Jim Ovia (Zenith Bank) : « Le redressement de la banque reflète la reprise de l’économie nigériane »
Alors que la reprise économique s’annonce à Abuja, le cofondateur et patron de la première banque du pays se montre confiant sur la solidité de son établissement.
Banques nigérianes : comme un parfum de crise
La récente nationalisation de Skye Bank a fait ressurgir le spectre du krach de 2009-2010, qui avait ébranlé le secteur bancaire du pays. Si les leaders semblent en mesure de résister, les établissements intermédiaires restent vulnérables. Comme il y a neuf ans…
Au siège de Zenith Bank, à proximité du Civic Centre de Lagos, le bureau de Jim Ovia domine le lagon qui mène jusqu’à l’océan Atlantique. Alors que le photographe fait prendre la pose au président du groupe, le soleil commence à chasser les nuages qui ont laissé les rues alentour détrempées. « L’amélioration de la situation [de Zenith Bank] reflète sans doute la reprise de l’économie nigériane », estime-t-il.
Le temps s’améliore assurément pour les banques du Nigeria. Certains signes ne trompent pas : le prix du pétrole qui remonte après l’effondrement de 2015 et les banques les plus solides qui parviennent à se sortir d’un tas d’emprunts douteux liés au secteur de l’énergie.
En hausse chez Fitch
C’est précisément ce qu’a réussi Zenith. Un an après que l’agence de notation Moody’s a abaissé la note de la banque à la fin de 2017, l’agence concurrente Fitch l’a révisée à la hausse, en grande partie grâce à sa solide activité de prêts aux entreprises cotées.
La prise de décision est bien répartie parmi un grand nombre de dirigeants
L’audit de ses résultats du premier semestre de 2019 montre des revenus bruts en hausse de 3 %, à 331,6 milliards de nairas (plus de 800 millions d’euros), des bénéfices avant impôts en hausse de 4 %, à 111,7 milliards de nairas, et un bond des frais perçus grâce à la banque mobile, que l’établissement met sur le compte « des progrès importants de [sa] banque de détail ».
Mais Fitch a également su voir une autre force de Zenith : son personnel. « La prise de décision est bien répartie parmi un grand nombre de dirigeants, afin de minimiser la dépendance aux individus », note-t-elle. Une stratégie payante, qui donne au fondateur de la première banque nigériane au classement Top 200 des raisons de se réjouir. Plusieurs anciens employés occupent d’ailleurs aujourd’hui des positions influentes.
Uchechukwu Sampson Ogah, un ancien protégé de Jim Ovia, a été nommé en août ministre des Mines et du Développement de l’acier. Quant à Godwin Emefiele, le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria (BCN), il a occupé pendant de nombreuses années des fonctions dirigeantes à Zenith. « On m’a donné raison récemment lorsque son mandat a été renouvelé, une première depuis le retour du Nigeria à un régime démocratique, en 1999 », se félicite Jim Ovia.
Capitaux inactifs
Cependant, tout le monde n’est pas enthousiaste quant aux décisions de la Banque centrale. « L’obsession de la BCN pour le taux de change l’a amenée à vendre de plus en plus d’opérations sur le marché public, ce qui offre aux banques un rendement élevé et sans risque, les empêchant dans les faits d’accorder davantage de crédits à l’économie réelle », déclare Malte Liewerscheidt, du cabinet de conseil Teneo.
Les perspectives de la demande mondiale de pétrole sont bonnes
Avec 30 % de ses prêts concentrés dans les secteurs pétrolier et gazier, Zenith est-elle trop exposée aux soubresauts du secteur de l’énergie ? « Pas nécessairement, car nous avons une solide stratégie de gestion des risques, répond Jim Ovia. Les perspectives de la demande mondiale de pétrole sont bonnes, et, à moins d’une perturbation importante de la production domestique de brut, il n’y a pas grand-chose à craindre. »
Les investisseurs internationaux en sont moins convaincus : ils ont fait chuter la valeur de l’action de la banque de 33 % ces six derniers mois.
Le montant élevé des capitaux inactifs est un autre problème systémique au sein des banques africaines en général, et de Zenith en particulier. Au Nigeria, certains affirment que cette situation tient à un manque d’opportunités structurées ; d’autres l’attribuent aux rendements élevés et à faible risque que représentent les prêts au gouvernement.
Mais, pour Jim Ovia, « avoir un ratio de capitaux adéquat n’est jamais un problème. Mieux vaut cela que la situation inverse. Les opportunités se présentent, et nous devons continuer de faire progresser le crédit dans différents domaines de l’économie, et en particulier dans le secteur non pétrolier. »
Envol durant la décennie dorée
La suprématie de Zenith remonte aux années 1990, quand Jim Ovia et d’autres investisseurs ont parié 4 millions de dollars sur le succès d’un tel projet, sous la dictature d’Ibrahim Babangida. « Nous avons obtenu les licences pendant l’ère militaire ! rappelle-t-il, incrédule. Mais je savais qu’il existait une opportunité, alors je l’ai saisie afin de lancer une banque plus structurée et informatisée. »
Zenith a été l’une des premières banques nigérianes à introduire des ordinateurs dans son administration, ouvrant ainsi une nouvelle ère. Mais c’est sous la présidence d’Olusegun Obasanjo (1999-2007) que le secteur bancaire a réellement décollé au Nigeria.
Le capital et la liquidité sont des prérequis pour la survie de toute institution financière
« Le retour à un régime démocratique et la libération des forces de marché qui en a résulté ont sans doute ouvert la voie à ce que nous pouvons aujourd’hui appeler la décennie dorée de l’économie nigériane, avance Jim Ovia. La libéralisation du secteur des télécommunications lui a permis de connaître une croissance explosive. La consolidation du secteur bancaire de 2004 à 2006 a renforcé les banques et amélioré leur résilience. Et il y a eu beaucoup de créativité et d’innovation. »
Cette période a pris fin au moment où de nombreuses banques, dopées par leur propre hubris, disposant de trop de capitaux et de trop peu d’opportunités, se sont entassées sur les marchés boursiers. Elles ont souvent investi dans leurs propres actions pour en faire gonfler le prix. La crise financière qui en a résulté a fait comprendre à Jim Ovia que « le capital et la liquidité sont des prérequis pour la survie de toute institution financière. »
Erreur de stratégie
Cette période a également freiné son ascension personnelle. Pendant la crise bancaire, le gouverneur de la BCN de l’époque, Lamido Sanusi, a adopté de nouvelles règles limitant le mandat des PDG de banques à dix ans – une règle qui a affecté le cadre de Zenith, aujourd’hui président de l’entreprise, ainsi que Tony Elumelu, alors à la tête de United Bank for Africa.
De nombreuses banques collaboreront avec des sociétés de technologie financière et s’adapteront en douceur
Mais Jim Ovia a aussi été entrepreneur dans le secteur des télécommunications. Il a fondé Visafone en 2007 après avoir racheté plusieurs autres opérateurs, puis l’a vendu en 2015 à MTN. Était-ce une erreur de stratégie ? Après tout, le groupe sud-africain lance aujourd’hui des services bancaires mobiles au Nigeria, une menace sérieuse pour des banques comme Zenith.
Jim Ovia reconnaît les risques, estimant que les banques qui n’innovent pas dans le domaine des services numériques en paieront les conséquences. À l’avenir, il estime que « de nombreuses banques collaboreront avec des sociétés de technologie financière et s’adapteront en douceur. » Une prédiction à garder à l’esprit, étant donné les talents variés de ce cadre bancaire.
Esprit fondateur
1951 – Naît à Agbor, dans l’État du Delta, au Nigeria
1979 – Obtient une maîtrise en gestion d’entreprise à l’Université de Louisiane (États-Unis)
1990 – Cofonde Zenith Bank au Nigeria
2010 – Quitte son poste de PDG de Zenith Bank, suivant les nouvelles règles de la Banque centrale
2014 – Est nommé président du conseil d’administration de Zenith Bank
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