Agribusiness : avec le maïs, Somdiaa fait coup double
Le sucrier et meunier français se diversifie pour alimenter les brasseries de sa maison mère, le groupe Castel, et s’attaquer au marché de l’aliment pour volaille.
Un moulin, une maïserie, une unité de production d’alimentation animale et une écloserie de poussins d’un jour. Avant l’inauguration officielle prévue au début de l’année 2020, une première cérémonie a eu lieu à la fin du mois d’octobre dans le port de Pointe-Noire. C’est un aboutissement pour le français Somdiaa (457 millions d’euros de revenus et 5,5 millions d’euros de bénéfice en 2018), qui portait le projet depuis 2017 via sa filiale congolaise la Société les Grands Moulins du phare (SGMP).
L’investissement de 33 millions d’euros a été financé pour un tiers sur fonds propres et, pour le solde, par crédits bancaires. Il doit permettre de produire 70 000 tonnes de farine de blé, 9 000 t de gritz de maïs (un produit dérivé qui favorise la fermentation), 10 000 t d’alimentation animale et 1 million de poussins par an dès 2020.
80 millions d’investissements d’ici 2022
La maïserie, la production d’alimentation animale et l’écloserie constituent un axe de diversification pour Somdiaa, déjà champion du sucre et de la farine en zone Cemac. À l’horizon 2022, la société, détenue à 80 % par le géant de la bière Castel, prévoit plus de 80 millions d’euros d’investissement dans ces nouvelles activités. Au Cameroun, elle est déjà présente dans le sucre, via la Société sucrière du Cameroun (Sosucam) et la farine, avec la Société le Grand Moulin du Cameroun (SGMC). Et en septembre, via sa filiale la Compagnie fermière camerounaise.
L’entreprise, dirigée par Alexandre Vilgrain, petit-fils du fondateur, a démarré la construction d’une maïserie comprenant une unité d’aliments pour bétail (UAB) et celle d’une ferme de poussins d’un jour à 15 km au sud de Yaoundé. Les travaux sont estimés à 18 millions d’euros. En Côte d’Ivoire, la Compagnie fermière ivoirienne, une autre filiale, veut implanter une maïserie couplée à une UAB à Ferkessédougou (Nord), pour un coût de 16 millions d’euros.
Idem au Bénin, où le projet est cependant retardé par des dissensions avec l’État sur les conditions fiscales de l’investissement. Enfin, une maïserie nécessitant 17 millions d’euros d’investissement est attendue d’ici à 2022 en Éthiopie, un nouveau marché pour Somdiaa, même si Castel y est déjà présent avec BGI Ethiopia, qui, cela tombe bien, a besoin de matières premières pour produire ses bières.
Augmentation des capacités de production et bières locales
La percée dans le maïs de Somdiaa, qui table sur 15 à 20 millions d’euros de chiffre d’affaires à terme pour chaque projet, répond avant tout à une logique de groupe. Les maïseries, d’une capacité de 100 t par jour – sauf en Éthiopie, où elle sera doublée –, alimenteront en gritz les brasseries du groupe Castel, détenues par sa filiale Brasseries et glacières internationales (BGI).
Dans un secteur en forte croissance mais où la compétition est intense avec le belgo-brésilien AB InBev et le néerlandais Heineken, le géant français veut augmenter ses capacités de production tout en proposant de nouvelles bières locales bon marché, comme il l’a fait au Mali avec la Bamba, produite à base de riz cultivé sur place. Le marché de la bière croît de 7 % par an en Côte d’Ivoire et de plus du double en Éthiopie. Il s’agit également pour Castel de réduire ses importations de matières premières et de limiter ainsi ses achats en devises étrangères, difficiles d’accès dans certains pays comme l’Éthiopie.
La réduction des coûts de production n’est pas directement le but recherché. Le gritz produit localement ne sera pas forcément moins cher que celui venu du Brésil, par exemple. Mais, pour Castel, l’opération renforce son empreinte locale et son pouvoir de négociation face aux États. Au Cameroun, par exemple, il négocie une réduction des droits d’accises (taxes sur les spiritueux) en faisant valoir l’approvisionnement local. Des négociations similaires sont engagées en Côte d’Ivoire et au Bénin.
Bières et alimentation animale
Si 50 % de la production des maïseries alimentera les brasseries Castel, les 50 % restants seront destinés à d’autres marchés porteurs, dont celui de l’alimentation animale. L’idée pour Somdiaa est de valoriser l’ensemble des sous-produits du maïs. Le groupe le fait déjà avec le blé au Gabon, où son moulin est associé à la production d’aliments pour bétail et à un élevage de poules pondeuses et de poussins d’un jour.
Les clients potentiels sont souvent de petits éleveurs qui veulent acheter à la fois l’aliment et les poussins
C’est ce modèle qu’il veut reproduire avec les maïseries, les déchets du maïs servant de base à l’alimentation des volailles et permettant de mettre un pied dans la filière de l’élevage. « C’est une bonne lecture du marché. Les clients potentiels sont souvent de petits éleveurs qui veulent acheter à la fois l’aliment et les poussins », commente Xavier Cadiou, fondateur de la société de conseil Agri Réseaux International.
C’est d’ailleurs ce que proposent les volaillers dans la région, dont Sipra, en Côte d’Ivoire – qui expérimente la production de maïs sur 5 000 ha dans le nord du pays –, et Sedima, au Sénégal. « À l’horizon 2021-2022, nous souhaitons que l’activité alimentation animale-poussins compte pour 20 % de notre chiffre d’affaires », affirme Alexandre Vilgrain, qui s’est associé avec le spécialiste de la nutrition animale MiXscience (groupe Avril) pour élaborer les recettes.
Encore faible avec trois à quatre kilos par habitant et par an, la consommation de volaille sur le continent est en plein essor, portée par la croissance démographique, l’urbanisation, l’émergence d’une classe moyenne et le développement de la grande distribution. Cette évolution rend le marché de l’alimentation pour volaille très prometteur. La preuve, les grands acteurs de la meunerie y ont récemment investi.
En février 2018, l’américain Seaboard Corporation a dépensé plus de 300 millions d’euros pour acquérir deux unités du groupe Mimran, un moulin en Côte d’Ivoire et une usine d’alimentation animale d’une capacité annuelle de 110 000 t au Sénégal. L’année précédente, le géant singapourien Olam avait déboursé plus de 130 millions d’euros au Nigeria dans deux provenderies, des fermes d’élevage de volaille, une exploitation piscicole et une écloserie pour produire des poussins d’un jour.
Prix incitatifs et avances pour les intrants
Mais Somdiaa parie également, études de marché à l’appui, sur l’essor d’un autre débouché : la consommation humaine. Aliment de premier plan en Afrique de l’Est et en Afrique australe, la farine de maïs – qui permet de réaliser bouillies, foufou, couscous et beignets – devrait gagner l’ensemble du continent. Somdiaa table sur une croissance annuelle de la demande de 5 % en Côte d’Ivoire, par exemple. En Afrique de l’Ouest, l’entreprise dispose déjà de canaux de distribution pour la farine de blé et le sucre. « Nous ajouterons un produit local et de qualité dans notre circuit », précise Alexandre Vilgrain, qui insiste sur l’apport des maïseries dans la structuration des filières agricoles.
L’entreprise fait appel à des agronomes pour identifier les variétés donnant le meilleur gritz, s’engageant auprès des producteurs partenaires à acheter leur récolte à un prix incitatif tout en les aidant à se fournir en intrants. Elle sécurise aussi le circuit logistique, des champs aux maïseries. Si la structuration de la filière est en bonne voie au Cameroun, où l’on cultive du maïs depuis longtemps, cela est plus difficile au Congo. Ainsi, Somdiaa y lancera la production de sa maïserie principalement avec des céréales importées, prévoyant de basculer sur un approvisionnement 100 % local dans les cinq ans.
La carte angolaise
Leader du marché de la bière en Angola, le français Castel a investi dans une concession de 5 000 ha dans la province de Malanje (Nord). Cette année, les 800 ha cultivés ont produit 2 500 t de maïs, transformées en gritz pour entrer dans la composition des bières fabriquées et embouteillées à Luanda. À terme, Castel vise une production de 20 000 tonnes afin de réduire ses importations, qui s’élèvent à 60 000 t de gritz par an (soit 25 millions de dollars), selon l’agence de presse Angop. Pour ce faire, il va progressivement augmenter les surfaces cultivées, prévoyant de dépenser 20 millions de dollars dans un système d’irrigation et dans des silos de conservation. Une maïserie de 300 t par jour doit suivre.
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