Mauritanie : Mohamed Ould Ghazouani, l’équilibriste
Si le nouveau président s’inscrit dans la droite ligne de son prédécesseur et ami Mohamed Ould Abdelaziz, les signes d’un changement de paradigme à la tête de l’État se multiplient. Une transition qui ne dit pas son nom ?
Ce 10 septembre n’est pas un jour tout à fait ordinaire pour Ahmed Ould Daddah. Hier marginalisé, empêché de concourir à la présidentielle en raison de ses 77 ans, jugé dépassé par certains, l’opposant historique a cette fois droit à tous les égards. Le chef de l’État, qui l’a lui-même convié, vient l’accueillir en personne à son arrivée au Palais, le conduit jusqu’à son bureau et l’écoute longuement dans l’intimité du petit salon.
Sur un cahier, l’ancien chef d’état-major des armées prend soigneusement note des revendications du patron du Rassemblement des forces démocratiques (RFD). Puis il cherche à briser les idées reçues sur les militaires au pouvoir, cite le général de Gaulle, tente d’instaurer un climat de confiance. Certes, Mohamed Ould Ghazouani a reçu les autres opposants avant lui, mais cette visite-là est hautement symbolique : Ould Daddah, qui avait toujours refusé de dialoguer avec l’ex-président Mohamed Ould Abdelaziz, est réhabilité.
Continuité avec Mohamed Ould Abdelaziz
La Mauritanie est une terre de silence. Ce mutisme peut devenir une énigme pour celui qui est étranger à ces dunes balayées par les vents et baignées de lumière dorée. L’homme aux fines lunettes et au visage impassible qui s’est installé le 1er août au palais présidentiel de Nouakchott, où il se rend chaque matin à 9 heures, est très discret, voire insondable. Certes, Mohamed Ould Ghazouani prend grand soin de cultiver ce mystère.
Mais, lentement, doucement, prudemment, ce parfait connaisseur du Coran – il peut en réciter chaque sourate – affirme aussi sa personnalité, tout en veillant scrupuleusement à s’inscrire dans la continuité de son prédécesseur et ami intime. Tel un funambule, l’ancien général marche sur un fil. Il lui a d’abord fallu maîtriser un certain vertige. En janvier, il a été le premier signataire d’un projet de troisième mandat, préparé par les proches d’« Aziz », qui n’a finalement pas vu le jour.
En veillant à ne s’attirer les foudres de personne, il travaille à se débarrasser à tout prix de cette image de second couteau
Désigné candidat puis élu président, Mohamed Ould Ghazouani a-t-il été propulsé au pouvoir contre son gré ? « En veillant à ne s’attirer les foudres de personne, il travaille à se débarrasser à tout prix de cette image de second couteau, analyse Lo Gourmo, premier vice-président de l’Union des forces de progrès (UFD), dirigée par l’opposant Mohamed Ould Maouloud. Il n’a pas construit son ascension présidentielle, il a été poussé par le vent, car il était le seul à pouvoir rassurer après le départ d’Aziz. Alors aujourd’hui, il est animé par la volonté d’affirmer son propre style. »
Celui d’un homme pondéré, qui tranche avec le tempérament jugé trop impulsif d’Aziz. « Ce qui change, c’est sa personnalité de consensus, ajoute Mohamed Fall Ould Oumeir, nouveau patron de l’Agence mauritanienne d’information. Dès que quelqu’un expose une idée, il est prêt à en discuter. Il a instauré une nouvelle méthode de gouvernement en déléguant beaucoup plus, comme Mokhtar Ould Daddah en son temps. »
« Il ne donne pas de coups, contrairement à Aziz, qui était plus offensif », renchérit un proche de ce dernier. Cette grande prudence serait intimement liée à ses origines familiales, étant issu d’une tribu maraboutique très influente, les Ideiboussat. Comme son père – aujourd’hui décédé –, Mohamed Ould Ghazouani a reçu une instruction religieuse. « Son éducation maraboutique lui a transmis les principes de solidarité, de bonne foi et de patience », estime le président du parti Nida El Watan, Daoud Ahmed Aïcha, qui s’entretient régulièrement avec le président. « Il ne vit pas sous le joug d’une tradition, c’est un moderne, nuance un ex-ministre. Il a également un côté épicurien. »
Deux « frères »
« Ghazouani » veille à ne surtout froisser personne : Aziz et lui partagent depuis de nombreuses années leurs premiers cercles. Les collaborateurs de l’un sont donc logiquement devenus ceux de l’autre, comme le très critiqué Moctar Ould Djay, ancien ministre des Finances réputé proche d’Aziz et désigné directeur de la Société nationale industrielle et minière (Snim) en septembre – l’un des rares reproches de l’opposition à Ghazouani jusqu’ici. L’ancien président a été consulté pour toutes les nominations, que ce soit au gouvernement ou à la tête des grandes entreprises publiques.
« Mais Mohamed Ould Ghazouani a pris seul toutes les décisions, précise un proche d’Aziz. Tous deux continuent à fonctionner de la même manière. Lorsque ce dernier dirigeait encore l’état-major des armées, il avait aussi son mot à dire. » Dans leurs entourages respectifs, chacun assure ignorer tout de la nature exacte de leur relation fraternelle, nouée lors de leurs études à l’Académie royale militaire de Meknès (Maroc), quand ils avaient 20 ans. Mais aussi durable et profonde soit-elle, l’amitié peut-elle résister à l’exercice du pouvoir ?
« Le pouvoir transforme les hommes, poursuit ce même proche. Mais pour le moment Ghazouani se montre très bien disposé vis-à-vis d’Aziz. » Les deux « frères » sont en contact régulier. Ils se contentent pour l’instant d’échanger par téléphone, jusqu’au retour à Nouakchott de l’ex-président, qui devrait prendre part à la fête de l’Indépendance le 28 novembre.
Le 2 août, au lendemain de l’investiture de son ami, qui venait d’emménager au palais présidentiel avec son épouse, Marieme Mint Mohamed Vadhel Ould Dah (dentiste de formation et ancienne conseillère à l’ambassade de Mauritanie à Washington), et leurs enfants, Mohamed Ould Abdelaziz a pris le large. Accompagné de sa famille, il s’est envolé pour Istanbul. Avant de rejoindre Londres, Paris, puis Las Palmas, dans les Canaries. « Il retrouve sa vie de simple citoyen, confie un proche. Il n’est pas nostalgique, mais libéré, voire soulagé. »
Ghazouani sert de paratonnerre. Même les milieux négro-africains éprouvent une sorte de respect pour le nouveau président
Depuis qu’il a quitté le pouvoir, l’ancien président lit beaucoup et, surtout, prend des cours intensifs d’anglais. Selon l’un de ses amis, il pourrait accepter prochainement une mission onusienne de médiation. Il ne coupera pas avec la vie politique mauritanienne, continuera même de s’y impliquer, comme il le fait déjà dans l’organisation du congrès du parti au pouvoir, qu’il a créé, l’Union pour la République (UPR), prévu pour le début de février.
« Période de grâce »
Devant ses visiteurs, il n’appelle d’ailleurs plus son ami « Mohamed », mais « le président ». « Il vit comme une grande injustice les attaques dont il fait l’objet de la part de l’opposition », regrette un proche. Aziz continue en effet de concentrer toutes les critiques, notamment sur sa gestion du pays de 2009 à 2019.
« Il sert de paratonnerre, glisse Lo Gourmo. Même les milieux négro-africains éprouvent une sorte de respect pour le nouveau président, qui a été au cœur du système mais qui a réussi à passer entre les gouttes. » Les tensions étant apaisées, l’opposition ne souhaite plus, pour le moment, aller au conflit. Jusqu’à quand durera cette période de grâce ? « Le nouveau président essaie de la prolonger par petites touches et redonne ainsi de l’espoir aux populations qui s’impatientent, commente Moussa Ould Hamed, fin connaisseur de la scène politique de son pays. Comme lorsqu’il a cité le président de l’opposition démocratique, Brahim Ould Bekaye, dans son discours, à Chinguetti. »
On ne peut pas ouvrir des chantiers politiques sans apaisement ni normalisation
Des gestes purement symboliques ? « Il faut attendre pour réformer, on ne peut pas ouvrir des chantiers politiques sans apaisement ni normalisation. Il vaut mieux avancer doucement », temporise un proche. Même Biram Dah Abeid, arrivé deuxième à la présidentielle, confie avoir de l’espoir.
« Depuis le début de nos échanges avec le pouvoir, tous nos interlocuteurs, et le président Mohamed Ould Ghazouani lui-même, nous ont assurés de leur engagement à légaliser notre parti, le RAG, et notre association, l’IRA-Mauritanie, et à favoriser la suspension des poursuites judiciaires visant les opposants exilés, dont Mohamed Ould Bouamatou, dit-il. Je souhaite que l’on puisse l’aider, durant son mandat, à faire avancer la démocratie et ses institutions, avant que puissent enfin être réglés les problèmes de fond, tels que l’esclavage, l’injustice sociale ou les questions liées à la tentative de génocide et à la gestion des richesses nationales. »
Des voisins plein d’espoir
Chez ses voisins aussi, le « champion du monde de l’équilibrisme » – tel que le décrit un collaborateur –, suscite beaucoup d’espoir. À Dakar, il sera l’invité d’honneur du Forum sur la paix et la sécurité en Afrique, organisé par Macky Sall les 18 et 19 novembre – Aziz n’avait assisté qu’à la première édition. Et le 10, à Chinguetti, à l’occasion du Festival des villes anciennes, il a réuni les ministres de la Culture du Maroc et de l’Algérie (par intérim), Hassan Abyaba et Hassan Rabhi. « C’est typique de Mohamed Ould Ghazouani, on ne sait pas de quel côté il penche », dit un ancien membre de son équipe de campagne. On le sait néanmoins proche des milieux militaires algériens.
À Rabat, où l’élection de Ghazouani a été accueillie très favorablement, la Mauritanie n’a toujours pas d’ambassadeur. « Le Maroc, qui avait été l’un des premiers pays à reconnaître le coup d’État de 2008, n’a rien obtenu d’Aziz, qui ne se laisse pas dicter sa conduite, glisse un ami de ce dernier. Mais Ghazouani n’est pas un bagarreur. » Si, pour le moment, aucune visite bilatérale n’est prévue, on assure à Nouakchott que « la coopération judiciaire est à son plus haut niveau » entre les deux pays.
Le « cas » Tawassoul
Mohamed Ould Ghazouani a symboliquement fait la paix avec son opposition, mais pas encore avec Tawassoul. Selon nos informations, le chef de l’État recevra prochainement les responsables de cette formation islamiste « modérée », hier engagée dans un bras de fer avec Mohamed Ould Abdelaziz – un rendez-vous au Palais est déjà convenu.
Depuis qu’elle a soutenu l’ancien Premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar (qui a obtenu 17,87 % des voix) à la présidentielle, avant de s’en désolidariser après l’annonce des résultats, la deuxième force politique du pays est invisible. En coulisses, elle manœuvre pour que le député Brahim Ould Bekaye conserve son statut officiel de chef de l’opposition démocratique, après que Biram Dah Abeid, leader naturel de celle-ci, fut arrivé deuxième en juin. Pour mener les discussions à venir, Ghazouani a un atout de poids : une frange de la tribu des Ideiboussat, dont il est issu, est réputée proche de Tawassoul.
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