Sénégal : à peine réélu, Macky Sall confronté aux spéculations sur un troisième mandat

Rumeurs sur un éventuel troisième mandat, ambitions des hypothétiques héritiers… À cinq ans de l’échéance, les spéculations vont bon train. Ce qui agace le chef de l’État, qui entend consacrer son mandat à la poursuite des réformes.

Rencontre au Palais de la République avec le Président Abdoulaye Wade© Présidence Sénégal / Photo : Lionel Mandeix © Lionel Mandeix/Présidence Sénégal

Rencontre au Palais de la République avec le Président Abdoulaye Wade© Présidence Sénégal / Photo : Lionel Mandeix © Lionel Mandeix/Présidence Sénégal

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 26 novembre 2019 Lecture : 7 minutes.

Se doutait-il que le terrain était glissant ? Le 21 octobre, sur les ondes de RFM, un haut fonctionnaire encore peu connu du grand public met les pieds dans le plat. « Notre Constitution oblige le président de la République à ne faire que deux mandats, martèle Sory Kaba, directeur des Sénégalais de l’extérieur au ministère des Affaires étrangères. [Macky Sall] est dans son dernier mandat et la Constitution lui interdit d’en faire un troisième. Qui sera le futur président ? Personne ne sait. »

Dès le lendemain, Sory Kaba est limogé. Une semaine plus tard, rebelote. Cette fois, c’est Moustapha Diakhaté, ancien chef de la majorité présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY), qui est démis de son poste de ministre-conseiller pour avoir déclaré sur SEN TV : « La manière dont Macky Sall veut mettre un terme à cette polémique est contre-productive. S’il veut limoger toute personne qui en parle, cela pose problème. » Pour cette figure du camp présidentiel réputée pour son franc-parler, la réponse du Palais est la même : il doit prendre la porte.

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« Un vrai stratège »

Comme le prédisait Diakhaté, ces limogeages n’ont fait que raviver le débat sur la question d’un éventuel troisième mandat, agaçant au passage le principal intéressé, qui goûte peu que l’on évoque son avenir. Quelques jours plus tard, lors d’une réunion avec des élus de la région de Kaffrine, le président a tapé du poing sur la table. « Je ne tolérerai pas ces débats futiles. Je n’ai désigné personne d’autre que moi-même. Que celui qui ne s’y retrouve pas en tire les conséquences comme je l’ai fait quand j’étais au PDS. » Un message limpide à destination de ceux qui, dans son camp, se verraient bien lui succéder.

Faut-il croire à la possibilité d’un troisième mandat ? « L’hypothèse ne peut pas être écartée, affirme l’opposant Ousmane Sonko. Macky Sall a peur de devoir rendre des comptes une fois qu’il aura quitté le pouvoir. » En public comme en privé, le chef de l’État n’a cessé, ces derniers mois, de répéter qu’il s’en irait en 2024, mais rien n’y a fait : la question agite autant l’opposition que la majorité. Personne ne sait pourtant ce que prépare le président. Réélu pour cinq ans en février, lui-même n’a sans doute pas encore arrêté son choix. « C’est un vrai stratège. Il sait très bien cacher son jeu, il l’a déjà montré à maintes reprises », estime l’un de ses confidents.

Ses adversaires, eux, redoutent un nouveau « wax waxeet » (littéralement, « je l’ai dit, je me dédis », en wolof). Ils rappellent qu’en 2012 Macky Sall s’était engagé à ramener de sept à cinq ans la durée de son premier mandat, ce qu’il n’a finalement pas fait, le Conseil constitutionnel s’étant opposé à ce que l’on touche à la durée d’un mandat en cours. Le quinquennat n’a donc été instauré qu’en 2019. Tous ont aussi en tête le fait que, si l’on considère que cette révision constitutionnelle remet les compteurs à zéro, le chef de l’État peut, en théorie, se représenter – en 2012, Abdoulaye Wade, qui était dans une situation similaire, avait été autorisé à briguer un troisième mandat.

Mises en garde

Pour le président sénégalais, garder le silence et entretenir le suspense sur 2024 est surtout le moyen le plus efficace de tenir ses troupes dans la durée. « S’il clarifie sa position et qu’il écarte définitivement l’éventualité d’un troisième mandat, il ouvre la porte à une guerre des clans dans son propre camp », décrypte l’un de ses proches. Macky Sall ne veut pas que la question de sa succession et les ambitions de ses lieutenants polluent l’action gouvernementale et, in fine, ternissent son deuxième mandat.

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Selon son entourage, il déplore aussi que certains soient si pressés de prendre sa place – il y trouve même une forme d’indécence. « Le président sait tout. Si certains sont dans des petites combines ou ont des agendas cachés, il en sera très vite informé, et il n’est pas du genre à se laisser faire », prévient l’un de ses collaborateurs.

En février dernier, le président a été reconduit à la tête de l’État dès le premier tour avec 58 % des suffrages. © Xaume Olleros/Getty Images

En février dernier, le président a été reconduit à la tête de l’État dès le premier tour avec 58 % des suffrages. © Xaume Olleros/Getty Images

Déjà, au début de septembre, lors d’une réunion politique à Paris, il avait sèchement mis en garde les responsables de l’Alliance pour la république (APR), le parti présidentiel. « Si des ministres ou des cadres ont des ambitions, qu’ils attendent la fin de mon mandat pour se manifester », avait-il tonné. « Oui, les gens parlent déjà de l’après-Macky Sall alors qu’il vient d’être réélu. Il peut s’indigner tant qu’il veut, mais le débat finira par s’imposer, car la vie politique sénégalaise ne s’arrêtera pas avec lui », analyse un éditorialiste dakarois.

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Au fond, son entourage le reconnaît : cette situation gêne le président, mais il doit faire avec. « Il ne peut pas empêcher les gens d’avoir des ambitions. C’est parce que lui-même en a eu qu’il est là aujourd’hui », admet un de ses proches. Bien malgré lui, il lui faut donc gérer les rivalités. Officiellement, tout va bien entre les grands barons de l’APR. Mais, en coulisse, la bataille a déjà commencé. « Pour l’instant, cela reste raisonnable, glisse un ministre. Les uns et les autres font profil bas. Ils savent qu’il y a des règles à respecter, dont la première est de ne pas froisser le président en s’écharpant au grand jour. »

 Les prétendants supposés s’organisent dans leur coin et constituent leurs réseaux, en recevant des gens ou en mettant à profit leurs visites de terrain

Aminata Touré, Mahammed Boun Abdallah Dionne, Amadou Ba, Aly Ngouille Ndiaye, Abdoulaye Daouda Diallo, Makhtar Cissé… Nombre de ministres ou de cadres de la majorité sont régulièrement cités parmi les prétendants supposés. Mais aucun ne se risque à se dévoiler. Trop tôt, trop risqué. Tous savent que la course est encore longue. « Ils s’organisent dans leur coin et constituent leurs réseaux, en recevant des gens ou en mettant à profit leurs visites de terrain. Ils le font discrètement mais ils le font », commente un bon connaisseur de la scène politique sénégalaise. Certains sont aussi de plus en plus actifs sur les réseaux sociaux.

Le chef de l’État, lui, surveille ses troupes. Il sait que si Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ont perdu le pouvoir en 2000 et en 2012, c’est en partie à cause des tensions qui ont plombé leurs formations respectives. Leurs défaites ont été précipitées par le départ de nombreux cadres, à commencer par le sien (poussé vers la sortie, Macky Sall a fini par quitter le Parti démocratique sénégalais – PDS – avec fracas, en 2008).

Diouf et Wade ont un autre point commun : ni l’un ni l’autre n’avait adoubé de dauphin. Ce sont des opposants qui, à leur suite, ont posé leurs valises au palais. Macky Sall empruntera-t-il la même voie ? Lui qui a longtemps espéré être choisi par Abdoulaye Wade est bien placé pour savoir qu’un dauphin déçu peut devenir un redoutable adversaire et que, contrairement à ce que prédisait Wade, son destin n’est pas forcément de finir échoué sur une plage.

« S’il devait choisir quelqu’un, il est évident qu’il le ferait discrètement et en fin de mandat. Mais, encore une fois, il est trop tôt pour évoquer pareille hypothèse », lâche un conseiller présidentiel. Le gain en matière d’image, tant sur la scène africaine que sur la scène internationale, ne serait pas négligeable. Mieux vaut être le président qui forme son successeur plutôt que celui qui s’accroche au pouvoir.

Au Niger, Mahamadou Issoufou l’a compris et a adoubé son ministre Mohamed Bazoum pour la présidentielle de 2020. En Côte d’Ivoire, il fait peu de doute que, si Alassane Ouattara décidait de quitter le pouvoir l’année prochaine, sa préférence irait à son Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly. « Mais, au Sénégal, cela ne passerait pas, estime un ministre. Nos compatriotes n’ont jamais apprécié qu’on leur impose quelqu’un. Ce sera aux futurs candidats de constituer leur propre capital sympathie auprès des électeurs. »

Situation inédite

De leur côté, les opposants ne comptent pas attendre que le président clarifie sa position. Tous ont les yeux rivés sur 2024 et aucun ne restera les bras croisés pendant que le camp présidentiel disserte sur la succession de Macky Sall. Il y a une élection à remporter et donc une campagne à préparer. « Que ce soit untel ou untel, ce n’est pas notre problème. Nous, nous travaillons à notre projet pour le pays », estime Ousmane Sonko.

D’autres se montrent plus directs et ne dissimulent pas leur satisfaction face aux tensions naissantes dans le camp adverse. « Il ne faut pas mentir : tout ce que nous souhaitons, c’est que cette guerre fasse un maximum de victimes ! » dit en souriant un pilier de l’opposition.

Si Macky Sall tient sa promesse et quitte le pouvoir en 2024, le Sénégal se retrouvera dans une situation inédite : ce sera la première fois qu’un président sortant ne brigue pas sa réélection. Léopold Sédar Senghor demeure un cas particulier, puisqu’il a démissionné en 1980, avant la fin de son cinquième mandat. Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ont, en revanche, été battus, respectivement en 2000 et en 2012. Un boulevard s’ouvrirait donc vers le Palais. De quoi aiguiser de nombreux appétits et soulever encore bien des questions d’ici à 2024.

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