Tunisie : Ennahdha face au puzzle parlementaire
Vainqueur des législatives, Ennahdha doit former un gouvernement qui devra obtenir la confiance d’une majorité de députés dans un hémicycle plus morcelé que jamais.
La Tunisie en pleine révolution culturelle
Au-delà de la lutte contre la corruption et le chômage, de la revitalisation des services publics et de la relance de l’économie, c’est la refonte totale du mode de gouvernance qui est au cœur du projet du nouveau président.
Bien que le nombre de ses députés soit passé de 68 (sur 217) lors de la précédente législature à 52 à l’issue du scrutin du 6 octobre, Ennahdha est le parti qui compte le plus d’élus au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). C’est donc à son chef, Rached Ghannouchi, que Kaïs Saïed a demandé de désigner une personnalité issue de ses rangs pour composer et diriger le nouveau gouvernement. Une partition qu’Ennahdha avait déjà jouée en 2012, en s’abritant alors derrière la troïka qu’elle avait composée avec Ettakatol et le Congrès pour la République (CPR). Mais, aujourd’hui, la formation devra faire et assumer ses choix seule.
Son Conseil consultatif en a décidé ainsi et a pris en compte les demandes des bases et des militants, qui tiennent à affirmer la capacité du parti à conduire les affaires de l’État. Une manière aussi pour certains d’entre eux de s’opposer à Rached Ghannouchi, fervent promoteur d’une stratégie du consensus et de la mise en place d’alliances partisanes.
Opposition : un bloc de 100 élus
En cela, ils partagent paradoxalement l’avis de modernistes pour lesquels le parti, qui revendique une étiquette de « démocrate musulman », doit désormais faire ses preuves en ne comptant que sur les siens, puisqu’il sera à la fois maître du perchoir et du gouvernement… Mais loin de disposer des 109 sièges nécessaires pour obtenir la majorité absolue. Au sein de l’ARP, Ennahdha va être confrontée à une opposition certaine. Celle du Parti destourien libre (PDL, 17 élus), dont la présidente, Abir Moussi, voue les islamistes tunisiens aux gémonies, et celle, tout aussi probable, de la formation libérale Qalb Tounes (38 sièges), de Nabil Karoui, qui a déclaré vouloir intégrer l’opposition dès l’annonce des résultats du scrutin législatif. Avec les partis et les députés indépendants se revendiquant de la famille moderniste, ils forment un bloc de près de 100 élus. Une force bien réelle qui, si elle était unie, pourrait influer sur les équilibres d’un hémicycle fragmenté.
D’autres partis, comme le Courant démocrate (22 élus) et le Mouvement du peuple (16), souhaitent se démarquer et peser sur les décisions, sans toutefois se compromettre avec les ultraconservateurs de la coalition El-Karama (21 sièges) ou du parti islamiste Errahma (3).
Malédiction
De nouvelles alliances vont-elles se sceller ? Quelles formations seront appelées à participer au gouvernement ? Qui acceptera d’y prendre part ? Les négociations vont bon train.
Peu de partis semblent enclins à s’impliquer et à suivre Ennahdha sans un programme précis, d’autant qu’ils gardent en mémoire que tous ceux qui ont partagé le pouvoir avec elle depuis 2011 ont été atomisés : Nidaa Tounes, le parti de l’ancien président Béji Caïd Essebsi, n’a remporté que 3 sièges (contre 86 en 2014). Quant à Youssef Chahed, si son jeune parti, Tahya Tounes, obtient 14 sièges à l’ARP, il a lui-même essuyé un véritable désaveu à la présidentielle (7,4 % des suffrages exprimés au premier tour).
Délai de un mois
Cette fragmentation de l’hémicycle en plus de vingt partis, auxquels s’ajoutent dix élus sans étiquette, augure de longs et difficiles débats pour s’accorder sur les dossiers majeurs et urgents, comme le projet de loi de finances 2020, qui devra être adopté d’ici au 10 décembre, ou comme la composition du gouvernement – sachant que le parti majoritaire au Parlement a un délai de un mois, renouvelable une fois, à partir de l’installation de l’Assemblée pour former un gouvernement susceptible de convaincre une majorité de députés.
Il faudra pourtant que les partis trouvent rapidement un modus vivendi. Faute d’accord sur la composition du gouvernement, le président de la République pourrait dissoudre l’ARP. Un risque que peu accepteront de prendre.
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