Cameroun – Samuel Eto’o : « J’ai soutenu le candidat Biya, c’était mon droit »

Football et politique, business, binationalité… L’ancien attaquant camerounais, tout juste retraité, va droit au but.

À JA, le 6 novembre. L’ancien capitaine des Lions indomptables a été sacré à quatre reprises meilleur joueur africain de l’année. © Vincent Fournier/JA

À JA, le 6 novembre. L’ancien capitaine des Lions indomptables a été sacré à quatre reprises meilleur joueur africain de l’année. © Vincent Fournier/JA

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 17 novembre 2019 Lecture : 10 minutes.

C’est un jeune retraité de 38 ans qui a rendu visite à Jeune Afrique, ponctuel et courtois, s’excusant de traîner une grippe saisonnière mais disposé à répondre aux questions, nombreuses, que l’on se posait sur son incroyable ascension, sa reconversion, sa fréquentation des palais présidentiels, ses opinions tranchées et ses problèmes de riche… Entretien sans langue de bois avec le joueur africain le plus titré de l’Histoire.

Jeune Afrique : Pourquoi avoir décidé de mettre un terme à votre carrière, en septembre ?

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Samuel Eto’o : Parce que c’était le bon moment. À mon âge, on se demande toujours si on a gagné assez de titres, si on a suffisamment préparé la relève. J’avais la réponse à toutes ces questions, alors j’ai décidé qu’il était temps d’arrêter.

Avez-vous des regrets ?

Non. Quand je regarde d’où je suis parti pour arriver là où je suis, je me dis que je suis un privilégié. Je n’ai pas le droit d’avoir des regrets. J’ai juste des devoirs qui m’obligent à donner en retour. Je veux aider, apporter ma contribution à la transformation de notre continent.

Que comptez-vous faire maintenant ?

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Me reconvertir dans les affaires. Lorsque vous êtes footballeur, vous payez des gens pour qu’ils s’occupent des vôtres. Mais quand c’est à vous de les gérer, et que vous voulez les développer, il vous faut acquérir de nouvelles compétences.

Je vais donc reprendre des études pour apprendre la gestion d’entreprises. En janvier, je rejoindrai l’université Harvard, qui a bien voulu m’admettre dans une formation spécialisée. Je vais aller vivre à Boston pendant presque un an. Ce ne sera pas facile, mais c’est un beau défi et cela m’ouvrira d’autres portes.

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En 2012, vous aviez créé une société de téléphonie mobile, Set’Mobile, mais l’expérience a été plutôt malheureuse…

Pour moi, elle fut enrichissante. J’y ai perdu beaucoup d’argent, mais je ne regrette rien. J’ai retenu la leçon et appris qu’il est essentiel d’avoir les compétences nécessaires pour lire des bilans, comprendre les chiffres ou manager du personnel. Surtout, cela ne me fera pas renoncer. Notre continent a besoin d’entreprises pour créer de la richesse, générer des emplois et sortir les gens de la pauvreté.

Le joueur Samuel Eto'o à Londres, le 9 mars 2015. © Lefteris Pitarakis/AP/SIPA

Le joueur Samuel Eto'o à Londres, le 9 mars 2015. © Lefteris Pitarakis/AP/SIPA

La nouvelle compagnie de paris sportifs, Betoo, vous appartient-elle ?

Non. Elle appartient à un groupe de jeunes Africains qui ont sollicité mon accompagnement. Après des mois de discussions, et parce que leur foi en l’Afrique m’a touché, j’ai accepté de leur prêter mon image. Je suis également impliqué dans le lancement d’une star-up, dont je ne souhaite pas parler pour l’instant. Mais là encore, de jeunes Africains m’ont convaincu qu’ensemble on pouvait améliorer le quotidien des populations.

Certaines des activités de votre fondation paraissent avoir été mises en sommeil. Pourquoi ?

Nous avons réalisé beaucoup de choses. Nous avons construit et offert un hôpital à l’État camerounais. Nous avons fait éclore aussi de nombreux joueurs, tel André Onana, le gardien de l’Ajax Amsterdam, Christian Bassogog [meilleur joueur de la CAN 2017], ou Fabrice Ondoa [meilleur gardien de la CAN 2017].

Cela dit, il y a quelques années, à la suite de déceptions personnelles, j’ai décidé de suspendre la formation des jeunes footballeurs. Mais nous reviendrons au Cameroun et au Gabon quand nous aurons réorganisé la fondation.

Au Gabon, n’aviez-vous pas le soutien du président Ali Bongo Ondimba ?

Il a tout fait pour que le projet aboutisse, mais il arrive que le volontarisme du chef soit contrarié par l’égoïsme et les erreurs de ses collaborateurs. Cela étant, je remercie le président, son épouse et son directeur de cabinet de l’époque, Maixent Accrombessi, qui m’ont beaucoup aidé.

Qu’est-ce qui s’est passé au Cameroun ?

Ce fut digne d’un film d’aventures. J’en ris aujourd’hui, mais c’est vrai que des responsables de haut niveau ont abusé de ma confiance et m’ont fait perdre beaucoup d’argent. Des hommes politiques ont même signé des documents en sachant que c’étaient des faux. C’est incroyable, on se demande où va ce pays ! J’avais le choix : saisir la justice pour me défendre et les faire condamner ou passer à autre chose. J’ai choisi de continuer d’avancer.

Samuel Eto'o, lors du tirage au sort des éliminatoires de la Coupe du monde 2018. © Dmitry Lovetsky/AP/SIPA

Samuel Eto'o, lors du tirage au sort des éliminatoires de la Coupe du monde 2018. © Dmitry Lovetsky/AP/SIPA

Le problème est qu’on ne s’allie pas pour faire briller notre continent

Diriez-vous que les footballeurs africains sont mieux reconnus qu’auparavant ?

C’est compliqué. Prenons l’attribution des prix : les Africains se plaignent, mais sont-ils victimes de racisme ? Lors de la remise du prix 2019 du meilleur footballeur de la Fifa, qui est allé à Lionel Messi, j’ai déclaré que les meilleurs joueurs n’étaient pas récompensés – je pensais au Sénégalais Sadio Mané et à l’Égyptien Mohamed Salah. Mais à qui la faute ?

Plus de 120 Africains votent pour le meilleur joueur Fifa. Il y a des capitaines, des sélectionneurs, des journalistes… Tous pourraient donner leur voix à d’autres Africains, mais ils ne le font pas. Est-ce par complexe ? Je ne sais pas. Le problème est qu’on ne s’allie pas pour faire briller notre continent. Quand nous avons la possibilité de mettre l’un des nôtres en avant, nous devons le faire.

En octobre 2018, vous êtes allé à Yaoundé rencontrer le président Paul Biya avec le patron de la CAF, Ahmad Ahmad. Quelques jours plus tard, le Cameroun se voyait malgré tout retirer l’organisation de la CAN. Que s’est-il passé ?

Je ne peux pas révéler le contenu de la discussion que nous avons eue avec le chef de l’État. Ma mission était de mettre en relation l’État camerounais avec la CAF. Il fallait que les deux parties se parlent. Je voulais éviter à mon pays l’embarras de perdre l’organisation de la CAN. J’espère que nous ne revivrons pas pareille désillusion en 2021 et je tiens à préciser que, contrairement à ce qui a été dit, je n’ai pas touché un centime pour organiser cette rencontre. J’ai tout pris à ma charge.

Et, par la suite, Ahmad a fait de vous son conseiller…

Parce qu’il sait pouvoir compter sur mon franc-parler.

Selon vous, qui, de l’État ou de la fédération, devrait gérer les sélections nationales ?

La fédération, sans hésitation. Ça se passe comme ça partout, sauf en Afrique ! Pourquoi ? Parce que beaucoup de gens y trouvent leur intérêt, que nos fédérations sont pauvres et dépendantes des États. Parfois, elles ont de l’argent mais en veulent davantage.

Les subventions de la Fifa et de la CAF, de même que l’argent des sponsors, devraient servir à mieux organiser les fédérations et leur permettre d’être libres. Mais tant qu’elles tendront la sébile, l’État voudra faire la loi dans le sport et l’on continuera à voir des ministres se mêler de la nomination ou du limogeage des sélectionneurs.

Pourquoi avez-vous soutenu l’élection du nouveau président de la Fecafoot, Seidou Mbombo Njoya ?

Je ne vote pas mais je l’ai soutenu, c’est vrai. J’ai discuté avec tous les candidats et j’ai trouvé que c’était lui qui avait le meilleur projet. Cela fait presque un an qu’il a été élu, mais il a trouvé beaucoup de problèmes en arrivant à la Fecafoot, et il faut le laisser travailler.

Le Camerounais Samuel Eto'o, en décembre 2017 à Moscou. © Dmitri Lovetsky/AP/SIPA

Le Camerounais Samuel Eto'o, en décembre 2017 à Moscou. © Dmitri Lovetsky/AP/SIPA

Peut-être qu’un jour, quand j’aurai 60 ans, je me laisserai tenter par un mandat… Mais pour l’instant, non

Êtes-vous attiré par la politique ?

Peut-être qu’un jour, quand j’aurai 60 ans, je me laisserai tenter par un mandat à la tête d’une mairie… Mais pour l’instant, non.

En revanche, c’est pour moi un honneur d’être reçu par des chefs d’État aussi puissants que Vladimir Poutine ou Recep Tayyip Erdoğan. Et tout cela grâce au foot !

Je souhaite le même succès à tous les Africains. Je veux leur dire : travaillez et vous serez reconnus. Savez-vous seulement d’où je viens ? Jusqu’à l’âge de 10 ans, j’ai grandi à Mvog-Ada, un quartier défavorisé de Yaoundé, non loin de la prison centrale de Kondengui. Puis mon père a été muté à Douala, et notre famille a atterri à New Bell, un autre quartier pauvre, où se trouve le pénitencier de Douala.

J’insiste sur ce voisinage parce que plusieurs de mes amis d’enfance ont fini derrière les barreaux. J’ai vécu là-bas jusqu’à mon départ pour l’Espagne [il a signé au Real Madrid en 1996]. Je n’en reviens pas d’être parti d’aussi bas dans l’échelle sociale et d’être arrivé là où je suis.

Mais aller à Harvard, n’est-ce pas une manière de préparer une carrière politique ?

Non, ce n’est pas pour ça que je reprends mes études. Pensez-vous que tous les chefs d’État sont allés dans cette université ? Je ne crois pas. En tout cas, ce n’est pas le cas de l’ancien président ghanéen, Jerry Rawlings. Une fois, je lui ai demandé un autographe. Il ne m’avait pas reconnu. Je me suis présenté et lui ai expliqué qu’il était mon modèle. J’admire ce qu’il a fait pour son pays.

George Weah, nouveau président du Liberia, aux côtés de Ellen Johnson Sirleaf, le lundi 22 janvier 2018, quelques minutes avant sa prestation de serment. © REUTERS/Thierry Gouegnon

George Weah, nouveau président du Liberia, aux côtés de Ellen Johnson Sirleaf, le lundi 22 janvier 2018, quelques minutes avant sa prestation de serment. © REUTERS/Thierry Gouegnon

J’étais là pour accompagner George Weah et lui apporter mon soutien

En janvier 2018, vous étiez présent à l’investiture de l’ancien Ballon d’or George Weah à la tête du Liberia. Ce jour-là, ne vous êtes-vous pas dit que tout était possible ?

Cela fait bien longtemps que j’en suis convaincu ! Je suis parti d’en bas, et aujourd’hui j’ai la possibilité d’offrir trois repas par jour à d’autres. N’est-ce pas incroyable ? J’ai effectivement assisté à cette cérémonie. J’étais là pour accompagner George Weah et lui apporter mon soutien.

Vous résidez en Côte d’Ivoire. Comment appréhendez-vous les échéances électorales à venir dans votre pays d’accueil ?

Pour avoir émis une opinion politique, j’ai eu beaucoup de problèmes au Cameroun. Vous permettrez donc que je ne me prononce pas. Disons seulement que j’ai de bons rapports avec tous : le président Alassane Ouattara, qui m’a reçu à plusieurs reprises et qui est mon voisin, comme le ministre Hamed Bakayoko, qui rend mon séjour agréable, ou même Guillaume Soro [l’ancien président de l’Assemblée nationale, passé dans l’opposition].

Vous ne voulez vexer personne…

Il m’arrive de faire des choix qui agacent. Par exemple, il ne plaît pas à tout le monde que je voie le président Blaise Compaoré et je ne m’en cache pas. Je l’ai connu chef d’État, je ne le renierai pas parce qu’il ne l’est plus.

Vous n’avez pas non plus craint de dire votre soutien au candidat Paul Biya lors de la présidentielle d’octobre 2018 !

Les gens m’ont reproché d’avoir soutenu un candidat. Mais si j’en avais choisi un autre, on m’en aurait voulu tout autant. C’était un choix personnel, et c’est mon droit. Le plus important aujourd’hui est que le Cameroun retrouve la paix et la sécurité car les événements de ces derniers mois m’attristent beaucoup.

Les parents de Kylian Mbappé ont un jour raconté dans la presse qu’ils avaient proposé que leur fils intègre la sélection camerounaise mais qu’on a tenté de leur extorquer de l’argent en contrepartie… Mbappé aurait pu vous succéder comme buteur des Lions indomptables !

Si nous avions eu Kylian, tous les podiums auraient été à notre portée ! C’est pareil avec plusieurs binationaux. Ainsi, Joël Matip, qui évolue à Liverpool, a choisi de ne plus porter les couleurs du Cameroun tellement il a eu de problèmes. Beaucoup de jeunes sont victimes de la corruption et de règlements de comptes. J’en ai fait l’expérience avec mon propre fils. Un décret réserve la sélection en équipes de jeunes aux seuls enfants vivant au Cameroun, alors qu’il n’existe même pas de championnat de jeunes dans ce pays ! Croyez-vous que ceux de l’étranger reviendront un jour alors qu’on leur ferme la porte au nez ?

Le Cameroun interdit la binationalité, sauf aux footballeurs. C’est votre cas puisque vous détenez un passeport espagnol. Est-ce normal ?

Un grand musicien camerounais, Richard Bona, a prétendu qu’on nous accordait des passe-droits. C’est faux. J’ai beau avoir été capitaine des Lions indomptables et détenir la double nationalité, j’ai toujours dû demander un visa pour entrer sur le territoire camerounais.

Mais est-ce que vous comprenez sa colère ?

Je comprends toutes les colères. Mais lui comme moi avons le devoir de garder de la retenue. Cela dit, ce que nous souhaitons, c’est que les autorités camerounaises nous offrent des facilités pour retourner dans notre pays.

Vous avez récemment confié que vous n’étiez pas préparé à gagner autant d’argent…

C’est vrai, rien ne m’y avait préparé. J’ai connu des moments difficiles, fait de mauvaises rencontres, mais croisé quelques bonnes personnes aussi, auxquelles je me suis accroché pour continuer à monter.

Vous arrive-t-il d’avoir peur de retomber dans la pauvreté ?

Non, mais plus vous montez, plus vous réussissez, plus vos dépenses sont importantes. Il faut faire attention. Je touche du bois, en espérant ne jamais me retrouver dans l’indigence après avoir gagné autant.

Vos soucis avec le fisc espagnol sont-ils réglés ?

Toujours pas. Ils ont estimé que j’avais fraudé à hauteur de 300 000 euros par an alors que j’ai payé 40 millions d’euros d’impôts à cette période. J’ai contesté les montants que l’administration fiscale me réclamait et nous en sommes encore là, dix ans après. La justice est lente.

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