générer 500 millions de dollars de revenus sur vingt-cinq ans.

Nombre d'appareils sur le continent toutes compagnies confondues © Source : Olivier Wyman

Nombre d'appareils sur le continent toutes compagnies confondues © Source : Olivier Wyman

Cap sur les « bizjets »

L’activité aéronautique de Bombardier se concentre désormais sur les biréacteurs d’affaires (« bizjets ») de 2 à 19 places sous les marques Challenger, Global et Learjet. Une activité qui pesait 4,9 milliards de dollars en 2018. Le canadien revendique la première place en Afrique devant les américains Textron (Cessna) et Gulfstream, ou le français Dassault, grâce notamment à ses directeurs des ventes Hani Haddadin (Afrique) et Wassim Saheb (Moyen-Orient et Afrique du Nord) implantés à Dubaï.

L’Afrique demeure un important marché pour les avions d’affaires

À la fin de juin 2019, Bombardier détient « une part de marché de 24 % et une flotte de 92 avions d’affaires en Afrique, la plus importante du continent [hors] jets très légers et avions de ligne d’affaires », indique le groupe, dont la clientèle est « un mélange équilibré de sociétés d’affrètement, de particuliers et d’entreprises ».

Si ses centres de maintenance sont aux États-Unis, en Europe et en Chine, Bombardier détient des centres de services au Nigeria et en Afrique du Sud où il a un bureau régional. « L’Afrique demeure un important marché pour les avions d’affaires », assure Bombardier Aviation, qui prévoit que « la flotte augmentera de 2,7 % annuellement en moyenne, et ce pour les dix prochaines années ».

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