Niger : retour à la case prison pour Hama Amadou

Après quatre années d’exil, le principal opposant nigérien a pris le risque de rentrer au pays. Condamné par contumace pour trafic d’enfants, il a rapidement été arrêté.

L’ex-Premier ministre s’était rendu, le 14 novembre, sur la tombe de sa mère, au cimetière de Yantala. © souley abdoulaye

L’ex-Premier ministre s’était rendu, le 14 novembre, sur la tombe de sa mère, au cimetière de Yantala. © souley abdoulaye

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 26 novembre 2019 Lecture : 4 minutes.

Hama Amadou s’est finalement décidé, après près de quatre années d’exil. L’ancien Premier ministre nigérien a beaucoup fréquenté Paris, s’est installé à Cotonou, a visité Lomé et Abidjan, entendant partout la même question : « Quand avez-vous prévu de rentrer ? » En ce 14 novembre, le voilà enfin en mesure de répondre. Venu du Bénin, Hama Amadou décolle d’Abidjan, direction Niamey, à bord du vol HF 740 d’Air Côte d’Ivoire, tandis que des émissaires avertissent la présidence nigérienne. Alea jacta est, aurait lancé César. « Le sort en est jeté. »

À la fin d’octobre, les choses se sont accélérées. La mère de l’opposant, décédée dans la capitale nigérienne le 24, a été inhumée en son absence au cimetière de Yantala. Le 26, c’est son épouse, Hadjia Hari, qui a reçu les condoléances de la première dame, Malika Issoufou, à son domicile.

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Hama Amadou, exilé depuis mars 2016 après quatre mois de détention préventive dans l’affaire dite des bébés volés, vivait alors le deuil à distance, au Bénin. Tous ses recours contre sa condamnation par contumace à un an de prison, en mars 2017, pour « supposition d’enfants », avaient été rejetés, dont celui déposé devant la Cour de justice de la Cedeao, le 31 octobre dernier.

Dans l’impasse, l’ex-contrôleur des douanes de 69 ans a donc choisi de revenir sur ses terres. « Il sait à quoi il s’expose. Il n’est pas venu pour repartir et va assumer sa décision », nous confiait l’un de ses conseillers, alors que Hama Amadou venait d’atterrir à l’aéroport Diori-Hamani. Prévenu de son arrivée, le ministère de l’Intérieur se tenait prêt à procéder à son interpellation. Mais l’ancien directeur de cabinet de Seyni Kountché, opposant de longue date au président Mahamadou Issoufou, savait avoir quelques jours de répit. « La justice l’a autorisé à bénéficier d’une période de liberté pour recevoir les condoléances », expliquait alors à JA une source ministérielle.

« Farce judiciaire »

Le 14 novembre, c’est donc un Hama Amadou libre mais en sursis qui s’est rendu sur la tombe de sa mère, avant de regagner son domicile, où partisans et membres du gouvernement, dont le ministre de l’Intérieur, Mohamed Bazoum, sont venus lui présenter leurs condoléances. Le 17, Malika Issoufou lui a rendu une nouvelle visite et, le même jour, le président l’a joint au téléphone. Mais le soir même, l’opposant a reçu une convocation de la justice. Le lendemain, il s’est donc présenté aux aurores à la gendarmerie et a été conduit à la prison de Filingué, au nord-est de Niamey, où il avait déjà été enfermé en 2015 et en 2016.

« Il fallait mettre fin à cette farce judiciaire », explique l’un de ses proches. Hama Amadou a déjà purgé, préventivement, quatre mois de sa peine et pourrait donc devoir passer huit mois derrière les barreaux. « La balle est dans le camp de la justice et du pouvoir, ajoute notre source. S’ils veulent l’emprisonner huit mois, qu’ils le fassent. » « Les militants doivent rester sereins. “Hama” est rentré et ce en dépit du prix à payer, explique un cadre du Moden Fa Lumana, le parti de l’opposant. Notre ligne reste la même : revendiquer des élections libres, transparentes et inclusives, et redonner au Niger sa dignité. »

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« Serein »

Hama Amadou (Niger), ancien Premier ministre, élu président de l'Assemblée nationale en avril 2011. © Vincent FOURNIER pour Jeune Afrique

Hama Amadou (Niger), ancien Premier ministre, élu président de l'Assemblée nationale en avril 2011. © Vincent FOURNIER pour Jeune Afrique

À Niamey, c’est plutôt l’hypothèse d’une grâce qui prédomine

Selon son entourage, Hama Amadou reste « serein ». Un de ses soutiens nous confie que, même si sa santé demeure fragile, « son moral n’est pas entamé par cet emprisonnement, qui n’est pas une surprise pour lui ». L’opposant reçoit d’ores et déjà des visites et, ayant abattu ses cartes, attend de savoir si le sort peut lui sourire. Une amnistie, qui devrait être votée aux deux tiers par une Assemblée acquise au Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, au pouvoir), est très improbable.

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À Niamey, c’est plutôt l’hypothèse d’une grâce, qui pourrait être octroyée à l’occasion de la fête de la République, le 18 décembre, qui prédomine. « Le président pourrait apaiser les tensions en épargnant à Hama le reste de sa peine », explique un cadre du PNDS. D’autant qu’une telle décision n’effacerait pas la sentence de son casier judiciaire. Or, si l’opposition essaie en vain de le faire modifier depuis deux ans, l’article 8 du code électoral interdit toujours à une personne condamnée à un an de prison au moins de se présenter à un scrutin.

« Le pouvoir a déjà violé la loi pour le mettre en prison. Maintenant, il faudrait respecter un article du code électoral ? » commente un proche, volontiers cynique. « Il purge sa peine et espère que l’article sera modifié », croit savoir un député. Ses chances sont minces, explique un politologue nigérien : « Le PNDS et ses alliés n’ont aucun intérêt à accepter de modifier le code électoral : Hama pourrait à la fois rassembler son parti, qui s’est divisé en son absence, et fédérer les opposants à Mohamed Bazoum, le candidat du parti au pouvoir. »

« Ce retour, c’est un coup de poker », conclut un de ses conseillers. Audaces fortuna juvat, disait Virgile. « La fortune sourit aux audacieux. »

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