[Infographie] Fret maritime : CMA CGM, l’armateur qui devient logisticien portuaire
Déjà incontournable en Afrique de l’Ouest, la compagnie française pilotée par Rodolphe Saadé, avec le rachat de Ceva, est en passe de se transformer en groupe intégré sur mer et sur terre.
Transport maritime : CMA CGM, l’armateur qui devient logisticien
Avec le rachat de Ceva, la compagnie française, pilotée par Rodolphe Saadé, est en passe de se transformer en groupe intégré sur mer et sur terre.
Pour vivre heureux, restons discret… CMA CGM n’aime guère donner de détails sur la marche de ses affaires. En Afrique, le numéro quatre mondial du transport conteneurisé ne divulgue pas de chiffres globaux, même si, hors Maghreb, le continent représente environ 10 % des 22 millions de conteneurs EVP qu’il transporte chaque année. En chiffre d’affaires, le continent doit peser davantage, car les prix de transport sont plus élevés sur les lignes nord-sud que sur les marchés est-ouest.
La compagnie que pilote depuis Marseille Rodolphe Saadé, fils du fondateur emblématique franco-libanais Jacques Saadé, décédé en juin 2018, est numéro un ou deux sur tous les marchés d’Afrique de l’Ouest. CMA CGM est aussi particulièrement bien placé en Angola, au Gabon, en RD Congo, au Sénégal. Il s’illustre aussi à l’export au Ghana, en Côte d’Ivoire et au Cameroun.
Le danois Maersk, son premier rival, avait bénéficié du rachat en 1999 du belge Safmarine. Mais CMA CGM, alors tout petit sur le continent, est devenu son véritable challenger en 2006 avec le rachat de Delmas au groupe Bolloré.
Si cette marque 100 % africaine a disparu depuis mars 2016 au profit de la seule CMA CGM, les précieux réseaux d’Afrique francophone sont toujours là.
Premier au Mozambique, à Mogadiscio et à Berbera
Cependant, CMA CGM est loin de s’être endormi sur ses lauriers ouest-africains. « C’est incontestablement l’armateur qui a créé le plus de lignes en Afrique de l’Est et en Afrique australe ces dernières années avec, parfois, une certaine audace », analyse un bon connaisseur du transport maritime.
Premier armateur à créer un service au Mozambique en 2009, CMA CGM est aussi le premier à s’installer à Mogadiscio, au début des années 2010, en ouvrant une ligne, baptisée Noura Express, depuis Dubaï (Jebel Ali). Berbera (Somaliland), autre territoire de conquête, suivra en 2016.
Dans le secteur en forte croissance, et plus rémunérateur, du conteneur réfrigéré en Afrique de l’Ouest, la compagnie marseillaise était à la traîne derrière Maersk il y a une dizaine d’années. Dans le transport de fruits, avec une nouvelle plateforme froid qui importe beaucoup du Maroc et du Sénégal jusqu’au terminal de DP World à Londres, comme dans le domaine de la pharmacie, CMA CGM a rattrapé son retard.
« Nous agissons avec pragmatisme », résume, depuis son bureau situé au 26e étage de la tour où siège le groupe à Marseille, Georges Serre, le conseiller « diplomatie et international » de CMA CGM. Homme affable, l’ancien ambassadeur de France en Côte d’Ivoire connaît bien le continent, son potentiel, et aussi ses difficultés. « En Afrique, un projet qui se monte prend plus ou moins de temps, nous nous adaptons. »
Le Français cite Kribi en exemple de ce pragmatisme. En 2009, le projet de ce port du sud du Cameroun est encore dans les limbes, oublié dans les cartons de la Banque mondiale, lorsque Louis-Paul Motaze, nouveau ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, relance le chantier. CMA CGM s’implique, s’associant à Bolloré, à China Harbour Engineering Company (CHEC) et à des intérêts camerounais.
Le terminal à conteneurs ouvre en mars 2018, mais les débuts sont difficiles. Pour ne pas cantonner le port à des exportations de bois et à la réception de quelques projets des Nations unies, CMA CGM en a fait un hub de transbordement, complémentaire de Pointe-Noire, pour desservir le Gabon et Douala.
Connectivité des ports aux routes et aux rails
Le pragmatisme maison, c’est aussi de ne pas imposer des investissements en propre si les équipements corrects existent déjà, comme en Afrique du Sud. « Nous n’avons pas une approche patrimoniale mais privilégions plutôt la fluidité et l’agilité », résume Georges Serre.
Quand le partenaire Bolloré devient un rival, comme dans l’attribution du terminal à conteneurs numéro deux (TC2) d’Abidjan, les affaires ne sont pas perturbées pour autant. CMA CGM est, avec Maersk, le premier client du TC1, utilisé aussi comme port de transbordement, et il sera davantage encore celui du TC2.
La connectivité des ports aux liaisons routières et ferroviaires est un enjeu majeur pour CMA CGM comme pour ses concurrents armateurs et logisticiens. En réponse à la problématique des coûts engendrés par les nœuds logistiques, CMA CGM a développé huit plateformes logistiques et dix corridors principaux.
Parmi ses priorités : le Sénégal et la Mauritanie vers le Mali, la Côte d’Ivoire vers le Burkina Faso et le Niger, le Cameroun vers le Tchad, Djibouti vers l’Éthiopie, le Kenya vers les Grands Lacs, l’Angola vers la RD Congo et l’Afrique du Sud vers les pays enclavés qui la bordent.
La logistique des secteurs miniers et pétroliers fait partie des priorités du groupe, notamment avec les énormes perspectives du Mozambique, où CMA CGM est déjà bien implanté à Maputo et à Beira, ou encore du lac Albert, desservi depuis les ports kényans. À Nairobi, CMA CGM cherche un terrain pour monter un port sec.
Le continent va prendre sa place dans la vaste réorganisation du transporteur, qui, armateur pur, est en train de se transformer en groupe logistique intégré – du jamais-vu à ce niveau dans l’histoire d’une compagnie maritime – avec le rachat de Ceva Logistics. Ce groupe de 78 000 salariés, jusqu’alors domicilié en Suisse mais en cours de rapatriement aux niveaux opérationnel et fiscal à Marseille, était jusqu’à présent une marque marginale sur le continent. Seuls des agents tiers l’y représentaient, sauf en Angola et en Afrique du Sud surtout, où il dispose d’entrepôts au Cap, à Johannesburg, à Durban et à Port Elizabeth.
CMA CGM veut développer Ceva en Afrique dans ses deux métiers : le freight management (gestion de la logistique d’un client chargeur) et, plus poussé encore, le contract management, avec la construction de bases logistiques allant jusqu’au packaging et à la distribution finale pour le compte du client. Les trois marchés logistiques clés de Ceva – les pièces automobiles, la grande distribution et les équipements de téléphonie – vont être développés en Afrique. De Renault à Dell en passant par Carrefour ou Uniqlo, des clients mondiaux du groupe sont très intéressés.
Des synergies entre le fret maritime et le fret aérien
Dans la foulée de la visite en Éthiopie en mars dernier du président français, Emmanuel Macron, à laquelle Rodolphe Saadé avait assisté, Ceva est en train de monter une coentreprise avec son partenaire historique dans l’agence maritime, MACCFA. Un investissement dans une base logistique est à l’étude à Modjo, carrefour stratégique pour l’Éthiopie. Ceva, fort dans le fret aérien, veut tisser des synergies avec le fret maritime de CMA CGM.
Outre l’Éthiopie, de grandes ambitions sont affichées pour le Nigeria, le Kenya et le Sénégal. L’Angola intéresse également beaucoup CMA CGM. « Nous sommes très attentifs à la volonté affichée par le nouveau ministre angolais des Transports, Ricardo Daniel Sandão Queirós Viegas de Abreu, de privatiser quatre terminaux en deux ans », salue Georges Serre.
CMA CGM, qui bénéficie d’un soutien clair du gouvernement français dans ses nombreuses initiatives à travers le monde, ne sera pas loin du président Emmanuel Macron lors de sa visite à Luanda au premier trimestre de 2020. « Il y a une décélération du trafic conteneurisé à l’échelle mondiale, mais l’Afrique continue de jouir d’une bonne croissance, conclut Georges Serre. Les sanctions américaines favorisent le développement d’un commerce régional, c’est un phénomène récent dont le continent va bénéficier. »
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles