En France, ils sont 26 députés sur 577 : enquête sur les Africains de la République
Vingt-six députés sur 577, c’est encore bien peu. Les populations issues de l’immigration restent sous-représentées à l’Assemblée nationale, mais force est de reconnaître que les députés « d’origine africaine » n’y ont jamais été aussi nombreux. En tout cas depuis 1958.
France : les Africains de la République
Vingt-six députés sur 577, c’est encore bien peu. Les populations issues de l’immigration restent sous-représentées à l’Assemblée nationale, mais force est de reconnaître que les députés « d’origine africaine » n’y ont jamais été aussi nombreux. En tout cas depuis 1958.
«Je me souviens de notre rentrée parlementaire, lorsque Huguette Tiegna a fait sa première intervention dans l’Hémicycle, s’amuse Saïd Ahamada, député La République en marche (LREM) de Marseille. J’étais assis juste derrière elle et face à Marine Le Pen. Je peux vous dire que la présidente du Front national était scotchée ! Une députée du Lot noire, et parlant avec l’accent du Burkina… »
Une pause, sourire aux lèvres, et Ahamada poursuit : « Cela dit, en 2017 tout le monde était stupéfait quand nous avons débarqué. Y compris le personnel de l’Assemblée. On a parlé d’ouvrir une crèche parce que beaucoup de néodéputés avaient des enfants en bas âge. Et la buvette a dû s’approvisionner en sodas, ce qui n’était pas franchement la coutume. On peut dire ce qu’on veut de LREM, mais elle a fait entrer la diversité à l’Assemblée. »
Faible taux de « minorités visibles »
Député macroniste et membre du groupe majoritaire (avec 303 députés sur 577, plus les 46 élus de ses alliés du MoDem, En Marche ! n’a laissé que des miettes aux Républicains et au Parti socialiste, qui dominaient la vie politique française depuis des lustres), Ahamada prêche bien sûr pour sa paroisse. Mais les chiffres lui donnent raison. Il y a encore dix ans, rappellent les sociologues Sébastien Michon et Étienne Ollion, auteurs en 2018 d’une Sociographie des parlementaires*, le député français était « un homme d’âge mûr, appartenant aux classes moyennes et supérieures, disposant d’un bon niveau d’éducation et devenant sans cesse davantage un professionnel de la politique ». Il était aussi blanc, à de très rares exceptions près.
En 2017, la situation a sensiblement évolué. Dans un rapport consacré à la « pluralité visible » à l’Assemblée publié à l’issue du scrutin**, le sociologue Éric Keslassy avance des chiffres : la chambre basse version Macron compte 39 % de femmes et 54,35 % de primo-députés ; son âge moyen est de 48,8 ans (contre, respectivement, 55,1 ans et 54,6 ans lors des deux mandatures précédentes) ; et 6,18 % de ses membres appartiennent aux « minorités visibles ».
Un chiffre encore très bas, mais à comparer avec celui des assemblées élues en 2007 et en 2012 : respectivement 0,54 % et 2 % ! Précisons toutefois que le chiffre d’Éric Keslassy inclut des élus issus des territoires français d’outre-mer, alors que Jeune Afrique n’a retenu ici que les députés ayant des origines africaines (c’est-à-dire nés en Afrique ; et/ou binationaux ; et/ou nés de parents arrivés d’Afrique peu avant leur naissance). Selon ces critères, nous arrivons à 26 noms, soit 4,5 % de l’ensemble des députés.
Au MoDem, je restais “Saïd, des quartiers Nord”. On me faisait tout le temps plancher sur des thèmes comme “les banlieues” ou “l’immigration”
Une progression insuffisante et trop lente – les minorités visibles représentent environ 10 % de la population française – mais réelle, et qu’il est difficile de ne pas porter au crédit du mouvement En Marche !, créé pour porter Emmanuel Macron à la présidence. « Le chef de l’État a mené campagne en disant qu’il voulait une Assemblée plus représentative de la société, souligne Fadila Khattabi, députée macroniste de Côte-d’Or et ancienne du PS. Il l’a dit et il l’a fait. Alors que la gauche, elle, l’a longtemps dit mais ne l’a jamais fait. »
Après un passage chez les centristes de François Bayrou, le Marseillais Saïd Ahamada renchérit : « Au MoDem, je restais “Saïd, des quartiers Nord”. On me faisait tout le temps plancher sur des thèmes comme “les banlieues” ou “l’immigration”. Je ne dirais pas que j’étais instrumentalisé, mais on me cantonnait à certains sujets en rapport avec mes origines. Rien de tel à LREM, où le recrutement est fait sur le CV et où on vous sollicite en fonction de vos compétences réelles. »
Sébastien Michon et Étienne Ollion soulignent pour leur part que le renouvellement de l’Assemblée tient à la façon dont le mouvement macroniste a construit ses listes et sélectionné ses candidats en 2017 : présence de nombreux élus n’ayant jamais exercé de responsabilités politiques (du fait, aussi, d’un durcissement de la législation sur le cumul des mandats), volonté d’ouverture à la « société civile », refus du clivage gauche-droite…
Spécificité française ?
Peut-on pour autant parler de spécificité française ? Difficile de répondre à cette question dans la mesure où, dans les pays européens qui les autorisent, il n’existe pas, ou peu, de statistiques « ethniques ». Si l’on se fonde sur les groupes du Parlement européen, il semble toutefois que la France et le Royaume-Uni soient les deux pays qui élisent le plus de députés issus des « minorités ». Le Réseau européen contre le racisme (Enar) en recense 30, dont 20 « de couleur », ce qui reste fort peu dans une assemblée de 751 membres. Il va de soi que les responsables politiques représentant la « diversité » ne sont pas tous d’origine africaine, il s’en faut de beaucoup.
Au Royaume-Uni, les élus « Black and Asian » viennent le plus souvent de l’Inde, du Pakistan ou des Antilles. En Allemagne, on recense 34 députés de la diversité sur 630, mais la plupart sont d’origine turque. Il existe toutefois des exceptions, comme les députés germano-sénégalais Karamba Diaby et Charles Huber, l’eurodéputée germano-sénégalaise Pierrette Herzberger-Fofana et, dans les parlements régionaux, la Germano-Malienne Aminata Touré et le Germano-Congolais Elombo Bolayela.
L’Espagne compte une poignée d’élus locaux originaires du continent (Cap-Vert, Guinée équatoriale). En Belgique, en revanche, ce sont les élus d’origine marocaine qui constituent le plus gros contingent, mais, là encore, surtout dans les parlements régionaux. Zone la plus « multiculturelle » du pays, la métropole bruxelloise compte des maires et des conseillers d’origine congolaise, rwandaise et togolaise. Mais en Wallonie comme en Flandre, on chercherait en vain ne serait-ce qu’un maire noir.
Être une femme noire, ou musulmane, c’est être en minorité partout, dans une réunion de gauche comme au Parlement
Pour en revenir à la France, l’existence de députés d’origine africaine n’y est pas tout à fait inédite, mais les précédents s’inscrivaient dans un contexte bien différent. Sous la IIIe République, le plus célèbre des parlementaires africains fut le socialiste sénégalais Blaise Diagne, qui siégea sans interruption de 1914 à 1934.
En 1946, la Constitution de la IVe République réservait des sièges aux représentants des colonies. En particulier de l’Algérie, qui compta jusqu’à 52 députés répartis en deux « collèges », l’un musulman, l’autre européen. Quant à ce qu’on appelait alors l’« Afrique noire », elle compta (en 1951) jusqu’à 33 élus sur les bancs de l’Assemblée, parmi lesquels un autre Sénégalais : Amadou Lamine-Guèye, qui fut aussi, brièvement, sénateur (1958-1959). Tout cela prit fin avec les indépendances. Le point de départ d’une nouvelle carrière pour certains, dont les plus illustres furent sans doute Félix Houphouët-Boigny et Léopold Sédar Senghor.
Pour en revenir à 2017, le principal enseignement du scrutin, insiste Éric Keslassy, c’est que les électeurs français sont tout à fait prêts à voter pour des candidats issus des minorités. Et que, en prétendant le contraire, les grands partis ne faisaient que « projeter leur propre conservatisme sur les électeurs ». Nombre de députés dont nous dressons le portrait dans ces pages confirment ne pas avoir été confrontés au rejet ou au racisme, ou seulement de façon très marginale, même dans les circonscriptions où l’immigration africaine est peu importante.
« Et pourtant, pendant longtemps, on nous disait que nous plombions les listes », témoigne Fadila Khattabi. Et ce quelle que soit l’obédience politique, confirme Danièle Obono : « Être une femme noire, ou musulmane, c’est être en minorité partout, dans une réunion de gauche comme au Parlement. Dans les faits, cela se traduit de manière plus ou moins virulente, mais l’accès à certains postes électifs est toujours plus compliqué. Brimades et suspicion persistent, même dans des positions de pouvoir. » Les difficultés rencontrées par Saïd Ahamada pour décrocher l’investiture LREM pour les municipales à Marseille et le choix « par défaut » de Rachida Dati pour porter les couleurs des Républicains à Paris confirment que la partie est encore loin d’être gagnée.
Connivence
Ces difficultés communes créent-elles entre les élus de la diversité une forme de proximité, de connivence ? Oui et non, assurent-ils. Certains tracent leur voie et se consacrent prioritairement à la commission dans laquelle ils siègent et à leur circonscription. D’autres accordent une plus grande part de leur temps aux relations internationales, souvent avec une prédilection pour l’Afrique, mais ce n’est pas systématique. Au bout du compte, chaque parcours est différent.
« Il y a toujours un moment où l’on a envie de se fondre dans la masse, de ne pas être vu d’abord comme un Noir ou comme un Africain, résume Laetitia Avia, une élue parisienne d’origine togolaise. Mais ensuite, pour ma part du moins, il y a une évolution. Je ne veux plus nier ce que je suis, je veux l’assumer. Ça suppose un vrai travail psychologique, mais ensuite, je crois que ça devient un atout dont j’ai d’ailleurs joué pendant ma campagne. Il y a énormément d’immigrés de deuxième génération en France, il faut leur parler. »
Un discours très éloigné de celui d’Hervé Berville, élu breton né au Rwanda : « Je ne dirais pas qu’il y a une proximité naturelle entre députés d’origine africaine. Je dirais que, peut-être, le fait de rencontrer les autres nous fait prendre conscience de ce que nous représentons pour les populations du continent. Mais, franchement, je ne me lève pas tous les matins en me disant que je suis noir ! »
Même divergence d’opinions dans les débats sur l’immigration au sein du groupe LREM, dans les polémiques sur le port du foulard ou en réaction à l’interview accordée par le président au très droitier magazine Valeurs actuelles. Si Fadila Khattabi, Belkhir Belhaddad, Naïma Moutchou ou Laetitia Avia s’agacent des discussions sur le voile, évoquant « beaucoup d’incompréhension », et si la députée franco-malgache Aina Kuric s’est, en 2018, permis de voter contre le projet de loi asile-immigration porté par le gouvernement, la plupart des élus se contentent de remarquer que leur groupe est représentatif de toutes les sensibilités de la société française et qu’il convient simplement de faire en sorte que les discussions ne s’enveniment pas.
Symboles
Alors, plus français que les Français, les Africains de la République ? Prudents, en tout cas et, alors qu’ils arrivent à la moitié de leur mandat, peu enclins – du moins pour ceux qui appartiennent à la majorité – à critiquer la personne ou l’action d’Emmanuel Macron.
Conscients aussi, même si certains préfèrent évacuer le sujet, d’être encore regardés comme des symboles, ce que Laetitia Avia assume sans détour : « Nous savons ce que nous représentons pour beaucoup de petites filles et de petits garçons, en France et en Afrique. Quand je me déplace dans le pays, les premières personnes qui viennent me voir sont toujours des Africains. Il est évident que voir des femmes noires, d’origine africaine, à des postes de responsabilité reste inhabituel. »
Et rare : une fois encore, il n’y a jamais eu autant de députés d’origine africaine à l’Assemblée, mais ils ne constituent que 4,5 % de la représentation nationale, bien loin des 10 % de personnes issues de la diversité au sein de la population française. Mustapha Laabid, élu LREM d’Ille-et-Vilaine, préfère positiver : « C’est tout de même un niveau historique. Maintenant, il faut espérer que de plus jeunes vont suivre l’exemple, s’engager à leur tour. Je veux y croire, même si ce n’est pas gagné. Ce n’est jamais gagné. »
* Sociographie des parlementaires, par Sébastien Michon et Étienne Ollion, traité d’études parlementaires, 2018. hal-01881257
** Une Assemblée nationale plus représentative ? Mandature 2017-2022, par Éric Keslassy, Institut Diderot.
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