RDC : Emmanuel Ramazani Shadary, ce dauphin de Joseph Kabila devenu poisson-pilote
Choisi par l’ex-chef de l’État pour lui succéder, il a su, malgré une sévère défaite à la présidentielle de décembre 2018, rester au cœur du système Kabila.
Casquette et polo à l’effigie de Joseph Kabila, le regard sérieux et l’air fier, Emmanuel Ramazani Shadary a, ce 22 octobre, l’allure d’un homme en reconquête. À Lubumbashi, au cœur de la riche province du Haut-Katanga, le candidat malheureux de la dernière présidentielle, secrétaire permanent du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), est venu présider un mini-congrès de quarante-huit heures. L’ordre du jour est double. Il s’agit de préparer le retour politique de Joseph Kabila à l’occasion d’un grand raout dont la date n’a pas encore été fixée, mais aussi de se projeter vers la présidentielle de 2023.
Autour de lui, tout ce que le PPRD compte de puissants : Néhémie Mwilanya, l’influent coordonnateur du Front commun pour le Congo (FCC) ; l’ex-ministre Henri Mova Sakanyi ; la présidente de l’Assemblée nationale, Jeannine Mabunda ; le Premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba… Habituellement discret, Ramazani Shadary savoure. Le mini-congrès a des allures de thérapie collective, mais, entre les lignes d’un discours flatteur, le dauphin d’hier en profite pour réaffirmer son leadership au sein du PPRD et se positionner comme l’adjoint du « raïs ».
Séquelles
« C’était une réunion d’évaluation du processus électoral, une séance vérité. Tout le monde a dit ce qu’il avait sur le cœur. Un scrutin ne se gagne qu’avec l’addition des forces et se perd quand on ne parvient pas à s’unir », résume Adam Chalwe, secrétaire national du PPRD. Avant Lubumbashi, Ramazani avait déjà eu à présider plusieurs réunions du parti.
« Depuis que Joseph Kabila a fait de lui son dauphin, il a changé de statut. Il n’est plus simplement le secrétaire permanent du PPRD. Comme si le remplaçant du chef était lui-même devenu chef », commente un haut cadre. « La victoire du parti aux législatives a agi comme un remède [après l’amère défaite à la présidentielle] », explique André-Alain Atundu, ancien porte-parole de la Majorité présidentielle, absorbée par le FCC.
Au cours de l’année qui vient de s’écouler, et en dépit de ses nombreuses prises de parole, Ramazani a été peu disert sur le déroulement du processus électoral. Force est pourtant de constater que la déroute de décembre a laissé des séquelles. « Vu que l’armée, comme tous les autres services étatiques, était tenue par le FCC, Ramazani était convaincu que la situation était sous contrôle, commente l’un de ses proches collaborateurs. Peut-être qu’il n’avait pas compris à quel point Joseph Kabila était sous pression. »
Lui qui avait revendiqué la victoire alors qu’il venait tout juste de déposer son bulletin dans l’urne n’a pas digéré l’épisode. « Le courant ne passe plus entre lui et Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale. Ils ne se parlent plus, révèle un familier de deux hommes. Ramazani estime que Félix Tshisekedi lui a pris sa place et que Corneille Nangaa a délibérément refusé de le proclamer président de la République. » « Il pense que Corneille Nangaa a eu peur de la réaction de l’UDPS [Union pour la démocratie et le progrès social] », poursuit un autre membre du camp Kabila.
L’art du rebond
Le 24 janvier, l’homme qui assiste à la cérémonie d’investiture de Félix Tshisekedi au côté de Vital Kamerhe et se fait applaudir par les militants de l’UDPS incarne l’échec du camp Kabila. On pense alors Ramazani reparti pour une nouvelle traversée du désert, comme il en a connu au début de sa carrière politique. Mais l’ancien dauphin maîtrise l’art du rebond.
Originaire de Kabambare, dans la province du Maniema (Est), comme Mama Sifa, la mère de l’ancien chef de l’État, il est proche de la famille Kabila. Un de ses amis va jusqu’à présenter cet ancien étudiant à l’université de Lubumbashi comme « un cousin éloigné » du raïs. Un intime, donc, qui a pourtant pris son temps pour se faire une place au soleil.
Militant au sein de l’UDPS de feu Étienne Tshisekedi du temps du Zaïre de Mobutu, Ramazani a rejoint Laurent-Désiré Kabila à la naissance de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL).
Lorsque ce mouvement, soutenu par l’armée rwandaise, prend le contrôle de sa province natale, en 1997, Ramazani est élu gouverneur de celle-ci avec la bénédiction de Kabila père. La nouvelle rébellion qui éclate quelques mois plus tard le contraint à fuir à Kinshasa, où il peine à se faire une place. Il faudra attendre l’arrivée au pouvoir de Joseph Kabila, en 2001, et la création du PPRD, à laquelle il participe, pour le voir émerger.
Déception des barons
Longtemps effacé, Ramazani gravit désormais les échelons de la machine parlementaire. Il prend la tête du groupe du PPRD, puis intègre le gouvernement comme vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur en 2016, à quelques mois de la fin théorique du dernier mandat de Kabila. C’est déjà, à l’époque, une marque de confiance dans une période d’extrême tension. Malgré ce parcours linéaire et un solide réseau local, il était loin d’être le favori du bal des prétendants à la succession de Kabila. Désigné à la dernière minute, ce kabiliste pur jus s’est heurté en interne à la déception de certains barons de la majorité qui rêvaient de se hisser au rang d’héritiers.
Aujourd’hui encore, Ramazani est un rouage essentiel du système Kabila. « L’ancien chef de l’État lui a maintenu sa confiance parce qu’il sait qu’il n’est pas le seul responsable de l’échec à la présidentielle », analyse un stratège du PPRD. Ramazani a conservé un accès direct à Joseph Kabila, au même titre que Néhémie Mwilanya, swahiliphone lui aussi. Il a été l’un des six négociateurs du FCC chargé de procéder à la répartition des postes dans l’exécutif national et a, à ce titre, joué un rôle clé dans la composition du gouvernement Ilunkamba.
C’est d’ailleurs lui qui a revendiqué le poste de Premier ministre pour le compte de sa famille politique. « Il avait un droit de veto lors de la composition du gouvernement. Il a fait signer des contrats de fidélité à chaque ministre PPRD », ajoute un haut cadre du parti de Kabila.
Avant l’élection, la question – sans doute naïve – était de savoir s’il pourrait s’émanciper de la tutelle du raïs s’il arrivait au pouvoir. Défait, il a transformé cette proximité en un atout pour maintenir son influence, s’octroyant une place de choix au milieu des autres puissants du PPRD que sont Aubin Minaku, l’ex-président de l’Assemblée nationale, ou Matata Ponyo Mapon, ancien Premier ministre, originaire lui aussi du Maniema. Députés ou gouverneurs, « il contrôle presque tout le monde, raconte un haut cadre, c’est lui qui transmet les ordres ».
Le FCC a beau s’être allié à l’UDPS, l’ancien dauphin considère encore Félix Tshisekedi comme un adversaire. « On a dit de lui qu’il cherchait une place au gouvernement. Mais comment aurait-il pu être un ministre de celui qui fut son concurrent ? » interroge Adam Chalwe. À la fin d’octobre, à Lubumbashi, Ramazani, qui parle encore de Kabila comme de « l’homme fort de la RD Congo », n’a pas craint de lancer les hostilités en formulant à haute voix les ambitions de sa formation pour 2023 : « Nous avons l’ambition de gagner les élections à tous les niveaux. Nous sommes un parti politique, nous avons un programme. Celui que cela dérange ne comprend pas ce qu’est un parti politique », a-t-il lancé à la tribune.
Aile dure
Stratégie concertée ou déclaration spontanée ? Ses propos ont en tout cas généré un regain de tension entre le PPRD et l’UDPS. Cela peut-il remettre en question l’avenir de la coalition ? Dans chaque camp, on assure que Tshisekedi et Kabila, à qui Ramazani aime attribuer certaines des réformes du nouveau président, comme la gratuité de l’enseignement de base, tiennent encore à ce mariage de raison.
« Ramazani incarne une aile dure au sein du FCC. Il veut jouer le rôle de digue face à la montée en puissance de Tshisekedi », commente une source. « Mais avec Kabila tout peut changer. D’ailleurs, l’ancien président aurait bien attendu un peu avant de faire sa rentrée politique », ajoute un cadre proche de Joseph Kabila, qui sous-entend que Ramazani, s’il n’y prend garde, pourrait être remplacé au poste de secrétaire permanent. Pour l’heure, il garde la confiance du raïs. Mais pour avoir su, pendant près de dix-huit ans, nager dans les eaux troubles de la « Kabilie », il sait qu’il faut se méfier des courants contraires.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles