La Tunisie à l’heure du choix économique

Entre une présidence étatiste et un Parlement libéral, la définition des priorités risque d’être une gageure. Il y a pourtant urgence, car la dette publique s’alourdit dangereusement.

Avenue Mohammed-V, dans le centre de Tunis. © Nicolas Fauqué / www.imagesdetunisie.com

Avenue Mohammed-V, dans le centre de Tunis. © Nicolas Fauqué / www.imagesdetunisie.com

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Publié le 14 novembre 2019 Lecture : 4 minutes.

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La Tunisie en pleine révolution culturelle

Au-delà de la lutte contre la corruption et le chômage, de la revitalisation des services publics et de la relance de l’économie, c’est la refonte totale du mode de gouvernance qui est au cœur du projet du nouveau président.

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Libéralisme au Bardo, étatisme à Carthage et, probablement, un mixte des deux à la Kasbah : le Parlement, la présidence de la République et le gouvernement vont devoir mijoter une cohabitation économique digne d’une chakchouka (ratatouille à la sauce tunisienne). Le parti islamo-conservateur Ennahdha, qui compte le plus de députés à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), affiche un programme résolument libéral axé sur la compétitivité des entreprises, la venue d’investisseurs étrangers et l’ouverture du code des changes.

Le chef de l’État, Kaïs Saïed, n’a jamais vraiment précisé son programme économique, mais le pedigree de son proche conseiller, Ridha el-Mekki, alias « Ridha Lénine », issu de la gauche panarabe, en laisse supposer une vision étatiste. Le gouvernement – encore en formation – devrait inclure, outre ces deux tendances, des partisans d’une vision keynésienne.

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Tous ces acteurs vont devoir trouver une façon de s’entendre. Le Parlement a jusqu’au 10 décembre pour voter la loi de finances. Les nouveaux députés, pour asseoir leur légitimité, pourraient retoquer ce projet préparé par le gouvernement de Youssef Chahed et largement rejeté par les électeurs. Ce qui plongerait le pays encore un peu plus dans l’incertitude.

Logique purement comptable

Or l’incertitude, c’est justement ce qui inquiète les bailleurs de fonds internationaux, lesquels tiennent la solvabilité de la Tunisie à bout de bras. Le FMI, l’un des principaux créanciers du pays, déplorait en juillet la « lente mise en œuvre des réformes en raison de l’incertitude politique persistante, des tensions sociales et de l’opposition aux réformes émanant d’intérêts particuliers ».

Ce n’est pas en augmentant la pression fiscale et en réduisant les dépenses que l’on résoudra le problème structurel

Depuis la mise en place du mécanisme élargi de crédit (2016-2020) de 2,8 milliards de dollars, le FMI pousse à la réduction des dépenses, notamment à travers la diminution du nombre de fonctionnaires et la suppression des subventions (essence, pain, huile, etc.). La prochaine loi de finances n’échappe pas à cette ligne : elle prévoit notamment de ramener le déficit budgétaire à 3 % du PIB (contre 6,1 % en 2017).

« Ces dernières années, chaque loi de finances me pose un problème, car elle est rédigée dans une logique purement comptable qui vise à satisfaire les bailleurs de fonds. Or ce n’est pas en augmentant la pression fiscale et en réduisant les dépenses publiques que l’on résoudra le problème structurel. Il faut casser ce schéma et se focaliser sur la production, qui est la base de l’économie réelle », analyse Mouez Soussi, professeur en sciences économiques à l’Institut des hautes études commerciales (IHEC) de Carthage.

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Le « schéma » pourrait en effet rapidement voler en éclats. Jusqu’à présent, les gouvernements ont joué de la réduction budgétaire (remplacement d’un fonctionnaire sur quatre partant à la retraite, baisse de subventions, etc.), tout en alourdissant la dette publique par des emprunts intérieurs et extérieurs (26 milliards d’euros en 2019). Une politique devenue intenable. Avec la pénurie de liquidités née en 2017, les banques n’ont plus les réserves pour acheter à tour de bras les bons du Trésor assimilables (BTA).

Passe délicate

Au niveau international, les investisseurs considèrent la dette tunisienne avec prudence. Certes, le pays est sorti, en octobre, de la liste noire du Groupe d’action financière (Gafi), organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Mais les agences de notation Fitch et Moody’s tablent sur une « perspective négative », à cause de la dette importante et de la chute du dinar : – 62,7 % depuis octobre 2010 par rapport à l’euro. Lors du Forum tuniso-britannique sur le commerce et l’investissement qui s’est tenu à la fin d’octobre, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane el-Abassi, a d’ailleurs qualifié le pays de « site d’investissement à long terme ».

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Dans ce contexte, l’arrivée à échéance du prêt du FMI en 2020 annonce une passe délicate. En effet, les bailleurs de fonds regarderont à deux fois avant de proposer leur aide à un pays qui ne bénéficierait plus de la garantie de l’institution financière et qui rechignerait à continuer d’opérer de radicales coupes budgétaires si les forces économiquement antilibérales venaient à prendre de l’importance au sein de la future majorité.

Le premier indice sera rapidement dévoilé. Lors de ses rares incursions dans le domaine économique, le président Kaïs Saïed a évoqué un renforcement des liens avec le Maghreb. Alors que le commerce intramaghrébin représente moins de 3 % des échanges de la région, sera-t-il le promoteur d’un marché régional plus intégré ?

Décidera-t-il, en tant que responsable de la conduite de la politique étrangère, de privilégier le développement vers le sud du Sahara dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca) plutôt que de signer l’Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) avec l’Europe, au point mort ces derniers mois ? Après huit années de tergiversations postrévolutionnaires, la Tunisie a désormais cinq ans pour se doter d’une vraie vision économique.

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