Cyberintox : « Le web n’est pas une agora virtuelle »

Les réseaux sociaux créent des phénomènes d’urgence auxquels le politique se sent parfois obligé de répondre, selon la directrice directrice études et prospective à l’institut Viavoice, Sarah Pinard.

La cybersécurité, un enjeu toujours d’actualité. © Wikimedia Commons/Colin

La cybersécurité, un enjeu toujours d’actualité. © Wikimedia Commons/Colin

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Publié le 8 novembre 2019 Lecture : 2 minutes.

Alors que les réseaux sociaux sont devenus des outils incontournables de la propagande étatique, le web « peut aussi être utilisé par des professionnels capables de jouer des algorithmes pour favoriser la diffusion d’une opinion », explique Sarah Pinard, sondeuse, directrice études et prospective à l’institut Viavoice et docteur en sciences politiques.

Jeune Afrique : Le web concurrence désormais les modes traditionnels d’expression politique. Comment l’expliquer ?

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Sarah Pinard : Notre rapport au politique a changé. Il y a une perte de confiance dans la capacité de faire des gouvernants. On ne croit plus à leur omnicompétence, le citoyen va donc vouloir faire lui-même. Dans le même temps, les taux d’alphabétisation ont largement augmenté, la connaissance est accessible en un clic, chaque expert peut participer sur les réseaux sociaux.

On va pouvoir court-circuiter les partis et les médias traditionnels pour s’exprimer directement. C’est un peu le fantasme de la politique par la société civile pour la société civile. Le web répondrait à tous nos maux, là où l’état et la politique font défaut. C’est un mythe.

Pour vous, le web ne peut pas être un outil de mesure de l’opinion ?

L’espace virtuel ne correspond pas à un territoire réel et délimité, dont les règles du jeu politique sont clairement définies. Le web n’est pas une sorte d’agora virtuelle. Il n’y a pas de citoyenneté numérique, il est très simple de camoufler son identité réelle. La multiplicité de ces identités possibles sur le web rompt avec le principe démocratique « un homme = une voix ». Il est donc très compliqué de déterminer la volonté générale à partir d’internet.

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C’est un territoire mondialisé favorisant finalement l’expression d’une multitude de lobbies, qui se confrontent sans forcément chercher à faire consensus. Il y a aussi un aspect économique à prendre en compte. Tout le monde ne possède pas de connexion ni d’ordinateur, n’est pas sensibilisé aux usages du web, n’a pas les moyens de sponsoriser des contenus pour qu’ils fassent plus de bruit. Internet est souvent l’expression d’une « élite » informée, qui a un intérêt à s’exprimer et qui sait efficacement défendre ses opinions.

Le web peut aussi être utilisé par des professionnels capables de jouer des algorithmes pour favoriser la diffusion d’une opinion. Ainsi, d’emblée, on ne sait pas si on est face à une expression spontanée ou à une expression organisée.

Les réseaux sociaux créent des phénomènes d’urgence, auxquels le politique se sent parfois obligé de répondre

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A-t-on tendance à exagérer l’importance des sujets « nés » sur ces plateformes ?

Sur Twitter, par exemple, l’impact sur l’opinion publique est limité. Les politiques ne se rendent pas toujours compte de l’énorme dichotomie entre l’expression de l’opinion sur internet et dans le réel. Les réseaux sociaux créent des phénomènes d’urgence, auxquels le politique se sent parfois obligé de répondre. Mais Internet n’est qu’un support médiatique ! Bien utilisé, il peut être un formidable outil de pédagogie et d’information.

Et puis nous disposons d’un libre arbitre qui doit nous permettre de déjouer les réseaux sociaux et leurs algorithmes. Finalement, nous répétons sur les réseaux sociaux nos propres biais sociologiques.

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