« Terminal Sud », miroir des années noires en Algérie

Avec « Terminal Sud », le réalisateur algérien Rabah Ameur-Zaïmeche décrit les dérives d’un système autoritaire et militarisé, dans un pays qui pourrait être l’Algérie.

L’acteur Ramzy Bedia, excellent dans un rôle à contre-emploi. © Potemkine Films

L’acteur Ramzy Bedia, excellent dans un rôle à contre-emploi. © Potemkine Films

Renaud de Rochebrune

Publié le 20 novembre 2019 Lecture : 5 minutes.

Un minibus avance sur une route de montagne. Soudain, à quelques dizaines de mètres, un barrage tenu par des militaires, si l’on en croit leurs uniformes. La tension est à son comble. Aucune échappatoire, il faut s’arrêter. Le chauffeur demande à chacun de garder son calme.

Ce chauffeur, ce n’est autre que le réalisateur Rabah Ameur-Zaïmeche, qui, contrairement à son habitude, ne s’est offert que ce tout petit rôle… Mais continuons. Tous les passagers, des Algériens semble-t-il, sont priés de descendre. Puis, sous la menace de fusils d’assaut, sont brutalisés s’ils font mine de résister, dépouillés de tout ce qu’ils ont sur eux et qui a quelque valeur.

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Guerre civile

Qui sont ces brutes ? S’agit-il de véritables militaires sans scrupule ? De rebelles terroristes déguisés pour intercepter plus facilement les véhicules et rançonner leurs occupants ? Ou de simples brigands ?

L’un des voyageurs dévalisés pense que la question se pose. Il n’ira pas voir les forces de l’ordre pour se plaindre de l’attaque à main armée – « Elles ne feront rien ! » –, mais plutôt un journal local, qui a pour titre Dernier Maquis… tout comme l’un des premiers films du facétieux cinéaste. La presse indépendante, pense le passager, pourra sans doute dénoncer la multiplication des faux barrages dans la région…

Pas de doute. Dès la première scène de ce film, magistrale, il est clair que le cinéaste algérien propose au spectateur de revivre la période de la guerre civile qui a ensanglanté son pays natal dans les années 1990. D’autant que les journalistes qui ont décidé, après un moment d’hésitation, de dénoncer les coupeurs de route seront bientôt enlevés et assassinés, comme ce fut le cas lors des années noires.

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Descente aux enfers

Terminal Sud raconte, c’est l’essentiel du film, comment un médecin courageux, bien que dépassé par l’ampleur de la tâche alors que les victimes d’attentats se font de plus en plus nombreuses, tente de sauver par son travail ce qui peut l’être dans cette situation de guerre. Avant de noyer chez lui chaque soir son désespoir dans l’alcool. Du moins tant qu’il le peut puisqu’il va bientôt entamer une véritable descente aux enfers, pris en étau entre les rebelles qui l’obligent à soigner l’un de leurs chefs et les autorités militaires ou ceux qui estiment devoir les représenter – allez savoir qui est qui alors que la menace vient de partout et n’est jamais vraiment identifiée !

J’ai été sensible à bien d’autres situations de révolte contre l’injustice, notamment en Afrique

Le pays et l’époque où se déroulent les événements relatés ne sont jamais précisés. Et quelques scènes, par exemple ce contrôle absurde exercé par l’armée que doit subir matin et soir le médecin, ou l’interrogatoire de celui-ci plus que musclé, mené par un tortionnaire français qui semble renvoyer à l’époque de la guerre d’indépendance, font penser que l’intrigue ne consiste pas seulement à rendre compte de l’Algérie des années noires, mais sert un projet plus vaste. Terminal Sud évoque en réalité, à travers le récit d’une histoire kafkaïenne, ce à quoi peut conduire tout régime autoritaire et militarisé.

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Rabah Ameur-Zaïmeche le confirme. « Certes inspirée d’abord par les années noires, dit-il, l’écriture du film a eu lieu pendant que se déroulait le hirak marocain. Et j’ai été sensible aussi au mouvement des « gilets jaunes », en France, lancé alors que commençait le tournage. Et à bien d’autres situations de révolte contre l’injustice, notamment en Afrique. D’ailleurs, si j’avais l’idée, au début, de tourner en Algérie, finalement, comme j’ai obtenu l’aide de régions du sud de la France, je suis resté de ce côté de la Méditerranée. Et cela m’a permis d’éviter d’être en quelque sorte enfermé dans l’histoire algérienne des années 1990. Et c’est très bien ainsi. »

En installant ce double niveau de lecture, Rabah Ameur-Zaïmeche expose plus facilement ce qui lui tient à cœur. Car l’homme qu’on rencontre peu avant la sortie du film en France dans son vaste « atelier » de Montreuil, une ancienne usine de pianos, est à vif, révolté par la marche du monde, où tous les pouvoirs foulent aux pieds les libertés et où, sur fond d’injustice, « règne encore l’esprit colonial ».

Peuples en lutte

De diverses façons, avec des films apparemment différents – les deux derniers racontaient le parcours du bandit d’honneur Mandrin (2012) et l’histoire de Judas (2015) –, il poursuit une œuvre qui entend interroger la trajectoire de l’Algérie (comme dans Bled Number One, en 2006) ou des banlieues françaises (Wesh Wesh, son premier long-métrage, qui fit sensation en 2002), mais aussi celle de cette planète « que nous allons conduire à sa perte si on ne reste uniquement obsédé par la croissance ».

Un pessimiste absolu ? « Pas du tout, s’insurge le cinéaste. Il me suffit d’observer les peuples en lutte, à commencer par le peuple algérien aujourd’hui, qui n’entend pas céder face au “système”, pour rester plein d’espoir. » Les dernières images de Terminal Sud, où le médecin scrute la mer, semblent bien confirmer que, pour le cinéaste, l’horizon n’est pas bouché.

Du comique au tragique

Dans ses films, Rabah Ameur-Zaïmeche joue habituellement le rôle d’un personnage central. Rien d’étonnant pour un cinéaste qui traite toujours de sujets qui lui tiennent à cœur et qui consistent à soutenir des causes, notamment la défense des opprimés et de la liberté. Il imaginait donc, en commençant à écrire le scénario, qu’il en serait de même pour Terminal Sud. Mais il s’est vite dit que pour incarner le médecin héros du film, il ne serait pas, lui qui n’est pas acteur de métier, la personne idoine. D’autant qu’il voulait cette fois-ci se concentrer sur la réalisation.

Et il a pensé immédiatement à Ramzy Bedia, qu’il avait déjà fait tourner pour un petit emploi dans Bled Number One, auquel il a rapidement fait lire le texte. Une très bonne idée. Car l’humoriste à succès du duo Éric et Ramzy se révèle être un acteur tout à fait remarquable dans ce rôle apparemment à contre-emploi de médecin acharné à guérir les maux et les maladies de ses compatriotes en pleine période de guerre civile, alors qu’il est régulièrement menacé de mort.

Interprétant un homme qui conserve son calme au sein d’une réalité tragique qui le dépasse sans pour autant perdre cet air lunaire qui le caractérise, Ramzy démontre que son registre est très étendu. Une présence à l’écran qui est sans doute un atout pour aider Terminal Sud à toucher un large public.

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