Que nous dit aujourd’hui « Chaka », de Thomas Mofolo ?
Revue littéraire française, L’Atelier du roman se penche sur les différentes interprétations et sur la longue postérité du roman publié en sotho en 1925.
Fidèle à sa réputation, L’Atelier du roman ne fait rien comme les autres. Peu émue par l’actualité de la rentrée littéraire, la revue préférée de Milan Kundera et de Michel Houellebecq consacre son numéro d’automne à Chaka, le roman de Thomas Mofolo paru en sotho en 1925.
Géographie sacrée
Écrit dans une langue peu connue, publié au Lesotho, loin des grandes capitales, le roman risquait fort de passer inaperçu. Ce fut tout le contraire qui arriva : traduit en anglais (1931) puis en français (1940), ce récit de l’ascension et de la chute de Chaka, le fondateur de l’empire zoulou, devint l’une des références de la littérature africaine, suscitant de multiples controverses – Chaka est‑il un héros de l’indépendance ou le modèle des dictateurs les plus sanguinaires ? – et de nombreuses œuvres en écho, dont les plus importantes furent sans doute le poème de Senghor dans Éthiopiques et la pièce de Tchikaya U Tam’si, Le Zoulou. Aujourd’hui, que nous dit ce roman ? Chacun des onze auteurs invités par L’Atelier du roman propose sa réponse, sa propre lecture de Chaka.
Quand Boniface Mongo-Mboussa commente les nombreuses réécritures africaines de la légende de Chaka, dont la diversité témoigne de l’onde de choc que fut le roman de Mofolo, Nunzio Casalaspro met en évidence toutes les ambiguïtés du récit, conte ou roman historique.
Et c’est en partie à l’univers du conte que nous reconduit Sylvie Kandé, en éclairant la géographie sacrée et la botanique mythologique essentielles à la compréhension de Chaka ; cependant, pour elle aussi, le mythe nourrit l’histoire : « Cette phrase unique (qui annonce l’arrivée de l’homme blanc), dans les dernières pages du livre, fait basculer dans l’histoire du monde un texte que l’on aurait pu croire allégorique. »
Temps précolonial
L’Ivoirien Gauz rappelle, lui, l’engouement extraordinaire pour le Chaka des séries télévisées (« La seule vérité devient celle de la boîte à rayons bleus »), tandis que Jean-François Chanson raconte la genèse de la bande dessinée Chaka, dont il fut le scénariste.
Le Togolais Théo Ananissoh (« Quand les Africains étaient seuls au monde ») voit dans Chaka un roman réaliste du temps précolonial : « Mofolo écrit comme on aurait écrit dans l’Afrique précoloniale », alors que Marc-Antoine Pérouse de Montclos s’intéresse aux deux contextes politiques : celui du Chaka de l’histoire et celui du roman.
De son côté, Yves Lepesqueur retient du roman une description impitoyable des mécanismes universels du totalitarisme : « Mofolo dépeint avec une pénétration sans égale parmi ses contemporains de tous les continents l’État totalitaire que l’Europe ne connaissait pas encore tout à fait. »
Lakis Proguidis y lit une élucidation quasiment théologique de l’hubris du pouvoir. Avec beaucoup d’originalité, Mehdi Clément rapproche le sorcier qui se fait l’âme damnée de Chaka des conseillers, omniscients mais jamais responsables, qui entourent les chefs d’État et les PDG de multinationale.
Entre l’histoire et le présent, entre l’Afrique et le monde, où situer ce roman énigmatique, dont Mirjana Robin-Cerovic montre combien il bouleversa la perception de l’Afrique : « Avec une telle œuvre, l’Afrique rompait son insularité » ?
Bouleversant, le roman de Mofolo l’est encore, et aussi intrigant, perturbant, instigateur de questionnements perpétuellement renouvelés : la diversité de lectures parfois divergentes le prouve abondamment.
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